Bouquet 25 Les réseaux : la haute bourgeoisie et l’aristocratie bretonnes

 

 

Bouquet 25  Les réseaux : la haute bourgeoisie et l’aristocratie bretonnes

 

 

1 Habiter jusqu’en 1860 l’été en Bretagne dans un château médiéval du XVème siècle avec ses relations parisiennes

 

11 Des séjours au Château de Kerouzéré, à Sibiril dans le Finistère, édifié entre 1425 et 1458

Pour échapper à Paris, et attiré irrésistiblement par sa terre natale de Bretagne, il va y passer les mois d’été en compagnie de ses relations parisiennes, dont naturellement des peintres, mais aussi des propriétaires de journaux. Cherchant un climat plus propice à ses problèmes physiques et peu désireux de retrouver un Lorient où il n’y connaît plus que des tombes, il va s’orienter vers la côte nord baignée par le Gulf-Stream.

Il passe ainsi plusieurs séjours soit au printemps, soit en juillet et août dans la château de Kerouzéré, à une dizaine de kilomètres de Roscoff. Ce ne sont que parties agréables de peinture, de conversations et de promenades en mer. Les artistes sont chaleureusement accueillis par le propriétaire Henri de Lestang du Rusquec, futur auteur d’un Nouveau dictionnaire pratique et étymologique du dialecte de Léon, époux d’Eugénie de Kermoysan, un des premiers promoteurs de l’idée républicaine dans le département du Finistère, qui deviendra maire de Sibiril trois années plus tard et futur candidat aux sénatoriales. Il met gracieusement le château à leur disposition. Le peintre Eugène Boudin y fera également un séjour en 1857.

 

Le château de Kerouzéré en 2019

Image illustrative de l'article Château de Kérouzéré

Kerouzéré, Le château actuel, Photographie, 2019 © Collection particulière

 

Un château fort peu accessible à une villégiature d’agrément au début du XIXème siècle

Un château à connotation très fortement médiévale avant 1846, puisqu’il existait encore la trace des douves remplies d’eau qui ceinturaient le château

 Benoît Félix, Château de Kerouzere, Sibiril, Mine graphite sur papier, 20 x 24 cm, La Bretagne contemporaine, s.d. © vente Drouot de Baecque et Associés, 2019

 

La présence d’eau soulignée par Eugène Cicéri, auteur des lithographies  du Voyage en Moldavie-Valachie à partir des dessins de Michel Bouquet

Eugène Cicéri 1813 1890, Le château de Kerouzéré, dessin, Baron Taylor, Nodier, Cailleux, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, Bretagne, 1846 © Collection particulière

 

Un château dont les abords vont être progressivement réaménagés

Furne, Tournier, Le château de Kerouzéré, Vue prise des jardins, Photographie stéréoscopique sur support carton, 7 x 13 cm, 1857 © Musée départemental breton

 

Le château en 1857, à l’époque où Michel Bouquet y résidait

Nous sommes au printemps ou en été, il est fort possible que Michel Bouquet ait pu y faire la connaissance du photographe

Furne, Tournier, Le château de Kerouzéré, Vue prise des jardins, Photographie stéréoscopique sur support carton, 1857 © Musée départemental breton

 

Les extérieurs ont été considérablement modifiés en vue d’en faire une résidence d’été, entretenue par les paysans des fermes annexes

Furne, Tournier, Le château de Kerouzéré, vue de la façade est, Photographie stéréoscopique sur support carton, 19 x 24 cm, 1857 © Musée départemental breton

 

Des paysans et des paysannes comme Michel Bouquet a toujours aimé les peindre

 

Les douves remplies d’eau ont disparu

Furne, Tournier, Le château de Kerouzéré, vue de la façade est, Photographie stéréoscopique sur support carton, 19 x 24 cm, 1857/1858 © Musée départemental breton

 

L’une des fermes qui ravitaillait les invités du château du printemps à l’été

Une résidence où le peintre et ses amis pouvaient à la fois profiter d’une vie châtelaine à la campagne…

Furne, Tournier, Le château de Kerouzéré, vue de la façade est, Photographie stéréoscopique sur support carton, 19 x 24 cm, 1857/1858 © Musée départemental breton

 

… et des aménités de la mer proche

Carte des environs de Roscoff © Géoportail

 

Michel Bouquet aimait passionnément la mer. Enfant à Lorient, il la voyait tous les jours, puis il a vogué sur la Méditerranée, la Manche, la mer du Nord et peint dans de nombreuses toiles. Le vieux manoir féodal qu’est le château de Kérouzéré est très proche de la mer, à 200 mètres du Guillec, fleuve côtier soumis aux allées et venues de la marée. A vol d’oiseau l’île de Sieck est à moins de deux kilomètres, au nord.

Il y venait souvent à partir du printemps, généralement en bonne et joyeuse compagnie.

« Venu avec trois de ses amis, dont l’un de nos grands éditeurs parisiens, tous quatre amateurs de pêche, ces Messieurs avaient convenu d’un contrat avec un marin habitant l’île de Sieck. Lorsque les châtelains  voulaient faire une partie de pêche, ils hissaient un pavillon sur une des deux tours, et le pêcheur Yvonic, à ce signal, accourait aussitôt avec son canot.

Quelles joyeuses vie on menait là ! Quelle douce existence d’artistes ! Bouquet conservait un délicieux souvenir de ces heures d’insouciante gaieté. Il travaillait aussi, car c’est à son séjour à Kérouzéré que nous devons quelques-unes de ses toiles les plus exquises. » Céline Feuillet, 1890

 

On pouvait y organiser des fêtes, en joyeuse compagnie féminine, notamment l’année 1860 date à laquelle il achète sa maison à Roscoff

Anonyme, Le château de Kerouzéré, fête de nuit, Photographie stéréoscopique sur support carton, 7 x 15 cm, 1860 © Musée départemental breton

 

 

Il y consacrera même un poème

 

Le château de Kerouzéré

 

Sur le bord de la mer, au fond de l’Armorique,

Oublié par les temps comme un menhir celtique,

Avec ses grands murs gris, avec ses longs créneaux,

Où s’attache la mousse, où nichent les oiseaux,

Un antique manoir dresse ses deux tourelles

Dans un ciel nuageux, morne et triste comme elles ;

Géant tout de granit, qui depuis cinq cents ans

Lutte contre le ciel et brave à tous les vents;

Et c’est là cependant, comme les hirondelles,

Que je viens au printemps, moi voyageur comme elles,

Dans ce vieux nid désert poser aussi mon nid,

Loin des sots, des méchants, loin du monde et du bruit.

 

Michel Bouquet, Le château de Kérouzéré, Revue illustrée de Bretagne et d’Anjou, 1885

 

 

12 Ne jamais oublier que cette bourgeoisie et cette aristocratie sont également des clients

Le but de Michel Bouquet est naturellement de s’adosser à son système relationnel pour favoriser ses ventes dans des milieux où l’argent n’est pas un souci majeur. Il vend entre bien d’autres un dessin à la nièce de la comtesse de Tonquédec, Côtes d’Armor. Remarquez la qualité de sa négociation commerciale avec un milieu où il est de bon ton d’affecter son désintérêt par rapport à l’argent

 

La lettre ci-dessous en fait mention.

Michel Bouquet, Lettre concernant Mlle de Souspirou, s.d. © Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Ms 3061, f. 190

 

Michel Bouquet, Lettre concernant Mlle de Souspirou, s.d. © Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Ms 3061, f. 190

 

Le château de Tonquédec, chef-d’oeuvre d’art militaire du Moyen-Age est situé à une dizaine de kilomètres au sud de Lannion. Victorine de Souspiron dont il est question dans cette lettre, nièce de la comtesse de Tonquédec, a hérité de ce château en ruines.

N’ayant pas les moyens de l’entretenir ou de le réhabiliter, elle le vendra en 1879 à un marchand de biens qui envisageait de l’exploiter comme une carrière de pierres. Finalement le projet n’aboutit pas et le château est racheté par un marquis. Nous ne savons pas si le dessin du château de Tonquédec réalisé par Michel Bouquet est antérieur ou postérieur à cette vente. Par la mention de l’adresse nous savons seulement qu’il est postérieur à 1870.

 

Nous savons également qu’il a exécuté, dans une gamme de gris bleutés, une magnifique huile sur toile de ce même château.

Michel Bouquet, Le château de Tonquedec, Côtes d’Armor, Huile sur toile, s.d. © Collection particulière

 

Il en fait plusieurs versions

Michel Bouquet, Le château de Tonquedec, Côtes d’Armor, Huile sur panneau de bois, s.d. © Collection particulière

 

 

13 Michel Bouquet s’adapte à tous les niveaux de fortune et vend également à la petite et moyenne bourgeoisie bretonnes des oeuvres financièrement bien plus accessibles

 

Des lavis : peut-être le môle du Port de Roscoff ?

Michel Bouquet, Paysage marin la nuit, Lavis, Détail,  A mon ami Pellerin, s.d. © Collection particulière

 

Deux personnes conversant

Michel Bouquet, Paysage marin la nuit, Lavis, Détail,  A mon ami Pellerin, s.d. © Collection particulière

 

Des lavis, un paysage

Michel Bouquet, Paysage en bord d’étang, A Mademoiselle Denis, Lavis, 18 juillet 1871 © Collection particulière

 

Des huiles sur bois

Michel Bouquet, Paysage d’hiver, Huile sur bois, s.d. © Collection particulière

 

Des lavis, à Mademoiselle Denis, souvenir affectueux

Michel Bouquet, Hutte de charbonnier, A Mademoiselle Denis, Souvenir affectueux, Lavis, s.d. © Collection particulière

 

Des peintures sur faïence, cuites au grand feu pour des investisseurs plus argentés

Michel Bouquet, Le retour des pêcheurs, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence au grand feu, 25 x 37 cm, Signé et daté en bas à droite, 1866 © vente lot 18, Pichon, Versailles, 2013

 

Des aquarelles, un joli travail sur l’opposition entre espaces clairs et obscurs

Michel Bouquet, Vaisseau en difficulté, Aquarelle, s.d. © Collection particulière

 

 

S’appuie-t-il sur les travaux photographiques pour mettre en oeuvre ses dessins ou se contente-t-il de croquer comme à son habitude de visu, sur le terrain ? Nous l’ignorons. En tout cas rien ne l’empêche avec ses moyens financiers et son réseau relationnel d’utiliser cette nouvelle technique pour pallier aux nécessaires déficiences de la mémoire visuelle. Il peut se servir des travaux de Gustave Le Gray, Brick au clair de lune, Londres, 1856 puis  exposée à Paris, Boulevard des Capucines en 1857. Familier des deux mondes, le britannique et le français, Michel Bouquet l’a nécessairement vue.

Une des premières photographies d’espaces maritimes avec navires dont un exemplaire se trouve au Musée Condé de Chantilly, propriété du duc d’Aumale que Michel Bouquet connaissait également, et à qui il avait offert un alguier.

Un même travail de répartition des oppositions de surface claires et foncées

Gustave Le Gray, Brick au clair de lune, Détail, Photographie, Tirage sur papier albuminé, 32 x 41 cm, Londres, 1856 © Images-art, Musée d’Orsay, inv. PHO 1979 36

 

Un art qu’un ami lorientais de Michel Bouquet, Jules Simon Ministre de l’Instruction et des Beaux-Arts considérait – débat de l’époque – comme inférieur dans son discours au Salon de 1872  « Il y a entre la photographie et l’art, toute la distance qui sépare le réel de l’idéal, ou plutôt ce qui est un accident de ce qui est durable et éternel. La photographie donne un fac-simile ; l’art seul donne un portrait ». Michel Bouquet partageait peut-être cette analyse.

Puis il décide de passer ses étés à Roscoff, dont on lui a dit le plus grand bien sur le plan médical car il souffre d’un problème aux poumons. Il ne loge pas chez Gad dans un premier temps, car ce café restaurant n’existait pas encore. La réputation dont il bénéficie va lui servir de sésame pour se lier par l’intermédiaire d’Edouard Corbière qu’il connaît sans doute depuis que celui-ci avait travaillé au Havre, et certainement aussi par la famille de David d’Angers qui était de leurs amis communs, avec deux éléments importants de la belle-famille d’Edouard, les frères Puyo.

Entré en relation d’affaires par l’intermédiaire d’Edouard Puyo qui lui construit son chalet, attenant à la maison que Michel Bouquet avait achetée en 1860

Maisons de Michel Bouquet, à gauche le châlet construit par Edouard Puyo attenant à la maison appartenant également à Michel Bouquet, Carte postale, vers 1900 © Collection particulière

 

il entre peu à peu dans l’intimité de ces grands propriétaires fonciers et entrepreneurs provinciaux, faisant bénéficier de ses conseils d’artiste les deux hommes qui étaient tous deux amateurs de peinture. Il est donc reçu à partir de dans les soirées de cette grande famille qui possède de nombreux châteaux dans la région.

 

2 Les châteaux de la très haute bourgeoisie et aristocratie morlaisiennes

 

Château de Bagatelle, près Morlaix, Finistère

 

Propriété d’Edmond Puyo, Carte postale, 1910 © Collection particulière

 

 

Château de Kerivoas, Plourin-les-Morlaix, Finistère

Une très belle demeure plusieurs fois peinte par Edouard Puyo, voir les oeuvres de ce dernier au Musée de Morlaix

Le château de Kerivoas, où la promenade fera halte (Collection Marthe Le Clech).

Château de Kerivoas, Façade donnant sur le parc, Carte postale, vers 1900 © Collection particulière

 

 

Château de Coat Congar, près Morlaix, Finistère

Aspasie, la fille de Joachim Puyo dont les ancêtres ont fait construire le château y épouse Edouard Corbière en 1844

et donne naissance à Edouard Joachim dit Tristan Corbière, le futur poète et voisin de Michel Bouquet à Roscoff

Château de Coat Congar © Google maps 2018

 

Le château de Roch ar Brini construit par Edouard Corbière comme résidence d’été sur les bords de la rivière de Morlaix, au nord de la ville

Château de Roch ar Brini © Daniel Appriou et Erwann Bozellec, Ploujean Patrimoine

 

Château de Kerozar, Finistère

Gustave William, Arrivée au château, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

Un autre des très nombreux châteaux des environs de Morlaix, celui de Jacques le Bris, qui avait fait fortune notamment dans le commerce international de guano entre le Pérou et la France, un homme comme les aime Michel Bouquet, entreprenant et fortuné. Industriel dans le nord de la France, commerce aux Etats-Unis, et,  tout comme Edouard Corbière qui avait épousé  Marie-Angélique-Aspasie Puyo, fille cadette de son ami Joachim Puyo, Jacques le Bris épousa une Marie-Emilie… de la famille Puyo. Famille protéiforme aux alliances d’une efficacité redoutable, pratiquant l’endogamie pour mieux préserver sa position sociale par le tramage de l’espace châtelain. Solidité, massivité de la bâtisse construite par Jacques le Bris sur les débris d’une ancienne propriété noble, un espace fait pour impressionner le visiteur.

Pièces aux fenêtres larges et nombreuses qui laissent entrer la lumière, double circulation entre les espaces de réception au rez-de-chaussée et l’intime au premier étage.

 

Un univers cossu à la fois familial et mondain que Michel Bouquet fréquentera assidûment jusqu’à la mort de Tristan et Edouard Corbière en 1875

Gustave William, Façade donnant sur le parc, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

 

Symétrie, classicisme de bon aloi, perron d’honneur donnant sur l’étang et les longues perspectives fuyantes du parc de plus de 30 hectares.

Qu’il devait être bon de flâner au petit matin en ces lieux pour un peintre comme Michel Bouquet

Gustave William, Bassin du parc, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent,Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

 

Une des pièces où Michel Bouquet a pu prendre ses repas en compagnie des Le Bris, des frères Puyo et des Corbière, père et fils.

Des décorations murales de style renaissance : des papiers peints ?

Gustave William, Salle à manger, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

 

Le mobilier de table a certainement été changé. Il fallait de longues tables pour recevoir la famille et les relations.

Tous ces lieux ne montrent pas non plus la nombreuse domesticité qu’il fallait pour entretenir ces châteaux et servir les châtelains ainsi que leurs nombreux invités

Gustave William, Salle à manger, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

 

L’accumulation classique de la haute bourgeoisie du XIXème siècle, objets de toutes sortes, tapis, sofas, meubles Louis XIII, vitrines pour l’archéologie et les objets précieux, porcelaines, faïences, statues de marbre ou de bronze, profusion de tableaux qui se glissent les uns entre les autres. En y regardant bien on devrait trouver une toile de Michel Bouquet, en haut à droite, c’est un paysage de son style. On y note au premier plan un goût pour l’orientalisme et au fond, au-dessus du buffet une curieuse toile figurant un jeune garçon nu étendu dans l’herbe. Y avait-il une toile de Michel Bouquet dans cet espace ?

 

Gustave William, Un salon, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

Une bibliothèque richement fournie, des livres anciens reliés en cuir, dorés à l’or fin, un buste Louis-Philippard, cheminée imposante, fumoir. Une pièce dans laquelle Edouard Corbière et Michel Bouquet devaient aimer à se retrouver.

Gustave William, Un salon, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

 

Autre décor, plus sobre, plus familial, tentures lourdes, sofas moëlleux, chaises Louis XVI d’un élégant maintien, table tripode à plaque de faïence, on sent une présence plus féminine dans ces lieux. Y contribuent une mère et son enfant dans la toile de gauche, un buste féminin en marbre sur un guéridon d’appui.

Gustave William, Un salon, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

C’est dans ce luxe permanent que Michel Bouquet évoluait tout à son aise. Si la soirée se prolongeait, il pouvait bénéficier d’une chambre. Austère et pesante, mais confortable.

Gustave William, Chambre à coucher, Photographie, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 ©  Images-art, RMN

 

 

Tout l’univers de Michel Bouquet est là

Gustave William, Une allée du parc, négatif verre au gélatino-bromure d’argent, Château de Kerozar, 1900-1920 © Images-art, RMN

 

reproduit dans ses créations picturales, dédicacée  A mon ami David d’Angers, le fils du célèbre David d’Angers 1788 1856

Michel Bouquet, Paysage, Peinture sur email cru stannifère, Faïence au grand feu, 23 x 17 cm, A mon ami David d’Angers, 1873 © Collection particulière

 

Il ne se contente pas du relationnel de la vie mondaine, il participe aussi à la décoration intérieure des châteaux de Kerozar, Keryvoas, Coat Congar, et de bien d’autres car il va réussir à nouer des relations d’amitié au travers d’Edouard et Tristan Corbière avec un certain nombre de membres de la famille Puyo, dont Edouard Puyo qui lui a fait les plans et construit son chalet à Roscoff, et surtout Edmond Puyo dont il deviendra un ami intime.

 

Une des créations de Michel Bouquet

Michel Bouquet, Paysage avec rivière, Huile sur bois, A mon ami Edmond Puyo, 1867 © Collection particulière

 

 

3 Michel Bouquet et la puissante famille Puyo

31 Edouard-Jean Puyo, polytechnicien, architecte et artiste peintre

Edouard-Jean Puyo a figuré deux fois au Salon de Paris. La première fois, en 1852, il expose au Palais-Royal un dessin à la plume, une Marine, sous le numéro de catalogue 1078. Il y est présenté comme élève de MM. Charlet, un  dessinateur et lithographe remarquable, admiré par Géricault, et imité dans sa jeunesse par Daumier, bonapartiste fidèle ; on lui doit d’être un de promoteurs de la légende napoléonienne et Edouard-Jean aimait d’ailleurs à ce qu’on le comparât à Napoléon III, dont en tant que notable de province bénéficiant de la dynamique économique mise en place par l’empereur, allant jusqu’à se laisser portraiturer en véritable sosie de ce dernier, voir ce portrait dans Armelle de Lafforest, En-quête à Bagatelle sur Tristan Corbière, L’Hermattan, 2018.

Edouard-Jean avait un second maître, le baron de Steuben,collaborateur du baron Gérard et peintre d’histoire, dont une mort de Naopléon en 1829.

Pendant ces années, il donne une adresse à Paris chez M. Ph. Bonjour, rue d’Enghien, 46, à 500 mètres de l’appartement de Michel Bouquet.

Le 46 rue d’Enghien dans le Xe arrondissement, Paris © Google maps

 

Quatre années auparavant, en 1848, il avait déjà fait paraître dans la capitale parisienne un album lithographique intitulé Etudes à la plume.

Cette passion – et la formation à cet art – est donc née avant la rencontre avec Michel Bouquet, à moins qu’il n’ait eu l’occasion de le rencontrer au Salon annuel, puisque Michel Bouquet y a exposé quasiment sans interruption de 1835 à 1885. Entre bretons on est attentif aux oeuvres qui ont pour thème la Bretagne.

Tout comme Michel Bouquet dans ses relations sur la Moldo-Valachie ou sur son voyage en Ecosse, Edouard Puyo avait également fait paraître quelques articles et dessins en 1852 dans le journal l’Illustration.

Le texte, tout comme celui de l’Ecosse de Michel Bouquet était également de sa main, un fort jolie main littéraire d’ailleurs.

« Au confluent de deux jolies rivières qu’ombragent de délicieuses collines couvertes de verdure et émaillées de fleurs, se trouve en basse-Bretagne une délicieuse petite ville, riche en souvenirs historiques, belle parmi toutes, de cette beauté que l’art seul sait découvrir »

 

Edouard Puyo, Types de costumes de femmes

Edouard Puyo, La France pittoresque, Morlaix, L’Illustration, 1852, p. 163 © Digital Library Hathi Trust

 

Edouard Puyo, Vue du port prise du bas de la manufacture de tabac, 1200 ouvriers en 1863

Edouard Puyo, La France pittoresque, Morlaix, L’Illustration, 1852, p. 163 © Digital Library Hathi Trust

 

Edouard Puyo, Ruines d’une chapelle attenante au couvent des Carmélites

Edouard Puyo, La France pittoresque, Morlaix, L’Illustration, 1852, p. 163 © Digital Library Hathi Trust

 

Edouard Puyo utilisait donc beaucoup comme technique le dessin à la plume, le crayon et le fusain. On a souvent qualifié ses oeuvres paysagères de romantiques.

C’est également le cas de Michel Bouquet qui à partir de 1830 a fréquenté de nombreux peintres romantiques, dont tout d’abord son propre maître, Théodore Gudin, mais aussi Ary et Henry Scheffer.

La seconde fois qu’Edouard-Jean expose au Salon de Paris, c’est 33 années plus tard, en 1885, cette fois-ci au Salon de la Société des artistes français dans le nouveau cadre du Palais des Champs-Elysées. C’est à nouveau un dessin à la plume, Les Bords du Quéfleut, Finistère, sous le numéro de catalogue 3129. Il est intéressant de remarquer qu’il figure dans la même section du catalogue que Michel Bouquet.

Cette fois-ci, il présente comme adresse chez M. Charpentier, rue Fontaine 16 bis, à moins de 100 mètres de l’appartement de Michel Bouquet.

Il y a de très fortes chances que Michel Bouquet ait dispensé par la suite ses conseils aux deux hommes. Il est habitué à avoir des élèves, dont des enfants de la haute aristocratie et bourgeoisie parisiennes. Et avec efficacité : les plus talentueux  de ses élèves ont également exposé au Salon de Paris et y ont été remarqués.

L’une se ses élèves, Mademoiselle Aglaé Lefebvre, parisienne habitant au 88 rue de Varenne, un immeuble dans un des quartiers les plus prisés de Paris, présente au Salon de 1846 un Paysage, puis deux Paysages en 1847,

Explication des ouvrages de peinture…des artistes vivants au Musée royal, Paris, 1846 et 1847 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

une Vue prise de l’étang des Sept Iles à Montfermeil en 1848, une Vue prise dans le parc du château de M. Nicolaï à Montfermeil ; une Vue prise dans la forêt de Fontainebleau et une Etude en 1849, une Chaumière picarde en 1850.

Puis Aglaé se rend en Bretagne, ( avec Michel Bouquet ? ) et présente en 1857 toujours au Salon, une Marine, vue prise à la pointe ouest du Finistère, côtes de Bretagne et en 1859 une Plage de l’Océan sur les côtes du Finistère.

Ces travaux , tous exécutés au pastel, lui valent d’être remarquée

« 1857 En sa qualité d’élève de Michel Bouquet, Mademoiselle Lefebvre, l’auteur d’un bon pastel représentant une vue de Bretagne, mérite une mention spéciale. Franchement, je ne supposais pas que le pastel pût s’appliquer avec autant de succès au genre qu’elle cultive. Sa vue marine de la pointe ouest du Finistère est légère, précise et d’un ton juste. » Thomas Arnaudet, Lettre adressée à M. Fillon, Les artistes bretons, angevins, poitevins au salon de 1857, Extrait de la Revue des provinces de l’Ouest, dirigée par Armand Guéraud, 1857- 1858, p. 36

 

Michel Bouquet a eu comme autre élève le futur duc Napoléon Camille Lannes de Montebello, né à Paris le 30 octobre 1835.

 

Napoléon Camille Lannes de Montebello, Photographie, L. Crémière et Cie, Paris, s.d. © Collection Hervé Bernard

 

dont le père n’est autre que Napoléon-Auguste, Duc de Montebello, polytechnicien, le Lucien Leuwen de Stendhal, diplomate et ami de Michel Bouquet

Napoléon-Auguste, Duc de Montebello, Photogravue, Auguste Lemoine fecit, Lemercier et Cie, imprimeur, Pinson, photograveur, s.d. © Collection particulière

 

et l’oncle le général de division de Montebello, aide de camp de Napoléon III, commandant l’armée française présente à Rome de 1849 à 1870 pour protéger les possessions du Pape et qui l’emploiera comme aide de camp.

 

Le général de Montebello assis, avec son Etat-major, Photographie, 1863 © http://www.military-photos.com

 

Napoléon Camille, lieutenant de vaisseau, petit-fils du maréchal de Napoléon Ier, Lannes, est debout derrière lui, le visage à demi-caché

Napoléon Camille de Montebello, élève de Michel Bouquet, Photographie, 1863 © http://www.military-photos.com

 

Napoléon Camille a 28 ans de moins que Michel Bouquet et s’est aussi passionné pour le pastel sous la direction de son maître. Avec l’enseignement reçu, il exposera plusieurs fois au Salon : celui de 1868 avec Le naufrage du Henri IV à Eupatoria, en novembre 1854, puis une Vue prise à Pausilippe, Naples au salon de 1869 et enfin Paysage d’automne en 1870.

 

Les travaux réalisés par Edouard Puyo permettent de montrer des éléments convergents entre sa technique et celle de Michel Bouquet

 

Même traitement des branches terminales que Michel Bouquet

Edouard Puyo, En aval du Pont-Ru, Fusain, s.d. © Corinne Jeanneau, Gérard Berthelon, Photographes au XIXème siècle, Les nouveaux imagiers de la Bretagne, Coop Breizh 2006

 

Une lumière qui provient du fond de l’oeuvre, technique très couramment utilisée par Michel Bouquet

Edouard Puyo, Le clair ruisseau, Crayon, pierre noire, s.d. © Corinne Jeanneau, Gérard Berthelon, Photographes au XIXème siècle, Les nouveaux imagiers de la Bretagne, Coop Breizh 2006

 

Technique de travail du dessin des rochers : cela ne s’improvise pas, il faut un maître

Edouard Puyo, Huelgoat, Fusain, 42 x 28 cm, s.d. © Corinne Jeanneau, Gérard Berthelon, Photographes au XIXème siècle, Les nouveaux imagiers de la Bretagne, Coop Breizh 2006

 

Arbres et rochers traités par Michel Bouquet

Michel Bouquet, La forêt de Fontainebleau en hiver, crayon, lavis, s.d. , Catalogue des tableaux, dessins, gravures, statues, exposées au musée de la ville de Morlaix, Rennes, 1896 © Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

Toutes ces oeuvres sont à mettre en relation avec celles – un peu plus bas dans ce chapitre – de Michel Bouquet qui sont conservées au Musée des Jacobins de Morlaix.

 

32 Zoé Puyo, épouse d’Édouard Puyo et belle-soeur d’Edmond Puyo, et sa fille, Madame Leroux, des femmes sensibles à la misère humaine

S’il y a une continuité tout au long de la vie de Michel Bouquet, c’est d’être resté sensible à la détresse des êtres humains en participant à de nombreuses ventes de charité, en finançant des orphelinats ou en créant des actions de soutien pour les familles de péris en mer, notamment à Roscoff, et il ne pouvait qu’être en phase avec ces deux femmes de la famille Puyo.

En effet, en 1877 Zoé Puyo crée à Morlaix avec des amies, une crèche. « Le destin de cette demeure est de garder les enfants des manufacturières employées à Morlaix pour leur permettre de conserver leur emploi », voir Florence Le Faissant, La mise en nourrice des enfants de Morlaix aux 18e et 19e siècles, Université de Bretagne Occidentale, 1993-1994. Elle n’hésitera pas pour cela à solliciter une subvention à la municipalité. « On imagine difficilement le conseil refuser de participer à une fondation de la belle-soeur du maire », note Emmanuel Daniélou dans La vie municipale à Morlaix de 1880 à 1914, Université de Bretagne Occidentale, 1993 qui souligne que  « cette crèche dirigée par la bourgeoisie féminine morlaisienne entend manifester une solidarité envers les milieux ouvriers ».

Sa fille n’est pas en reste dans un milieu où le christianisme est encore social « Il faut travailler ainsi pour soutenir les faibles et se rappeler les paroles du Seigneur Jésus, puisqu’il a lui-même dit : il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » Actes des apôtres 20.35

« Elevée dans un milieu où l’intelligence a toujours été une force mise au service du bien, Madame Leroux avait acquis par l’exemple les nobles principes qui furent l’honneur de sa vie. On lui avait appris, dès son enfance, que les devoirs grandissent avec la situation. La mission sociale de la femme chrétienne lui était apparue dans toute sa beauté. Elle l’accepta sans réserve, et la mansarde du pauvre, le lit de l’orphelin, tant de misères secourues, pourraient nous raconter éloquemment ce que devient une grande fortune dans des mains comme les siennes. Elle fut la force de toutes les bonnes oeuvres, elle a passé en faisant le bien et elle meurt, laissant derrière elle comme un sillon lumineux tracé par sa bienfaisance. Pourrons-nous jamais oublier celte jeune femme sympathique et charmante, aimée de tous et si universellement regrettée. Nous la perdons à trente ans, dans l’épanouissement de sa grâce et de sa bonté ; du moins son souvenir restera ineffaçable » Notice nécrologique de  H. Dulong de Rosnay, 1879

 

33 Edmond Puyo, polytechnicien, Maire de Morlaix et artiste peintre

C’est un homme considérable à l’échelle de la ville. Maire de Morlaix de 1871 à 1878, il est aussi en 1878, président du tribunal de commerce de la ville, puis président de la chambre de commerce de Morlaix de 1881 à 1911. Un notable comme les aime Michel Bouquet. Mais derrière l’homme public et l’entrepreneur avisé, il y a aussi un homme privé, grand amateur de culture et qui aime les arts au point de créer en 1885 un musée toujours existant aujourd’hui : le musée des Jacobins, dont il sera le conservateur jusqu’à son décès.

 

Edmond Puyo

Alexis Douillard, Portrait d’Edmond Puyo, Huile sur toile, avant 1887 © Musée des Jacobins, Morlaix

 

Edmond Puyo est également le créateur de la Biliothèque municipale appelée aujourd’hui Bibliothèque des Amours jaunes

Bibliothèque Les Amours jaunes créée par Edmond Puyo © Collection particulière

 

L’amitié entre les deux hommes est profonde et ne se démentira pas

 

Hutte bretonne

Michel Bouquet, Hutte bretonne, lavis, signé, daté et dédicacé à Edmond Puyo,  1865 © Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

 

Edmond Puyo, créateur du musée de Morlaix

Quelle est la part de Michel Bouquet dans cette idée ? Nous ne ne saurons sans doute jamais, sauf à retrouver des lettres entre les deux hommes. Toujours est-il comme il sied entre deux amis habitués à ne jamais oublier les affaires, que nous avons retrouvé la trace d’un de ces échanges et il concerne le musée.

 

Michel Bouquet, Lettre à Edmond Puyo, 1er mai 1887 © Collection particulière

 

S’agit-il de l’objet ci-dessous ?

 

Un portrait de Michel Bouquet peint par Thomas Couture en personne

Thomas Couture, Portrait de Michel Bouquet, Huile sur toile, 55 x 46 cm, vers 1852 © Musée de Morlaix

 

Non, car Michel Bouquet a conservé cette toile chez lui jusqu’à sa mort. Mais il n’a pas oublié son ami Edouard Puyo et a fait don par legs de cette oeuvre au Musée des Jacobins de Morlaix, comme l’attestent les documents ci-dessous

 

Catalogue des tableaux, dessins, gravures et statues, Musée de la Ville de Morlaix, Rennes 1896 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Concernant cet achat réalisé par le musée de Morlaix, il s’agirait plutôt de l’huile sur toile Ile de Capri, un matin de février datée de 1882

 

Encore une fois, une étude de type ethnologique, un réalisme sans fard

Et pourtant quelle approche poétique de l’espace !

Michel Bouquet, Ile de Capri, un matin de février, Huile sur toile, 70 x 99 cm, Salon des artistes français de 1882 ©  Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

L’agencement du musée à la fin du XIXème siècle

Catalogue des tableaux, dessins, gravures et statues, Musée de la Ville de Morlaix, Rennes 1896 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

D’autres oeuvres de Michel Bouquet sont présentes dans ce musée  soient qu’elles aient été offertes directement au musée, soit à des membres de la famille Puyo qui en ont ensuite fait également don au Musée des Jacobins

 

Sous-bois à Fontainebleau

Michel Bouquet, Sous-bois à Fontainebleau, encre de Chine, s.d., Catalogue des tableaux, dessins, gravures, statues, exposées au musée de la ville de Morlaix, Rennes, 1896 ©  Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

Forêt de Fontainebleau en hiver, sans neige . Une thématique rare chez les paysagistes

Michel Bouquet, La forêt de Fontainebleau en hiver, crayon, lavis, s.d. , Catalogue des tableaux, dessins, gravures, statues, exposées au musée de la ville de Morlaix, Rennes, 1896 © Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

Paysage avec rivière et rochers

Michel Bouquet, Paysage avec rivière et rochers, crayon, lavis, s.d. , Catalogue des tableaux, dessins, gravures, statues, exposées au musée de la ville de Morlaix, Rennes, 1896 © Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

Bois au clair de lune

Michel Bouquet, Bois au clair de lune, Lavis à l’encre avec rehauts de blanc, s.d. Catalogue des tableaux, dessins, gravures, statues, exposées au musée de la ville de Morlaix, Rennes, 1896 © Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

Etang au clair de lune

Michel Bouquet, Etang au clair de lune, Lavis à l’encre avec rehauts de blanc, s.d. Catalogue des tableaux, dessins, gravures, statues, exposées au musée de la ville de Morlaix, Rennes, 1896 © Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

Y trouve-t-on la présence d’un chevreuil ?

Michel Bouquet, Forêt, Lavis à l’encre avec rehauts de blanc, s.d. Catalogue des tableaux, dessins, gravures, statues, exposées au musée de la ville de Morlaix, Rennes, 1896 © Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

 

Keremma

Michel Bouquet, Keremma, Finistère, Huile sur toile,  © Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

Le musée de Morlaix, dont Edmond Puyo en a été le Conservateur, installé dans l’ancienne église des Jacobins, existait depuis 1873, mais ce n’est qu’en 1887, grâce à un legs de 60 000 francs que lui fit M. le comte Ange de Guernisac qu’il a pu être aménagé de façon convenable et acquérir quelques œuvres assez importantes surtout d’artistes nés en Bretagne ou y vivant habituellement comme Bracassat, Léon de Bellée, Yan d’Argent, C. Bernier, A.-E. Bellet, Baader, Vernier, Michel Bouquet, Mme Elodie La Villette, etc.

Dans le courant de l’année 1890, année de décès de Michel Bouquet, le Musée de Morlaix a reçu en don le tableau suivant : Couture ( Th.) , Portrait du peintre Michel Bouquet ; étude pour le tableau Les Romains de la décadence, Legs Michel Bouquet. Mais aussi Les bords de l’Isole de C. Bernier, don de l’auteur, salon 1888, La fin d’un célibataire de Baader, don de l’auteur, Salon de 1890, Soleils, fin d’été, de J.C. Schuller, Salon de 1890, envoi de l’Etat, Journée de baptême, de Maurice Eliot, Salon de 1890, Don de Monsieur le baron Adolphe de Rothschild, membre de l’Institut, Bulletin des musées, mars 1891, p.210

 

34 Constant Puyo 1857 1933, polytechnicien et photographe créateur du pictorialisme, un continuateur de Michel Bouquet ?

Constant a 50 ans de moins que Michel Bouquet. Il est le fils d’Edmond Puyo, maire de Morlaix et propriétaire du château de Bagatelle où se rendait souvent Michel Bouquet.

Le peintre l’a connu dès 1867 jusqu’à sa mort en 1890, soit pendant au moins 20 ans. Au travers d’Edouard et d’Edmond, Michel Bouquet a pu initier le jeune enfant à la maîtrise du croquis au crayon, à l’équilibre des masses dans les paysages, aux oppositions de clair-obscur, d’ombre et de lumière, de netteté des premiers plans et des effets de flou ou de brume.

Dans les écrits techniques de Constant Puyo comme Du paysage in Notes sur la photographie artistique, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1896, pp. 20-21, on a l’impression que c’est un peintre qui donne des conseils techniques

« La question du ciel en photographie. Comme il n’est pas de tableau sans un effet et pas d’effet sans que le ciel en soit appelé à donner sa note…Il me semble en effet illusoire de compter tirer d’un paysage tout ce qu’il peut donner, si l’on n’a pas d’abord procédé à des reconnaissances dans un ordre d’idées détermine…

Etant donné que l’on dispose de deux éléments d’expression, la ligne et le ton, dont l’importance varie suivant l’idée de l’artiste, les genres de paysage se ramènent à deux :

Ceux où domine l’importance de la ligne, c’est-à-dire ceux qui valent principalement par la beauté du dessin

Ceux qui sans avoir de lignes bien typiques sont par là-même propres à servir à une combinaison de tons

… Le point du vue choisi, il reste à rechercher quelle atmosphère, quelle inclinaison du Soleil contribueront le mieux à faire valoir les lignes, à détacher les plans, faire fuir les lointains, à assurer en mot, la puissance et l’unité de la composition

 

Michel Bouquet, Bord de lagune animé, Huile sur toile, 18 x 30 cm, s.d.  © vente Antiquités catalogue, Château de Boisrigaud, Usson, France

 

On étudiera en même temps quel accessoire, être animé ou objet mobile, serait utile pour amener l’intérêt au point convenable. »

 

Michel Bouquet, Paysage côtier avec pêcheurs, huile sur toile, 27 x 37 cm, s.d. © vente www.dimanoinmano.it

 

Michel Bouquet, Paysage côtier avec pêcheurs, huile sur toile, 27 x 37 cm, s.d. © vente www.dimanoinmano.it

 

Ces paroles auraient pu être prononcées par le peintre Michel Bouquet… surtout le mot convenable. Constant Puyo cherche peut-être une voie pour contrer la  réflexion de Baudelaire qui en 1859 définissait la photographie comme la « très humble servante » de la peinture, car incapable d’aller vers l’art

 

Les conseils techniques de Constant Puyo

Constant Puyo, Notes sur la photographie artistique, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1896 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

 

Constant Puyo a photographié les lieux où aimait se promener le peintre Michel Bouquet

 

Vue du port de Roscoff

Constant Puyo, Vue du port de Roscoff, Photographie panoramique, aristotype, épreuve au citrate sur papier (Les tirages au collodio-chlorure,celloïdine, et au gélatino-chlorure, citrate, parfois appelés aristotypes, prennent le relais des papiers salés et albuminés), 6 x 18 cm, vers 1900 © Images-art, Musée d’Orsay

 

Vue de Venise vers 1890, année de la mort de Michel bouquet

Michel Bouquet, Vue sur le grand canal et Saint-Marc, Huile sur toile, 24 x 51 cm, s.d. © vente, Drouot, Paris, 19 janvier 1994 ; Constant Puyo, Venise, Photographie panoramique, aristotype, épreuve au citrate sur papier (Les tirages au collodio-chlorure,celloïdine, et au gélatino-chlorure, citrate, parfois appelés aristotypes, prennent le relais des papiers salés et albuminés), 6 x 18 cm, vers 1890 © Images-art, Musée d’Orsay

 

Cousin du poète Tristan Corbière, Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933 a également connu ce dernier jusqu’en 1975, soit jusqu’à l’âge de 18 ans. Constant Puyo bénéficie d’un milieu familial très ouvert sur les arts de toutes natures. On l’initie – son père Edmond, ou son oncle Edouard, ou encore Michel Bouquet – à la peinture et au dessin, et ceci très tôt.

Comme son père et son oncle, il entre à l’Ecole Polytechnique. Devenu officier – tout comme le peintre lorientais Charles Longueville – Constant Puyo continue à dessiner et à peindre. La découverte de la photographie se fera en 1882 lors d’un séjour en Algérie, que Michel Bouquet alors âgé de 75 ans aura eu le temps de lui conter dans son enfance, y ayant fait plusieurs séjours qu’il a couché sur des toiles comme en 1846 Les portes du désert, aux gorges d’El-Kantara, province de Constantine Huile sur toile, Salon de 1846, n° 223 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée

 

ou ces tentes arabes à Biskra dans le Constantinois

Michel Bouquet, Tentes arabes près de Biskra, province de Constantine, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence au grand feu, 30x51cm, signé et daté en bas à droite, Salon de 1875 © vente  lot 99, Rouillac Vendôme, 28 janvier 2013

 

 

Le goût de la photographie lui vient alors qu’il dispose déjà d’une solide formation picturale et d’un goût prononcé pour les techniques particulières de cet art.

En 1889, un an avant la mort de Michel Bouquet, Constant Puyo fait l’acquisition de son premier appareil photographique à l’Exposition universelle, à Paris. La photographie devient alors le prolongement naturel de ses dessins et croquis sachant que, comme Michel Bouquet, il avait pris l’habitude de réaliser des croquis de toutes sortes lors de ses voyages, et annotés, afin d’en garder des impressions colorées.

Puis Constant Puyo, fidèle à ses premières amours pour les procédés précis de l’art du dessin ou de la peinture va se livrer à de nombreuses études techniques qui vont aboutir à une véritable réflexion sur les liens entre l’art et la  photographie..

Son appétence marquée pour ces études – a contrario de la plupart des jeunes artistes qui aujourd’hui réfutent les longues études techniques –  en font un des  théoriciens des procédés et des méthodes qui contribuent à la maîtrise d’un artiste, en un mot de son métier. Pour cela il va utiliser ce qu’il a appris de ses trois initiateurs, dont un maître acompli en matière de technique picturale – Michel Bouquet – pour le transposer dans le domaine de la photographie.

 

En témoigne son ouvrage  Comment composer un paysage, paru en 1925

Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Comment composer un paysage, Paris, Montel, 1925 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Par la suite, il se servira de cette formation artistique dans les domaines du dessin et de la peintureen inventant divers procédés, qui vont essayer de lier techniques picturales et technologies photographiques, pour créer des oeuvres photographiques qui ne soient pas seulement un instantané du réel, mais une interprétation de ce réel par le photographe se transformant en artiste lors des différentes étapes du développement du cliché.

C’est la naissance de l’école pictorialiste française

Il ne s’agit plus de montrer le réel tel qu’il est mais de suggérer,  au travers des manipulations techniques de développement de l’image après la prise de vue, une véritable émotion esthétique qui ne désarçonne point les amateurs de peinture. On peut parler de photographie impressionniste.

 

Est-ce pour cela que l’on retrouve des caractéristiques de ces effets qui soulignent le parallèle entre l’utilisation technique de la peinture à l’huile ou sur faïence de Michel Bouquet, et le travail de création artistique de Constant Puyo sur une photographie, ainsi que des thématiques communes abordées par Michel Bouquet et que l’on retrouve dans l’oeuvre photographique de Constant Puyo ?

 

Technique photographique de la brume utilisée par Edouard Puyo

Conférence d’Edouard Puyo, L’art et la photographie, 12 février 1904, Bulletin des Sociétés photographes du nord de la France, mars 1904 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

 

Michel Bouquet 1807 1890, Vaches dans un pré, Peinture  sur émail cru stannifère, Faïence cuite au grand feu, 20 x 30 cm, s.d. © vente, Amiens, 1999 ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Bords de l’Oise, Photographie, traitement à la gomme bichromatée, 80 x 110 cm, 1900 © Images-art, Musée d’Orsay

 

 

Utilisation de plages contrastées de lumière

 

 

Michel Bouquet, Vaisseau en difficulté, Aquarelle, s.d. © Collection particulière ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Jeune femme sur la grève, Photographie, traitement à l’oléobromie, procédé consistant à remplacer l’image argentique par une image encrée à la main, 8,75 x 6,5 inches, 1927 © vente New York

 

Mises en situation de rives d’eaux calmes avec des roseaux

 

Michel Bouquet, Paysannes à l’orée de la forêt, Pastel, 38 x 58 cm, signé, s.d. © vente, lot n° 53, Chevau-Leger Encheres, Versailles, 24 mars 2019 ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Trois femmes au bord de la Seine, sur l’île d’Herblay, Photographie, traitement à l’oléobromie, procédé consistant à remplacer l’image argentique par une image encrée à la main, 16 x 21 cm, 1911 © images-art, Musée d’Orsay

 

 

Un traitement panoramique des montagnes et vallées

Michel Bouquet, Loch Awe, Lithographie, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, The Voder Rhein© Collection particulière

 

 

Comparaison entre la technique picturale de l’eau-forte et la technique photographique par Constant Puyo

Constant Puyo, Conférence, Bulletin de la Société havraise, in G. Salle dans la Revue Photographique de l’Ouest, janvier 1913, n°1 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

 

Thématiques communes : Femme orientale à la fontaine

Michel Bouquet, Petite mosquée à Ourlac, près de Smyrne, L’ Artiste, Revue de la littérature et des Beaux-arts, 1841, tome 7, p. 295 © National Library in Warsaw (Bibliothèque Nationale de Pologne, Varsovie) ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Femme orientale à la fontaine, Photographie, traitement à l’oléobromie, procédé consistant à remplacer l’image argentique par une image encrée à la main, 27 x 35 cm, 1900 © Collection aprticulière

 

 

Thématiques communes : les gardiennes de vache

 

 

 

Michel Bouquet, Scène pastorale, détail, Peinture sur email cru stannifère, Faïence au grand feu, 25 x 42 cm, 1868 © vente Pousse Cornet-Valoir, Orléans, 10 juin 2017 ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Gardienne de vache, Photographie sur papier, 9 x 12 cm, s.d. © Musée de Bretagne, Rennes

 

 

Comparaison entre la technique picturale de création des non-couleurs noires et blanches et la technique photographique par Constant Puyo

Constant Puyo, Conférence, Bulletin de la Société havraise, in G. Salle dans la Revue Photographique de l’Ouest, janvier 1913, n°1 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

 

Thématique et composition communes

Michel Bouquet 1807 1890, Côte rocheuse, Huile sur toile, 60 x 77 cm, signée en bas à gauche, dédicacée à Edouard Corbière, 7 décembre 1866 ©  vente Dupont, Morlaix,  25 juin 2018 ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Jeune femme sur la grève, Photographie, traitement à l’oléobromie, procédé consistant à remplacer l’image argentique par une image encrée à la main, 28 x 35 cm, 1915 © vente Paris, 16 mai 1998

 

 

Thématique et composition communes

 

Michel Bouquet, Marine, Etude d’après nature,  Peinture sur émail cru stannifère, Faïence cuite au grand feu, 26 x 40cm, signée et datée en bas à gauche, cuite chez Jules Loebnitz,  don de M. A. Bichet, 1901, 1872 © images-art, Musée des Arts décoratifs ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Bord de mer, 8 x 11 cm, Photographie, traitement à l’oléobromie, procédé consistant à remplacer l’image argentique par une image encrée à la main, 8 x 11 cm, 1906 © Los Angeles County Museum of Art

 

Thématique et composition communes

Michel Bouquet, Paysage d’hiver, Huile sur bois, s.d. © Collection particulière ; Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Paysage enneigé, Photographie, traitement à l’oléobromie, procédé consistant à remplacer l’image argentique par une image encrée à la main, 38 x 27 cm, 1924 © Collection partoculière

 

Autoportrait de Constant Puyo, à l’âge où Michel Bouquet vivait encore

Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Autoportrait, Photographie, épreuve à la gomme bichromatée, 20 x 15 cm, vers 1889 © Images-art, Musée d’Orsay

 

Un atelier photographique, celui de Constant Puyo qui ressemble beaucoup à un atelier de peintre, chevalet compris

Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Atelier de l’artiste photographe, © Images-art, Musée d’Orsay

 

 

Le goût de Michel Bouquet pour les paysages, les moeurs et les habitants de Roscoff se retrouve chez Constant Puyo

 

Habitants de Roscoff à la pêche à la crevette

Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, Roscoff, Pêche à la crevette, Photographie panoramique, Photographie panoramique, aristotype, épreuve au citrate sur papier (Les tirages au collodio-chlorure,celloïdine, et au gélatino-chlorure, citrate, parfois appelés aristotypes, prennent le relais des papiers salés et albuminés), 6 x 18 cm, vers 1889 © Images-art, Musée d’Orsay

 

Une réminiscence du peintre Michel Bouquet dans son atelier de Roscoff situé au premier étage, face à lumière du nord, à la mer et à l’Ile de Batz ?

Émile Joachim Constant Puyo 1857-1933, L’atelier du peintre, Photographie positive, © Images-art, Musée d’Orsay

 

Mais si la famille Puyo fait partie de l’univers de Michel Bouquet à Roscoff et à Morlaix, celui-ci s’évade aussi dans le domaine étonnant qu’est Keremma, comme nous  le verrons dans le chapitre suivant Les escapades à Keremma

Bouquet 25 Les réseaux : la haute bourgeoisie et l’aristocratie bretonnes