6 Etre toujours à l’écoute du marché et des acquéreurs : le moment orientaliste
1 S’inscrire dans un mouvement qui connaît un succès grandissant depuis la conquête de l’Egypte par Bonaparte
Trois ans avant la naissance de Michel Bouquet en 1807, Gros avait peint les pestiférés de Jaffa. Delacroix qui a pris – comme la France – le parti de la Grèce dans son combat pour l’indépendance contre la Turquie a peint les massacres de Schio et a présenté son tableau au salon de 1824.
Mais plus proche de lui, c’est le maître de Michel Bouquet, Théodore Gudin, qui a accompagné le roi Charles X lors de l’expédition en Algérie 1830, soit deux ans avant le voyage de Delacroix, et en a ramené de nombreux croquis. Il est plus que vraisemblable que Michel Bouquet ait vu ces oeuvres dans le cadre de l’enseignement du dessin, et plus particulièrement parce qu’il était très lié à Gudin.
6/24 Always be attentive to the market and buyers: the orientalist moment
1 Join a movement that has enjoyed growing success since the conquest of Egypt by Bonaparte
Three years before the birth of Michel Bouquet in 1807, Gros had painted the plague victims of Jaffa. Delacroix who took - like France - the party of Greece in his fight for independence against Turkey painted the massacres of Schio and presented his painting in the salon of 1824. But closer to him, it is the Master Michel Bouquet, Theodore Gudin, who accompanied King Charles X during the expedition to Algeria 1830, two years before the trip Delacroix, and brought many sketches. It is more than likely that Michel Bouquet saw these works as part of the teaching of drawing, especially because he was very close to Gudin.
La côte algérienne en 1830
Théodore Gudin, Bateaux sur la côte algérienne, croquis, crayon, 1830 © Collection particulière
Campement de soldats français
Théodore Gudin, Campement de soldats français, croquis, crayon, rehauts de blanc, 1830 © Collection particulière
Algérien à la chicha
Théodore Gudin, Algérien à la chicha, croquis, crayon, 1830 © Collection particulière
Femmes algériennes en intérieur
Théodore Gudin, Femmes algériennes en intérieur, croquis, crayon, rehauts de blanc, 1830 © Collection particulière
2 La célébrité au Salon de 1841 pour sa Petite mosquée à Ourlac.
De ses voyages en Afrique du nord et en Turquie, Michel Bouquet en ramène des esquisses, des dessins comme celui ci-dessous
Michel Bouquet, Assin, Pacha à Pezza, Dessin au crayon gouaché, 24x32cm,s.d. © Réserves, Musée municipal de la ville de Lorient
ainsi que des notes qui lui permettront de réaliser en atelier la peinture orientaliste, là encore un champ d’acheteurs/amateurs à conquérir. Connaissant les tableaux orientalistes d’Alexandre Descamps qui était parti à Constantinople en 1828, et dont il possède un dessin chez lui, après les Ruines d’une mosquée de Marilhat en 1840, il anticipe de trois ans la vague du salon de 1844 où nombreux seront les artistes à explorer cette nouvelle thématique, outre Descamps l’initiateur et Marilhat : Dauzats, Philippoteaux, de Chacaton. Le critique de 1844 souligne que » Les sujets arabes sont devenus à la mode et depuis notre conquête d’Alger, la majeure partie de nos peintres a voulu visiter l’Afrique ou l’Orient. » in L’Illustration, 1844, vol 3, p. 105. Trois ans d’avance sur la vague, c’est très bon pour les ventes.
Il présente au salon de 1841 sous le numéro 212 Petite mosquée à Ourlac, près de Smyrne, une huile sur toile. Nous n’en connaissons qu’un dessin également paru dans la revue l‘Artiste de la même année. Deux ans après sa toile Paysage effet de soleil qui avait connu l’honneur de cette revue, c’est le signe d’une véritable consécration.
Michel Bouquet, Petite mosquée à Ourlac, près de Smyrne, L’ Artiste, Revue de la littérature et des Beaux-arts, 1841, tome 7, p. 295 © Source gallica.bnf.fr / BnF
« Voilà bien l’Orient avec son ciel profond, son air limpide et d’un bleu sombre dans lequel se détachent comme des éclairs les ailes lustrées des oiseaux étincelant sous le soleil. Ses arbres s’élançant comme des clochers, ses nappes de soleil ondoyant sur le sol et découpant de vastes archipels d’ombre et de lumière, et çà et là, dans le feuillage noir et touffu, ses blancs minarets. »
Michel Bouquet, Petite mosquée à Ourlac, près de Smyrne, L’ Artiste, Revue de la littérature et des Beaux-arts, 1841, tome 7, p. 295 © Source gallica.bnf.fr / BnF
« C’est bien là l’Orient, chaud, vigoureux, enchanté, si beau dans sa détresse, l’Orient si cher aux poètes, l’Orient, cette conquête de la peinture moderne. Certes, avant Descamps et Marilhat, pour prendre deux noms au hasard, l’Orient n’existait pas. M. Hugo l’a bien compris dans ses Orientales, mais nul peintre en l’avait senti comme le poète. Nous ne sachons guère que la peinture religieuse ses soit préoccupée de l’Orient. C’est à peine si quelques coloristes opiniâtres , ces hommes qui sont à l’art de la peinture ce que les écrivains de style sont à l’art d’écrire, cherchaient timidement à ouvrir la tranchée devant les traditions.
Mais ce mouvement ascensionnel devait en faisant justice des anciennes routines, ramener la peinture au vrai et nous découvrir l’Orient. Monsieur Bouquet est l’un des plus habiles et des plus laborieux chercheurs de ce genre nouveau. Il comprend bien les scènes qu’il copie et les rend largement. Son tableau est une des bonnes choses du salon. »
Plus loin le critique ajoute « Il accuse des études locales vraiment sérieuses, et nous avons retrouvé avec plaisir, à l’Exposition de la Société libre des beaux-arts au profit des inondés du midi, une gouache qui décèle chez Michel Bouquet le talent chaud et original dont il a donné des preuves, et qui sera certainement l’un des lots les plus précieux de cette exposition » in L’Artiste, journal de la littérature et des Beaux-arts, 1841, tome VII, p. 295. Nota bene : il s’agirait plutôt d’un pastel, n° 495 du salon : 1841 Les palmiers, Vue prise dans l’ Asie mineure, pastel, in Catalogue des objets offerts par les artistes français pour la loterie en faveur des inondés du midi, Annales de la Société libre des Beaux-Arts, Année 1841-1842, Tome XI, p.44.
C’est donc le choix d’une peinture orientaliste. Mais il s’agit d’une peinture orientaliste démythifiée. Ce ne sont pas les odalisques nues et lascives destinées aux amateurs d’un érotisme exotique qui fait fantasmer sur le harem, sur la multiplicité des corps à la disposition d’un seul mâle, que présente Michel Bouquet, mais la réalité précise du quotidien. Et le quotidien dans les pays d’Islam, c’est la mosquée.
Toujours Michel Bouquet sent les modes, les courants dominants et il se glisse dans ces flux, pour mieux vendre ses toiles. Mais il présente l’Orient sous son aspect fondamental, celui du pouvoir théologique qui régit tous les êtres. C’est là un de ses talents, et un talent fondamental, celui d’une vision personnelle au travers des modes qu’il va successivement épouser.
La librairie nationale de Varsovie présente une meilleure définition d’image
Michel Bouquet, Petite mosquée à Ourlac, près de Smyrne, L’ Artiste, Revue de la littérature et des Beaux-arts, 1841, tome 7, p. 295 © National Library in Warsaw (Bibliothèque Nationale de Pologne, Varsovie)
Un espace dont l’assise centrale est la mosquée
Une mosquée dont Michel Bouquet souligne la symbolique religieuse avec le croissant
Une fontaine, source primordiale de toute vie en milieu méditerranéen qui porte également la marque de l’islam
Un très beau traitement de la profondeur de l’espace
La passion d’une vie, la parure arborescente
Le rappel d’une végétation méditerranéenne par un peintre des espaces atlantiques
Ensemble nature et culture s’élancent vers le ciel, mais la nature l’emporte
Et toujours ses petites personnages, une femme voilée portant une jarre sur la tête
Une femme allant puiser à la fontaine, s’entretenant avec un homme
Une gravure réalisée par Paul Girardet
La célébrité acquise dès 1835 et confirmée en 1841
Michel Bouquet, Petite mosquée à Ourlac, près de Smyrne, L’ Artiste, Revue de la littérature et des Beaux-arts, 1841, tome 7, p. 295 © National Library in Warsaw (Bibliothèque Nationale de Pologne, Varsovie)
Les historiens de l’art ont présenté les orientalistes, mais ils ne citent jamais Michel Bouquet. Mais il est là, et bien là, dès le début de ce nouveau courant initié par Delacroix en 1832 avec ses Femmes à Alger, après la lutte de la Grèce orthodoxe en 1820 pour se libérer des musulmans turcs, la prise d’Alger en 1830 à laquelle participera son maître Théodore Gudin. La porte vers les suds ensoleillés et l’Orient était ouverte pour un artiste désireux de quitter la France après les décès quasi-successifs de son père et de sa mère. Le développement des liaisons maritimes à vapeur sécurisait sur le plan temporel la possibilité de se rendre dans ces contrées lointaines. Il débarqua donc en Algérie, mais nous ne savons rien de cette première expérience dans les terres de l’Islam. Il est fort probable que ses croquis, dessins, esquisses aient été volées ou détruits lors de la mise à sac de son atelier en 1848. Mais gardons confiance, sans doute ressurgiront-elles un jour, avec les brocantes, les salles des ventes et Internet, tout est désormais possible.
1841 Les palmiers, Vue prise dans l’ Asie mineure, pastel, Oeuvre non retrouvée, in Catalogue des objets offerts par les artistes français pour la loterie en faveur des inondés du midi, Annales de la Société libre des Beaux-Arts, Année 1841-1842, Tome XI, p.44. Ne jamais oublier que Michel Bouquet s’est tout au long de sa vie soucié des pauvres et de la détresse humaine.
1846 Les portes du désert, aux gorges d’El-Kantara, province de Constantine, Huile sur toile, Salon de 1846, n° 223 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée
Ce n’est que lors d’un second séjour en Algérie, bien plus tard, que nous aurons quelques lueurs sur les oeuvres qu’il a dans ce contexte de soleil violent et d’islam omniprésent, créées.
3 La vision d’un peintre ethnologue
Là aussi Michel Bouquet s’attache à montrer la réalité, comme un ethnologue : celle de la vie quotidienne, austère, rude, des hommes du désert n’hésitant pas à souligner la séparation des sexes, la prégnance de l’esclavage ou de la domesticité imposée, la pauvreté, mais aussi la fierté d’hommes libres habitués à parcourir de grands espaces sans autre obligation que leur propre volonté ou intérêt.
Michel Bouquet, Camp de nomades en Algérie, Huile sur papier, s.d., s.d.
Michel Bouquet, Marchands en pleine discussion, Huile sur papier, s.d., s.d.
Attention, il ne s’agit pas ici d’une huile sur toile, mais d’une peinture sur émail cru stannifère, Faïence au grand feu, technique dont Michel Bouquet va devenir le maître à partir de 1862
Michel Bouquet, Tentes arabes près de Biskra, province de Constantine, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence au grand feu, 30x51cm, signé et daté en bas à droite, Salon de 1875 © vente lot 99, Rouillac Vendôme, 28 janvier 2013
Le verso de la peinture sur émail cru stannifère, Faïence au grand feu
Une oasis
au soleil couchant, un ksar, des lueurs mauves roses, jaunes orangées et dorées sur les reliefs
Deux tentes
Une première tente en laine de chameau
La séparation des sexes : deux femmes dont une esclave noire, debout
avec à l’extérieur le bois pour la cuisson des aliments, quelques éléments du bât pour les femmes
une poule avec sa grande écuelle d’eau
Une seconde tente
avec deux femmes, dont une esclave noire, assise
des tapis de sol ou de bât en train de s’aérer
des poules
et les hommes maîtres partant pour les espaces urbains sédentaires, vers la mosquée ou les affaires
Michel Bouquet, Tentes arabes près de Biskra, province de Constantine, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence au grand feu, 30 x 51cm, signé et daté en bas à droite, Salon de 1875 © vente lot 99, Rouillac Vendôme, 28 janvier 2013
Michel Bouquet met le public de son temps au contact d’un Orient réel. Une belle analyse ethnologique, une étude des rapports sociaux associée aux objets et animaux du quotidien : pas de misérabilisme, pas d’odalisques fantasmées comme Ingres, qui n’a d’ailleurs jamais mis un pied en Orient, mais la vie même, quotidienne, simple et répétée depuis des millénaires.
Il en est de même pour l’analyse que fait Michel Bouquet d’un espace urbain oriental. Une allusion au temps qui s’écoule, mais qui est très différent du temps occidental avec deux femmes assises qui attendent.
Un encadrement de type oriental
Michel Bouquet, Vue d’une rue du Maghreb, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence au grand feu, 32 x 45 cm, signé en bas à gauche, sans date, © Olivier d’Ythurbide et associés
Une rue dans une ville algérienne, pas de fenêtres donnant sur la rue, sauf une hermétiquement close, de hauts murs aveugles joints par un passage suspendu, quelques palmiers, un ciel bleu. L’enfermement des maisons sur leur espace intérieur, les passages aériens : toute la vie relationnelle et sociale des habitants et surtout des femmes passe par les terrasses supérieures, invisibles aux regards de la rue.
des eaux usées au milieu de la rue, un couple qui est attentif à les éviter , des murs crépis avec quelques aspects lépreux
Deux femmes assises : des paysannes savourant un moment de repos, désireuses de vendre leur production ou attendant que le temps passe, ce temps long de l’Orient si incompréhensible pour les européens toujours pressés
Une précision ethnologique quant aux objets peints
Nous voici très loin de l’odalisque rêvée d’un Jean-Dominique Ingres en 1839 qui n’a jamais mis un pied en Orient.
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave,huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
Une peinture orientaliste qui n’est faite que pour la sensualité latente qu’elle dégage, dans un monde du XIXème siècle où socialement et professionnellement les hommes ne côtoient que très peu les femmes, et où la femme s’achète quotidiennement dans les maisons de passe
Quelle musicienne laisserait son téton frotter sur la soie de son corsage ?
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave, Huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
Une tenue ferme de la main immédiatement interprétée par la grivoiserie omniprésente dans les réunions d’hommes du XIXème siècle
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave, Huile sur toile, 72 x 100cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
Un pied nu allongé aux doigts qui se raidissent et se cabrent
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave,huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
à quoi répond un autre pied nu
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave, Huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
à quoi répond un autre sein, une bouche légèrement ouverte, nez palpitant, yeux mi-clos, regard perdu
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave, Huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
Et de très longs cheveux étalés, signal immédiat pour les hommes du XIXème siècle d’une femme en cheveux, c’est-à-dire une prostituée
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave, Huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
Un regard qui commence légèrement à se révulser, une bouche entrouverte prête à crier
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave, Huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
Une main qui s’abandonne
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave, Huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
Et une jouissance tant attendue
Jean-Dominique Ingres, L’Odalisque à l’esclave, Huile sur toile, 72 x 100 cm, 1839 © Harvard Art museums / Fogg Museum, Cambridge, Etats-Unis
Par opposition à ce milieu clos, la vie aérienne : verdure, promesse de jardins frais et suspendus, passages permettant un regard discret sur la rue,
Michel Bouquet, Vue d’une rue du Maghreb, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence au grand feu, 32 x 45 cm, signé en bas à gauche, sans date, © Olivier d’Ythurbide et associés
Il s’aventura aussi jusqu’en Turquie.
Vue de Constantinople
Michel Bouquet, Vue de Constantinople, Gravure sur acier par E. Rouargue, aquarellisée, 13 x 22 cm, La France maritime, 1841 © Collection particulière
Là aussi cette vue n’est pas anodine : elle vise à montrer la prééminence de l’islam dans l’espace urbain. Partout ce ne sont que minarets et mosquées. La vue est prise de Galata, sur la rive opposée. Elle représente la mosquée de Soliman le magnifique, celle de Mehmet le conquérant ainsi que celle du sultan Yavouz Selim. N’y figure pas la millénaire basilique chrétienne orthodoxe Sainte-Sophie devenue mosquée le 29 mai 1453 sous Mehmet II, le soir même de la prise de la ville.
Un bateau portant les couleurs françaises annonce son arrivée par un coup de canon. Des bateaux à aubes et à vapeur indiquent que la Turquie s’inscrit de plus en plus dans la modernité ou dans une ouverture forcée sur l’Occident.
1844 Soleil couchant sur les hauteurs du Bosphore, Pastel, Salon de 1844, , n° 1845 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée
1844 Vue de la rade de Smyrne, Pastel, Salon de 1844, n° 1843 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée
1857 Une rue de Nicomédie, Asie Mineure, Huile sur toile, Salon de 1857, n° 357 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée
1861 La fontaine des eaux douces d’Asie, à Constantinople, Huile sur toile, Salon de 1861, n° 369 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée
Un espace qui a aussi été peint par Jules Coignet qui a visité la Turquie quatre ans après lui, puis exposé au salon en 1849. Une technique qui n’a que peu d’écart avec celle de Michel Bouquet, thématiques comprises et qui a atteint la somme de 35 000 euros.
Jules Coignet, Les eaux douces d’Asie, Huile sur toile, 65 x 55 cm, 1848 © vente lot 82, Groz-Delettrez, 7 octobre 2013
4 La gloire d’être choisi pour figurer dans les chambres du Sultan de Constantinople et remarqué par Théophile Gautier
Deux œuvres de Michel Bouquet font en effet partie intégrante du palais de Topkapi à Istanbul en 1858.
C’est Théophile Gautier lui-même qui en parle, et pas n’importe où, dans un journal à diffusion nationale, La Presse du 23 septembre 1853, une excellente plate-forme de promotion pour Michel Bouquet.
« Lorsque le sultan habite un de ses palais d’été, il est loisible au moyen d’un firman, de visiter l’intérieur du sérail. Sur ce mot sérail n’allez pas rêver du paradis de Mahomet. Le sérail est un mot générique qui veut dire palais, il est parfaitement distinct du harem, habitation des femmes, asile mystérieux ou nul profane ne pénètre, même quand les houris sont absentes. On se réunit ordinairement à une dizaine de personnes pour accomplir cette visite, qui nécessite de nombreux bakchichs. On doit avoir soin d’apporter sur soi des pantoufles.
Le sérail occupe des bâtiments irréguliers dans un terrain triangulaire que lave d’un côté des flots de la mer de Marmara, et de l’autre ceux de la Corne d’or. On entre dans sérail par une porte d’architecture très simple, gardée par quelques soldats. La première salle qu’on nous ouvrit avec une forme circulaire. Elle est percée de nombreuses fenêtres à grilles. La seconde salle est peinte de grisaille en détrempe à la manière italienne. La troisième a pour décoration des paysages, des glaces, des draperies bleues et une pendule au cadran radié. Sur les murs de la quatrième courent des sentences tracées de la main de Mahmoud, qui était un habile calligraphe, et comme tous les orientaux, a la vanité de ce talent, vanité concevable, car cette écriture compliquée par ses courbes, ses ligatures ses enlacements, se rapproche beaucoup du dessin. Après l’avoir traversée, on arrive à une chambre plus petite.
Deux cadres au pastel, de Michel Bouquet, sont les deux seuls objets d’art qui attirent l’œil dans ses pièces ou règne la sévère nudité de l’islam. L’un représente le Port de Bucarest, l’autre une Vue de Constantinople prise de la tour de la jeune fille, sans personnages, bien entendu. La même pièce renferme une armoire dont les rideaux écartés laissent étinceler, avec des phosphorescences d’or et de pierreries, le véritable luxe de l’Orient. » in Théophile Gautier, Feuilleton de la Presse , Constantinople, 28 septembre 1858.
Mais comment a-t-il pu avoir la faveur d’être choisi pour figurer dans ce palais, au sein même des trésors du sérail ? Car les peintres attirés par l’orientalisme en 1840, ne pouvaient habiter que dans l’enclave dévolue aux chrétiens et juifs de Pera, seul espace où les non-musulmans ont le droit de résider. Le fait d’avoir été choisi par le roi Louis-Philippe pour figurer dans le château de Saint-Cloud a-t-il joué ? Une piste : le connaissant, il a dû se présenter à l’Ambassade de France, ses relations lui servant de carte de visite prestigieuse et à ce titre être présenté à des membres dirigeants turcs.
Que Michel Bouquet ait choisi de ne pas mettre du tout de personnages dans ses oeuvres montre qu’il sait que pour être choisi dans un milieu où l’islam règne en maître, il ne faut pas montrer de figure humaine.
Et surtout le rejet des images humaines est très prégnant dans la société stambouliote de la première moitié du XIXe siècle comme le souligne le peintre Adalbert de Beaumont
« Leur conviction profonde dans la supériorité de leur religion, ce sentiment de respect pour la tradition antique, pour ce qui a été, qui semble le caractère dominant de l’esprit oriental, les rend il est vrai, intolérants pour les chrétiens, surtout à Constantinople, où les imams, voyant leur influence décroître à cause des innovations que les gouvernants, égarés par notre influence européenne, cherchent à introduire dans leur pays, pour son amélioration au point de vue des uns, pour sa ruine au point de vue des autres, où les imams, dis-je excitent le peuple par des prédications violentes et ameutent contre l’étranger des passions fanatiques.
Que de fois, pendant mon long séjour et mes travaux dans cette ville, j’ai été victime de leur aveugle injustice. A peine avais-je commencé le dessin d’une rue, d’une place ou d’une mosquée, qu’une foule compacte m’entourait, resserrait le cercle au point de m’empêcher de voir et de respirer. Trop souvent les insultes et les voies de fait de toutes sortes me forçaient à m’éloigner. C’est la seule chose à faire avec cette foule malveillante; la colère n’y pourrait rien et amènerait un véritable danger. On ne sait pas tout ce qu’il faut de patience en Orient à un artiste pour arriver à faire, d’après nature, une étude un peu sérieuse.
Enfants, femmes, vieillards, imams et soldats, c’est à qui vous insultera de mille façons. Tantôt ce sont des pierres qui, lancées avec fureur, ne vous laissent d’autre ressource que la fuite, bien heureux si vous échappez sans contusion ; tantôt de l’eau, de la boue, des tranches de melon ou de concombre qui s’étalent sur votre dessin commencé et vous font perdre ainsi le fruit de plusieurs heures de travail le plus pénible ; ou bien c’est une femme à demi voilée, élégante et jolie, qui s’approche de vous comme par curiosité, et vous crache au visage ou sur votre papier.
D’autre fois c’est un imam qui vous chasse avec un bâton et ameute contre vous ceux-là mêmes qui, par hasard, un instant avant, vous regardaient sans colère et sans haine ; c’est, disent-ils, le chien de chrétien, le giaour qui porte malheur, qui lève le plan de nos mosquées et de nos tombeaux pour venir ensuite s’en emparer.
Et qu’on ne croie pas que la moindre provocation de notre part ait jamais été a cause de ces attaques ; nous avons toujours respecté les usages du pays et support patiemment les injures. La vue que nous donnons ici d’une des rues du grand bazar est peut-être une de celles qui a été achetée au prix de plus d’insultes et d’ennuis de toute espèce. »
Adalbert de Beaumont, Le grand bazar, L’Illustration, samedi 19 août 1848 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec
5 Une notoriété grandissante en France
Il est également admis à présenter au Salon en 1841 les Restes d’un aqueduc romain aux environs de Smyrne, Huile sur toile, Salon de 1841, n° 214. Oeuvre non retrouvée
Michel Bouquet, Restes d’un aqueduc romain, gravé par Girard, La revue poétique du salon de 1841, Paris, 1841 © Source gallica.bnf.fr / BnF
Cette oeuvre est citée dans la revue l’Artiste de 1841. Michel Bouquet figure aux côtés de Cabat, Corot, Dupré, Flandrin dans la liste ci-dessous, ce qui témoigne de sa grande notoriété.
L’Artiste, Revue de la littérature et des Beaux-arts, 1841, tome 7, p. 300 © Source gallica.bnf.fr / BnF
Le critique de l’Artiste écrit « Si Monsieur Boisselier a peint l’Orient de nos rêves avec avec ses fraîches vallées et ses collines bleues, Monsieur Michel Bouquet a reproduit celui de la réalité. On a déjà vu sa Petite mosquée à Ourlac, dont le ton est chaud, la végétation rigoureuse, quoiqu’un peu brûlée par le soleil. Les restes d’un aqueduc romain, aux environs de Smyrne, se recommandent aussi par une grande finesse de détails. Le chemin fuit à merveille vers le fond. L’aqueduc se prolonge à gauche. L’eau dort silencieusement au centre de ce paysage simple et facile ».
Et il peut très honnêtement se comparer avec Marilhat
Prosper Marilhat, Environs de Beyrouth, gravé par Girard, La revue poétique du salon de 1841, Paris, 1841 © Source gallica.bnf.fr / BnF
Dans son périple qui allait l’amener en Turquie, il passa également par la Sicile et la Grèce.
Le critique continue pour l’autre oeuvre exposée dans le même salon : « Un paysage simple et facile, comme la Vue de Montereale près Palerme, une cité élégante et gracieuse qui prouve tout le bon goût et l’habileté d’exécution que l’on se plaît à reconnaître dans Monsieur Bouquet. » in L’Artiste, Revue de la littérature et des Beaux-arts, 1841, tome 7, p. 300.
En effet il présente aussi en
1841 une Vue de Montereale près de Palerme, Huile sur toile, Salon de 1841, n° 214, Oeuvre non retrouvée
Cette oeuvre est également très remarquée par le Conservateur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et historien français Augustin Challamel, auteur d’une étonnante et passionnante Histoire de la liberté en France depuis les origines jusqu’à nos jours, Paris, 1886 : « D’Italie, nous allons passer en Sicile avec M. Bouquet. Nous voici près de Palerme au pied du Montereale. Monsieur Bouquet est aussi de ceux qui mettent sur la toile de l’air et du soleil, et tout le luxe de la nature méridionale. Nous croyons ce jeune peintre appelé à devenir un grand paysagiste. Notre prédiction n’a pas grand mérite, puisqu’il possède déjà presque toutes les qualités requises. Oui, mais à l’épi en herbe, et dont on compte déjà les grains, il faut encore beaucoup de soleil. Au talent dont on devine déjà les fruits, il faut encore beaucoup de travail. Cependant M. Bouquet fait preuve d’un talent déjà bien mûr dans son Aqueduc romain aux environs de Smyrne. Ce passage est chaud, coloré, harmonieux, je dirais presque mélodieux, tant il y a de mouvement et d’air dans les feuillages. » Augustin Challamel, Collection des principaux ouvrages exposés au Louvre, reproduits par les peintres eux-mêmes ou sous leur direction, Album du Salon de 1840,
1847 Vue prise aux environs de Palerme, Pastel, Salon de 1847, n°198 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée
6 Sa notoriété grandissante fait qu’il figure figure aux côtés de Delacroix, Corot, Gudin, Marilhat, Troyon
Les Restes d’un aqueduc romain aux environs de Smyrne sont inclus dans un ouvrage de Destigny réalisé à partir de ce salon in Destigny, La revue poétique du salon de 1841, sous le titre Restes d’un aqueduc romain, gravé par Girard. Sur les millliers d’oeuvres accrochées au salon , seules 30 ont été choisies, dont celle de Michel Bouquet. Il figure aux côtés de Delacroix, Corot, Gudin, Marilhat, Troyon. C’est dire la considération artistique dont Michel Bouquet bénéficie dans cette première moitié du XIXème siècle.
Destigny, La revue poétique du salon de 1841, 1841 © Source gallica.bnf.fr / BnF
Il ne présente pas d’huile sur toile dans les trois années suivantes, se contentant d’envoyer des pastels. Faut-il y voir une conséquence d’un travail en atelier fourni avec une commande officielle, ajoutée à la préparation de plusieurs oeuvres en même temps ? Ou tout simplement le fait qu’il est plus facile de réaliser des pastels en extérieur ou lors de voyages, le matériel des huiles nécessitant un poids considérable dans ce second quart du XIXe siècle ? Ces pastels sont d’une très grande qualité comme nous le verrons plus loin.
7 Il n’oublie pas d’utiliser d’autres supports techniques à grande diffusion
Il continue à présenter des gravures dans la Revue maritime et coloniale et des estampes aquarellées pour un public moins fortuné, mais amateur d’art et et présentant une potentialité de vente à des centaines d’exemplaires.
Il fait ainsi paraître en 1841 une Entrée de la mer Noire, Vue du Bosphore
Michel Bouquet, Entrée de la mer Noire, Vue du Bosphore, Gravure sur acier par E. Rouargue, aquarellisée, 22x14cm, La France maritime, 1841 © Collection particulière
Toujours fidèle à sa volonté de conquête permanente d’autres milieux sociaux et de futurs acheteurs, il va viser le milieu des bibliophiles, des amateurs d’une France rurale en train de disparaître, ce que d’aucuns nomment des folkloristes alors qu’il s’agit de la disparition des identités vestimentaires régionales au profit d’une identité vestimentaire nationale qui nivelle toutes les différences locales.
Paradoxalement, ce n’est pas la Bretagne qu’il dessine, il faut dire que le créneau est déjà bien pris par Lalaisse et d’autres, mais la Moldavie-Valachie, un espace géopolitique majeur dans les affrontements entre grandes puissances que sont l’Angleterre, la France et la Russie. Pour cela il mise sur le visuel, des albums de collection sans textes avec une technique, la lithographie, réalisée par d’autres, notamment Eugène Ciceri, à partir de ses dessins.