Introduction La Société Bretonne de Géographie de Lorient 1882 1938

 

 

La Société Bretonne de Géographie de Lorient

1882 – 1938

 

 

Introduction

Créée par l’Inspecteur des colonies M. Salles en 1882, le géographe de Bizemont et le vice-amiral Amet,  la Société Bretonne de Géographie sise à Lorient, qui a fait paraître 116 numéros de 1882 à 1938,  montre son orientation fondamentale du fait du statut de ses fondateurs,  et son inscription dans un cadre breton puisqu’elle a pris pour devise en 1888 « Evid an deskadurez hag ar vro » qui signifie « Pour l’éducation et le pays »

 

 

Page de garde du Bulletin de la Société Bretonne de Géographie, Baumal, Lorient, n° 33, 1888 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Cette devise peut s’interpréter à quatre échelles différentes, celle du port et ville de Lorient, celle de la Bretagne comme le montrent le navire du XVIIIème siècle associé au nom de Lorient et les hermines ducales bretonnes, celle de la France également car on ne peut concevoir en ce XIXème siècle national des officiers de la marine républicaine s’exonérant de leurs fonctions fondamentales à savoir la défense et l’accroissement de la puissance de leur pays, et enfin celle de la mondialisation, notamment coloniale, le tout dans une finalité non pas éducative comme nous l’entendons en ce début du XXIème siècle en France, mais comme un accès aux connaissances qui donne au tout récent citoyen républicain la liberté d’assumer ses choix qu’ils soient patriotiques, universalistes ou simplement entrepreneuriaux.

C’est donc une Société qui, contrairement à son appellation officielle quelque peu réductrice, s’affirme d’emblée comme une Société d’études scientifiques à l’échelle mondiale.

 

Ce n’est pas non plus une Société repliée sur elle-même, vivotant entre érudits poussiéreux. Elle est de plain pied dans le concret, qu’il soit scientifique, économique ou politique :

« Différentes questions d’un intérêt national de premier ordre ont été agitées dans la presse et devant le Parlement, votre Conseil central a pensé qu’il était du devoir de la Société de publier sur ces questions ses vues résultant d’études et de renseignements puisés aux meilleures sources et de les faire parvenir au Gouvernement et aux Chambres. Dans ce but des tirages supplémentaires ont été faits pour la Pénétration au Soudan et L’Avenir colonial de la France. » 1883 76

Elle envisage même ouvertement son rôle de lobby d’influence: « pour la question du Tonkin, elle a pu voir l’opinion du gouvernement et de la presse se modifier dans le sens des idées émises dans nos Bulletins » 1883 76

 

Autre originalité elle s’inscrit à la fois dans une démarche de développement de la science géographique, mais aussi dans le réel avec la recherche d’applications concrètes et rémunératrices : « Exhorter notre jeunesse à l’étude de la géographie et à prendre le goût des entreprises hardies, d’où ils rapporteront honneur et profit ». 1883 99

Sa vitalité et l’ampleur de vue de ses dirigeants font que la Société est invitée au Congrès de la Sorbonne en 1883 pour réfléchir à la mise en place d’une Section géographique au sein même de cette institution.

 

Une vignette accompagnant le frontispice de la revue

Un globe terrestre au centre

A gauche, un compas à pointe sèche, des cartes, un thermomètre ou baromètre, une lunette d’approche

A droite, une équerre, un graphomètre,  des cartes, des règles graduées,  une lunette d’approche

 

La Société Bretonne de Géographie de Lorient est portée sur les fonts baptismaux par trois autres membres fondateurs : le libraire Baumal très actif sur la place lorientaise à la fin du XIXème siècle, l’ingénieur hydrographe en chef Florian La Porte, et,  il nous faut souligner une particularité en effet très rare, parmi ces quatre fondateurs il y a une femme : Mme Veuve Boyer, née Marie Benoist.

Très rare car le statut de la femme française de 1882 lui interdit de voter  –  elle ne le pourra que 11 ans après que la femme turque ait obtenu le droit de vote en 1934 – , de devenir avocate – la loi n’autorise pas les femmes à exercer cette profession – , de disposer d’un compte en banque propre, d’être témoin dans les actes d’état-civil ou notariés. Seules les veuves peuvent s’affranchir de la sujétion financière imposée par la loi et le mari. Doit-elle ce statut de fondatrice d’une société exclusivement composée d’hommes au décès de son mari ? Nous l’ignorons pour l’instant.

 

La  création de la Société Bretonne de Géographie de Lorient en 1882 s’inscrit dans un mouvement de créations de Sociétés de Géographie dans la plupart des provinces françaises : de  1873 à Lyon en passant par Bordeaux 1874, Marseille 1876, Nancy avec la Société géographique de l’Est 1879, Lille, Toulouse, etc… Un développement qui a lieu surtout sous la IIIe république, même si la plus importante, celle de Paris fut fondée en 1821 sous la présidence du marquis et géomètre de Laplace et déjà d’un militaire, le vice-amiral Rosily de Mesros.

La Société Bretonne de Géographie se réunit en séance mensuelle à Lorient le premier vendredi de chaque mois. En outre elle tient le premier vendredi de décembre une assemblée générale publique. Dans cette réunion, le Secrétaire général fait un rapport sur les travaux de la Société et sur les progrès annuels des sciences géographiques. Le Président pose la question de ses finalités :

« Quelles sont les attributions d’une Société de Géographie ? Son nom même ne la renferme-t-elle pas dans des limites étroites, telles que la description physique des lieux habités ou inhabités, la nomenclature des races humaines, des espèces diverses d’animaux,  dans les limites des frontières des états ? Aujourd’hui notre horizon est la planète, que l’électricité traverse instantanément, messagère fidèle de toute nouvelle qu’on lui confie ».

D’emblée l’accent est mis sur le rétrécissement du monde, accessible rapidement en tout temps et tous lieux.

 

La Société Bretonne de Géographie est une entreprise extrêmement sérieuse  : les seuls bulletins de l’année 1882 totalisent 274 pages

Bulletin de la Société Bretonne de Géographie, Baumal, Lorient, n° 1, 1882 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Mise en oeuvre et animée par des individus liés à la passion géographique par une association libre et volontaire, elle est un lieu de sociabilités savantes mises à la portée d’un public choisi et curieux, un cercle de sociabilités élitaires dont la double particularité de Lorient  –  port de guerre et port de commerce  –  est de mettre en relation des officiers de marine  –  dont la formation scientifique est de très haut niveau  –  et des entrepreneurs, qui par atavisme historique local lorgnent vers les espaces rémunérateurs ultra-marins des continents lointains.

En émergent des formes d’approches géographiques très différentes,  celle de la géographie militaire au service de la conquête coloniale, celle d’une géographie commerciale lorientaise dans le cadre de l’expansion coloniale française, celle de la géographie de la curiosité et du voyage – physique et ethnologique -, pour aboutir à la création d’une géographie scientifique qui diffuse les résultats de ses recherches à tous les niveaux de l’enseignement français, de l’école primaire à l’Université.

Une Société Bretonne de Géographie qui est extrêmement novatrice sur le plan des thématiques et bénéficiant des recherches les plus récentes.

Ainsi la conférence donnée par le Docteur Néis, médecin de 1ère classe de la marine en 1882 sur ses Explorations en  pays Moï – les Mnong ou Moï sont les hommes des montagnes par opposition aux Vietnamiens, les hommes des basses terres et des deltas  – précède-t-elle de 6 ans celle de Blanchet qui fut donnée à la société de géographie de Paris en 1888…

Disposait-il également de photographies ? C’est probable, et même certain puisque le même Docteur Néis nous dit par la suite dans une lettre du Laos datée du 23 décembre 1883 « J’ai parcouru les environs, pris des vues photographiques », mais rien ne subsiste aujourd’hui de tout cela à Lorient

 

Fierté aristocratique des hommes de la montagne, les Moï

Molteni, Moïs de Baria, Cochinchine, Photographie positive sur plaque de verre, 10 x 8,5 cm, Conférence de Fernand Blanchet, Chef de la mission, Société géographique de Paris, 1888 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Dernière originalité et non des moindres, cette Société était également ouverte aux nouveautés scientifiques dans d’autres domaines. En témoigne la remarquable intervention donnée en 1883, intitulée Conférence sur les temps préhistoriques qui balaie  –  documents iconiques à l’appui  –   les toutes dernières découvertes faites à cette date ainsi qu’une réflexion sur la construction de cette science, montrant le souci pour la Société de s’inscrire dans la diffusion des nouveautés scientifiques les plus récentes, la création du terme Préhistoire n’apparaissant qu’en 1874 et la fondation de la Société préhistorique de France n’ayant lieu qu’en 1904..

Sous quels auspices cette Société était-elle née ? Quels en furent tout au long de son existence les dirigeants ?

 

Nous le verrons dans le prochain chapitre

1  Un cercle de sociabilités lorientaises

 

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