Bouquet 24 Lancer la station balnéaire de Roscoff

 

 

Bouquet 24 Lancer la station balnéaire de Roscoff

 

1 A tourist rooted in Roscoff, owner of a house by the sea, facing the island of Batz

2 The milieu of Roscoff artists at the time of Michel Bouquet: more than aggregated parallel trajectories

3 The writers Michel Bouquet frequented in Roscoff: Maillard, Mallefille, Alexandre Dumas

4 Roscoff, summer holiday resort for the English and Parisian aristocracy and upper middle class

5 Sales strategy, painting the spaces of their resorts: pursuing their dream of the shore in their Parisian castles and mansions

 

Michel Bouquet is considered to be one of the people who launched the Roscoff resort, and contributed to making this fishing and agricultural export port a seaside resort area for the Parisian elites from the 1860s. Most of the time only came in summer, from this same date.

1 Un touriste enraciné à Roscoff, propriétaire d’une maison au bord de la mer, face à l’île de Batz

2 Le milieu des artistes de Roscoff à l’époque de Michel Bouquet : des trajectoires parallèles plus qu’agrégées

3 Les écrivains que fréquentait Michel Bouquet à Roscoff : Maillard, Mallefille, Alexandre Dumas

4 Roscoff, villégiature d’été de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie  anglaise et parisienne

5 Stratégie de vente, peindre les espaces de leurs villégiatures : poursuivre leur rêve de rivage dans leurs châteaux et hôtels particuliers parisiens

 

Michel Bouquet est considéré comme l’une des personnes qui ont lancé la station de Roscoff, et contribué à faire de ce port de pêche et d’exportation agricole une aire de villégiature balnéaire pour les élites parisiennes à partir des années 1860. Lui-même n’y venait la plupart du temps qu’en été, à partir de cette même date.

 

1 Un touriste enraciné à Roscoff

La langue de terre sur laquelle est bâtie Roscoff est réputée pour la clémence de sa température en raison du Gulf-Stream, courant d’eau chaude qui passe non loin de cette localité.

C’est là, pour se rétablir d’une maladie qu’il acheta une maison et fit construire sur un rocher, en face de la mer et de l’île de Batz, son atelier.

 

Situation de la maison de Michel Bouquet face à l’île de Batz

Photographie aérienne de la maison de Michel Bouquet, 2018 © Google maps

 

Sables, graviers, galets, cailloux et rochers, le bonheur de l’amateur de pêche à pied qu’était Michel Bouquet

La flèche rouge indique la position de la maison de Michel Bouquet

Maison de Michel Bouquet face à l’île de Batz, Cartes au 1 / 50 000, 2020  © Géoportail

 

Maison de Michel Bouquet face à l’île de Batz, Carte au 1 / 25 000, 2020  © Géoportail

 

 

Maisons sur le port de Roscoff en 1857,

ligne de rivage sur la quelle trois ans plus tard Bouquet achètera sa maison

Furne, Tournier, Maisons sur le port, Roscoff, Photographie stéréoscopique sur support carton, 1857 © Musée départemental breton

 

En octobre 1860  –  il loge à cette époque au 77 rue Pigale à Paris  –   Michel Bouquet fait l’acquisition à Roscoff d’une grande maison pour un homme seul,  couverte en ardoises, comportant deux chambres au rez-de-chaussée, deux appartements au premier étage et un petit cabinet donnant sur une cour arrière.

 

Acte notarié d’achat de la maison de Roscoff par Michel Bouquet, 7 octobre 1860 © Martine Sellin, Michel Bouquet, Peintre et faïencier, Mémoire de maîtrise, Dossier iconographique, Université de Rennes II, 1990

Acte notarié d’achat de la maison de Roscoff par Michel Bouquet, 7 octobre 1860 © Martine Sellin, Michel Bouquet, Peintre et faïencier, Mémoire de maîtrise, Dossier iconographique, Université de Rennes II, 1990

 

En outre il dispose d’un grenier au-dessus de ces deux appartements, d’une cave avec ouverture sur la grande place, d’un jardin qui court jusqu’à la grève  –  il peut  contempler tous les jours l’île de Batz  –  ainsi qu’une dépendance, le tout pour la somme de trois mille cinq cents francs que Michel Bouquet règlera en une fois, sans emprunt, signe d’un niveau de vie très confortable, le salaire d’un ouvrier oscillant à cette période de 30 à 60 francs par mois.

 

Un paysage de 1858 que Michel Bouquet pouvait contempler de chez lui, deux ans plus tard en 1860

dont l’île verte, le chenal séparant Roscoff de l’île de Batz au fond, avec vue sur Créac’h ar Bolloc’h et Penn ar C’hleguer

Furne, Tournier, La grève à Roscoff et l’île de Batz, Photographie stéréoscopique sur support carton, 1858 © Musée départemental breton

Il est vrai que le Ministre d’Etat va lui verser huit jours plus tard un avoir sur une somme de mille cinq cents francs francs pour sa toile Le Vétéran à Concarneau qui lui avait été commandée par Napoléon III,  en souvenir du plus jeune frère de Napoléon Ier, nous voulons parler ici de l’ancien roi de Westphalie et Prince Jérôme Bonaparte, décédé la même année en 1860.

 

Direction des Beaux-Arts, Certificat de paiement du tableau Le vaisseau le Vétéran commandé par S.A.I. Le prince Jérôme entre dans la baie de Concarneau le 25 août 1806 à Michel Bouquet, 14 novembre 1862, Archives Nationales F 21 / 66 © Martine Sellin, Michel Bouquet, Peintre et faïencier, Mémoire de maîtrise, Dossier iconographique, Université de Rennes II, 1990

 

Les liens qu’entretient Michel Bouquet avec les milieux napoléoniens sont très étroits, voir à ce sujet son amitié avec le duc de Montebello

 

Portrait équestre de Jérôme Bonaparte

Jean-François Gros, Portrait de Jérôme Bonaparte, Huile sur toile, 321 x 265 cm, 1808 @ Château de Versailles

 

Le prince Jérôme entre dans la baie de Concarneau le 25 août 1806

Michel Bouquet, Le vaisseau le Vétéran commandé par S.A.I. Le prince Jérôme entre dans la baie de Concarneau le 25 août 1806, Huile sur toile, 82x117cm, Salon de 1861, n° 367 du livret du Salon, Commande de l’Etat, don de l’empereur Napoléon III, dépôt de l’état en 1875 © Musée des Beaux-arts de Brest

 

Michel Bouquet fait par la suite construire un chalet attenant à sa maison dans cet ancien nid de corsaires qu’est Roscoff, sur les rochers, toujours face à la mer et à l’île de Batz

 

Roscoff en 1857

Furne, Tournier, Maisons sur le port, Roscoff, Photographie stéréoscopique sur support carton, 1857 © Musée départemental breton

 

La maison de Michel Bouquet est derrière celle dont le promontoire avance le plus dans la mer à droite

Roscoff, Carte postale © Collection particulière

 

L’artiste  a reproduit un siècle plus tôt l’emplacement de sa demeure face aux flots

Michel Bouquet, Roscoff vue de la grève, Lavis d’encre noire, rehauts de blanc, 23 x 32 cm, A Monsieur du Temple, 1876 © Collection particulière

 

Par la suite, la maison étant peut-être un peu grande à son goût, ou désireux de percevoir des loyers de cette maison, il se fait construire un chalet attenant à la maison qu’il a achetée en 1860. Pour sa mise en oeuvre, il travaille de concert avec l’architecte Constant Puyo, fils du président du tribunal de commerce de Morlaix  –  un notable comme les aime à fréquenter Michel Bouquet, l’artiste étant lui-même à cette époque une notabilité reconnue sur le plan national et international  –  pour en établir les plans ainsi que le décor de la façade, qui est particulièrement original.

 

Le petit chalet de Michel Bouquet donnant sur l’île de Batz

Maison de Michel Bouquet, ancienne place Michel Bouquet, Photographie prise du clocher de l’Eglise Notre-Dame de Croas-Batz, années 1980 © Collection particulière

 

Sur la façade de cet chalet, Michel Bouquet a fait placer deux de ses faïences

Chalet de Michel Bouquet, Roscoff © Google 2018

 

Libres oiseaux dont l’hirondelle de mer, palmettes et feuilles de vigne

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Michel Bouquet, Détails des faïences de la façade avant de sa maison, Peinture sur email cru stannifère, faïence au grand feu, s.d. © www.roscoff-quotidien.eu

 

 

Le plus pratique pour Michel Bouquet était d’y venir en train de Paris où il résidait tout au long de l’année. Mais la ligne de chemin de fer n’avait atteint Rennes qu’en 1857, Guingamp en 1863 et enfin Morlaix en 1865. Et en fin de parcours la ligne de chemin de fer Morlaix-Roscoff n’avait été mise en service que le 10 juin 1883, 20 ans après celle de Quimper.

Une ligne de chemin de fer à laquelle un certain Yann Dargent a contribué en tant que chargé de faire des relevés topographiques pour la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest, avant que de devenir le peintre que l’on connaît. Yann Dargent habitait dans les années 1860 à Saint-Pol-de-Léon, à 1500 mètres de Michel Bouquet.

 

Bretons et rochers au bord de la mer

Jean Edouard Dargent dit Yann Dargent 1824 1899, Les dénicheurs, Paysans bas-bretons, Huile sur toile, 81 x 65 cm, s.d. © vente lot 72 ,Nordmann, Dominique, Paris,

 

La principale difficulté était le franchissement des abers, ces fleuves côtiers qui demandaient l’érection d’ouvrages de taille considérables

 

Villard Photographe, Ligne de chemin de fer de Morlaix à Roscoff, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 1882-1885 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Entretoises, laçages, treillis d’acier jetés sur les piles plantées sur le bord de l’obstacle topographique

Villard Photographe, Ligne de chemin de fer de Morlaix à Roscoff, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 1882-1885 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Contraintes de compression, noeuds de structure, fer, acier, rivets, la technologie du siècle de la Tour Eiffel

Villard Photographe, Ligne de chemin de fer de Morlaix à Roscoff, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 1882-1885 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Joindre l’esthétique à l’efficacité pour accompagner l’intégration de la structure dans le paysage

Villard Photographe, Ligne de chemin de fer de Morlaix à Roscoff, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 1882-1885 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Une ouverture de la Bretagne aux flux économiques qu’avait bien anticipée Brizeux

 

Le dernier de nos jours penche vers son déclin :
Voici le dragon rouge annoncé par Merlin !

Il vient, il a franchi les marches de Bretagne,
Traversant le vallon, éventrant la montagne.

Passant fleuves, étangs, comme un simple ruisseau.
Plus rapide nageur que la couleuvre d’eau…

Bientôt ils descendront dans les places des villes,
Ceux qui sur les coteaux chantaient, gais chevriers,

Vendant leurs libres mains à des travaux serviles,
Villageois enlaidis vêtus en ouvriers.

Pelage Auguste Brizeux, Histoires poétiques, VII – VIII, Lemerre, Paris, 1874 © Collection particulière

 

 

Au début de sa fréquentation des côtes du nord de la Bretagne et jusqu’en 1885, Michel Bouquet devait donc se contenter des voitures à chevaux à partir de Rennes, puis de Morlaix.

 

La gare de Morlaix

Gare de Morlaix, Carte postale, vers 1890 © Collection particulière

 

Les voitures attendant les passagers, dont Michel Bouquet qui les a utilisés de 1860 à 1885

Gare de Morlaix, Carte postale, vers 1890 © Collection particulière

 

Le voyage devait être long, sachant qu’un Paris Roscoff en train se faisait en 10 heures en 1900.

La gare de Roscoff vers 1900

La gare de Roscoff, Carte postale, vers 1900 © Collection particulière

 

C’est à Roscoff et dans cette maison qu’il va créer une certain nombre de ses oeuvres, qui quittent le domaine du paysage stricto sensu. Nous découvrons ici une thématique très rare chez lui, la nature morte.

 

Des bouquets de fleurs en hommage aux jeunes femmes

Jamais Michel Bouquet n’a été indifférent à la gente féminine

Michel Bouquet, Fleurs, aquarelle, 47 x 38 cm, signé, daté et dédicacé en bas à gauche, A Mademoiselle L. Bouchotte, Souvenir de sa visite à Roscoff, 1er août 1878 ©  Collection particulière

 

A l’ombre des jeunes filles en fleur

Michel Bouquet, Fleurs, aquarelle, 47 x 38 cm, signé, daté et dédicacé en bas à gauche, A Mademoiselle L. Bouchotte, Souvenir de sa visite à Roscoff, 1er août 1878 © Collection particulière

 

 

Une approche romantique qu’il a bien connue dans sa jeunesse

Michel Bouquet, Clair de lune sur l’étang, Lavis d’encre avec rehauts de blanc sur papier gris, 20 x 15 cm, signé, daté et dédicacé en bas, A Mademoiselle Denis, Souvenir de sa visite à Roscoff, 1er janvier 1871 © Collection particulière

 

 

Michel Bouquet, Marine, Lavis d’encre noire sur papier blanc, 21 x 32 cm, Signé, daté et dédicacé en bas à gauche, à Mademoiselle Andrée Paqué, Roscoff © Collection particulière

 

Livre d’or de Mademoiselle André Paquet, Livre relié cuir et tapisserie, 23 x 37 cm, Collection particulière, A l’intérieur de nombreuses dédicaces dont un texte manuscrit de Michel Bouquet,  Le chêne et le Catalpa, Fable, à Mademoiselle André Paquet, Roscoff , octobre 1883, et trois dessins de Michel Bouquet.

 

Mais Michel Bouquet va naturellement aussi croquer les paysages du port et des environs de Roscoff

 

Le port de Roscoff

Michel Bouquet, Roscoff vue de la grève, Lavis d’encre noire, rehauts de blanc, 23 x 32 cm, A Monsieur du Temple, 1876 © Collection particulière

 

Le même espace quelques années plus tard

Album de Blanche Galliard, née Vickers 1861 1930, Cale du Vil, Roscoff, s.d.  © Collection famille Vickers-Galliard-Brissaud

 

1885 Michel Bouquet, Paysage, Huile sur toile, 61 x 50 cm, Provenance ancienne auberge Le Gad, Collection particulière, Oeuvre non retrouvée

1886 Michel Bouquet, Marine, Lavis d’encre noire sur papier blanc, 21 x 32 cm, Dédicacé à Mlle Andrée Paquet, Roscoff, Oeuvre non retrouvée

 

Croquer le pittoresque local : les rochers de Roscoff

Rochers de Roscoff, Carte postale © Collection particulière

 

Il y ajoute quelques reliefs accentués pour équilibrer la composition

Michel Bouquet, Plage et rochers, Lavis et rehauts de gouache, 17 x 25 cm, A mon ami le docteur Frenoy, s.d. © vente lot 79, de Maigret, Paris, 2019

 

Michel Bouquet, Plage et rochers, Lavis et rehauts de gouache, 17 x 25 cm, A mon ami le docteur Frenoy, s.d. © vente lot 79, de Maigret, Paris, 2019

 

 

Montrer la physionomie d’un port de pêche breton face à l’île de Batz

et clin d’oeil, sa maison en bout des murailles donnant sur la mer

Michel Bouquet, Vue de Roscoff et de l’île de Batz à marée basse, Huile sur panneau, s.d. © Collection particulière

 

 

2 Le milieu des artistes de Roscoff à l’époque de Michel Bouquet : des trajectoires parallèles plus qu’agrégées

De nombreux artistes, peintres ou écrivains se sont agrégés au nid rocheux de Roscoff au fil des années. Michel Bouquet devait en connaître la plus grande partie. Il est certain que de nouveaux rapins en provenance de Paris n’hésitaient pas à lui rendre visite pour profiter de sa connaissance du pays.

La plupart du temps les artistes se recevaient les uns chez les autres ou faisaient table commune dans un des restaurants de la ville dont celui de chez Gad

 

Portrait du frère du propriétaire du restaurant Henri Le Gad

Anonyme, Portrait du frère de Henri Le Gad, Hôtel et café des bains de mer, Table d’hôte, Billard, Pâtisserie, Roscoff ©  Marthe Le Clech ;  François Yven, Tristan Corbière : la métamorphose du crapaud, Plourin-lès-Morlaix, Bretagne d’hier, 1995

 

Hôtel et café des bains de mer

Album de Blanche Galliard, née Vickers 1861 1930, Cale du Vil, Roscoff, s.d.  © Collection famille Vickers-Galliard-Brissaud

 

Un des membres de cette institution, l’écrivain Félicien Mallefille, le précepteur des enfants de George Sand, que nous retrouverons par la suite

Nadar, Portrait de Félicien Mallefille, Photographie, Photographie, papier baryté avec tirage argentique, 22 x 16 cm, © Musée George Sand et de la Vallée Noire, La Châtre, inv. MLC 1967.1.105

 

l’homme qui avait retenu de ses lectures de Waldo Emerson la devise : fais toujours ce que tu as peur de faire – et l’appliquait consciencieusement avec son bateau l’Eulalie – , lui et Firmin Maillard qui séjournaient depuis longtemps à Roscoff se plaignent d’ailleurs de cette prolifération rapine.

« Avec le temps, tout arrive et les peintres, dont Mallefille ne cessait de craindre l’invasion, arrivèrent aussi, puis des gens de Quimper et de Brest, nous fûmes envahis ; le cercle s’élargit et, ce que ne voulait pas Mallefille, le sans-façon, c’est-à-dire l’odieux sans-gêne, y régna en souverain ; notre table devint une table d’hôte vulgaire, un nid à potins, à luttes, à rivalités et à tout ce qu’une petite table d’hôte peut entraîner avec elle de désagréable. Mallefille, qui avait jusque là fait la salade, se vit déposséder de ce glorieux emploi.

Aussitôt le café pris, on fumait sans attendre que les dames fussent rentrées chez elles, ce qu’elles ne se pressaient pas de faire…adorant, disaient-elles, l’odeur du tabac…toutes choses que Mallefille trouvait peu convenable.

Mes vieux amis, les peintres Michel Bouquet et Joseph Roux, disaient de Mallefille : c’est un tyran de table d’hôte, il opprime la table, et Bouquet poussait à l’insurrection.

La table était souvent plus gaie, plus amusante, et Mallefille lui-même y rit de bon coeur plus d’une fois, mais cela ne l’empêchait pas de me dire avec mélancolie : ah ! notre petit intérieur est bien changé, heureusement que notre Eulalie nous reste, et nous filions à bord du bateau ». Firmin Maillard, Ombres et fantômes, Profils disparus, Félicien Mallefille, Revue biblio-iconographique, 1906, p 426

 

heureusement que notre Eulalie nous reste, et nous filions à bord du bateau

Album de Blanche Galliard, née Vickers 1861 1930, Voilier dans le chenal de l’île de Batz, Roscoff, s.d.  © Collection famille Vickers-Galliard-Brissaud

 

Entre 1860 et 1890, de nombreux artistes ont eu soit l’occasion de faire un bref séjour à Roscoff, soit d’y établir leurs quartiers pendant la belle saison, soit d’y résider en permanence pour quelques années. Nous n’en aborderons pour l’instant que quelques-uns d’entre eux

 

Louis-Marie Baader, 1828-1920, célibataire comme Michel Bouquet, 21 ans de moins que lui

Louis-Marie Baader,  Autoportrait, huile sur toile, 32 x 40 cm, 1867  © Musée de Morlaix ; Louis-Marie Baader, Le rappel des abeilles, Huile sur toile, 116 x 186 cm, 1865 © images-fr, Musée de Rennes, Photographie Jean-Manuel Salingue ; Louis-Marie Baader, Portrait d’une femme en coiffe d’Ille-et-Vilaine, Huile sur toile, © images-fr

 

Le breton Jean-Louis Hamon, né à Plouha, Côtes d’Armor, 14 ans de moins que Michel Bouquet.

 

Jean-Louis Hamon.jpg

Jean-Louis Hamon, 1821-1874, Autoportrait , Huile sur toile, 19 x 24 cm, s.d. © Musée national Magnin, Dijon

 

Une peinture étrange, à redécouvrir

Jean-Louis Hamon, 1821-1874, Passé et Avenir, Gouache, 40 x 50 cm cm, s.d. © vente lot 71, Aguttes 2020

 

Un peintre écologiste avant la lettre

Jean-Louis Hamon, 1821-1874, Aurora , Huile sur toile,112 x 81 cm, 1864 © vente Christie’s 2019 ; Jean-Louis Hamon, 1821-1874, La ruche, Huile sur toile, 23 x 50 cm, s.d. © vente 2008

 

C’est un breton, ce qui rapproche les deux hommes, mais surtout Jean-Louis Hamon est né à Plouha, lieu d’une particularité historique à laquelle Michel Bouquet était éminemment sensible « Plouha même est un bourg assez triste. Une population étrange l’habite : ces marins, ces pêcheurs, ces journaliers de la glèbe portent presque tous la particule : ce sont les descendants d’anciens nobles jacobites, dépouillés de leurs biens, proscrits avec les Stuart, et qui vinrent se terrer là peu après. Il leur fallut, pour vivre, adopter les façons des simples paysans : Noblans Plouha, noblans netra, « noblesse de Plouha, noblesse de rien », dit encore un proverbe breton » in Charles Le Goffic , L’Âme bretonne, Paris, Champion, 1902

Il était d’extraction très modeste nous dit toujours Charles le Goffic « On voit encore, à Lanloup, le petit chaume branlant où Jean-Louis vint au monde, son toit de glui moussu, son pignon quadrillé à la chaux, sa porte basse et son unique fenêtre. »

Si Jean-Louis Hamon a exercé de 1848  à 1852 ses talents de décorateur à la manufacture de Sèvres, Michel Bouquet n’y a travaillé pour la première fois qu’en 1860. Il est donc fort peu probable que les deux hommes aient eu l’occasion de s’y connaître. On sait que les deux artistes ont eu maintes fois l’occasion de se rencontrer. Dès sa réussite sociale mieux assise, Jean-Louis Hamon finit par prendre ses repas chez Lafitte qui était le repaire des artistes plus fortunés, et Bouquet était un habitué des lieux.

En 1852 le tableau de Jean-Louis Hamon La comédie humaine lui fait acquérir la célébrité d’un seul coup. Une autre de ses toiles Ma soeur n’y est pas a été achetée en 1853 par Napoléon III en personne, ce qui en faisait un personnage à côtoyer pour Michel Bouquet. Toujours l’art de s’immiscer dans la réussite picturale en vogue..

Toujours est-il qu’à Roscoff, ou bien avant dans le cadre du château de Kérouzéré, les deux artistes devaient échanger sur la technique de peinture avec des oxydes sur cette matière particulière qu’est la peinture sur faïence que l’on va cuire au grand feu.

De 1860 à 1867 Jean-Louis Hamon vit en Italie à Rome, puis essentiellement à Capri. Est-ce ce qui décidera Michel Bouquet à s’y rendre quelques années plus tard ?

 

Ile de Capri, un matin de février

Michel Bouquet, Ile de Capri, un matin de février, Huile sur toile, 70 x 99 cm, Salon des artistes français de 1882 ©  Musée de Morlaix, photographie Isabelle Guegan

 

 

Edouard-Alexandre Sain, 1830-1910, 23 ans de moins que Bouquet, pas vraiment le portrait d’un peintre prolétaire, mais c’est ce milieu que Michel Bouquet affectionne. Il voyageait beaucoup et tout comme Michel Bouquet et Tristan Corbière il s’est rendu à Capri et à Pompéi.

Carjat, Portrait d’Edouard-Alexandre Sain, Photographie, s.d. © RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski ;  Edouard-Alexandre Sain, Enfants en bord de mer, 56 x 43 cm, Huile sur toile, Biarritz 1861 © vente Catawiki 2018

 

Il est outre de nombreux portraits de femmes, l’auteur d’un tableau qui nous renseigne sur les techniques de déblaiement de fouille  –   majoritairement des femmes tout comme à l’heure actuelle  –   à Pompéi au XIXe siècle. Un thème que Michel Bouquet, qui s’est certainement rendu sur les lieux, n’a jamais abordé.

http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0539/m506004_88de1040_p.jpg

Edouard-Alexandre Sain, Fouilles à Pompéi, Huile sur toile, 120 x 170 cm, 1865 © Images-art.fr

 

 

Gaston Lafenestre 1840 1877 – 33 ans de moins que Michel Bouquet –  a longtemps habité à Barbizon qu’il quitta quelques années pour séjourner à Roscoff.

Un très jeune artiste que Michel Bouquet, fidèle à son habitude de fréquenter les jeunes talents, côtoyait à Roscoff – hélas il est mort également très jeune – n’ayant pas atteint ses 37 ans. Il a pu rencontrer Michel Bouquet soit à Barbizon, à Fontainebleau ou par l’intermédiaire du peintre animalier Charles Jacque, un ami de Michel Bouquet dont Gaston fut un élève et qui lui a appris à peindre des moutons

Gaston Lafenestre, Bateaux près d’un môle à marée basse, Huile sur toile, 12 x 9 cm, au dos Choisi par Sa Majesté l’Impératrice ( Eugénie femme de Napoléon III)  pour le Prince impérial ( Eugène fils de l’impératrice et de Napoléon III ), 1867 @ vente lot 27, Drouot, 2020 ; Gaston Lafenestre, Mer à marée basse, Huile sur panneau, 61 x 50 cm, s.d. © vente ebay 2019

 

 

Camille Dufour 1841 1933 , 34 ans de moins que Michel Bouquet, gendre de Charles Jacques  –  décidément  –  a une prédilection pour les mêmes thèmes que l’artiste peintre et céramiste.  Il habitait 29 rue des martyrs à Paris, à 300 mètres de l’appartement parisien de Michel Bouquet

 

Camille Dufour, Lavandière au cours d’eau, Huile sur toile, 73 x 100 cm, s.d. © vente lot 331 Mercier et Cie, Lille 2018

 

 

Joseph Roux

Ce peintre est cité un peu plus haut par Firmin Maillard, Ombres et fantômes, Profils disparus, Félicien Mallefille, paru en 1906.

Mais de quel Joseph Roux s’agit-il ?

 

le paysagiste et peintre des petites gens Joseph Roux né à Gray en 1832 ? qui suit d’abord les cours de l’École de beaux-arts puis entre à l’atelier de Couture où il a pu faire la rencontre de Michel Bouquet. Décidément nombreux sont les artistes autour des années 1850 et 1860 qui gravitent autour de Couture !..Il n’est que de signaler un certain Manet

 

Michel Bouquet par Thomas Couture

Michel BOUQUET

Thomas Couture, Portrait de Michel Bouquet, Huile sur toile, 55 x 46 cm, inv. n°427, entre 1843 et 1846 © Musée de Morlaix

 

Il réalise La Fin d’un Pardon, une scène bretonne qui figura au Salon de 1863 et fut acquis par l’État, ainsi qu’une autre oeuvre portant sur la Bretagne Jeune fille sur la falaise à Douarnenez 

 

ou bien Paul Roux, né Paul-Louis-Joseph Roux 1851 1918 ?

Ses maîtres successifs on été tout d’abord son père, Louis Roux, puis Alexandre Cabanel et enfin Henri Harpignies. Depuis 1870 il expose au Salon où Michel Bouquet l’é nécessairement vu, attentif qu’il est aux productions de ses rivaux paysagistes. Son évolution artistique était prévisible avec les deux derniers aux approches picturales si différentes, l’un de tradition purement académique, l’autre partisan de la peinture en plein air que Michel Bouquet pratiquait depuis 1837

 

Bord de mer, Quiberon

Paul-Louis-Joseph Roux, Bord de mer, Quiberon, Aquarelle, 1903 © Vente Catawiki, 2018

Paul-Louis-Joseph Roux a exercé son art en plein air dans la forêt de Fontainebleau, en région parisienne, en Normandie et en Bretagne, tous lieux que Michel Bouquet a parcouru en tous sens. Il voyage également en Angleterre, arpente les bords de la Tamise, qu’il expose au Salon en 1882, tout comme Michel Bouquet.

 

Bateaux chargés de foin sur les bords de la Tamise

Michel Bouquet, Bateaux chargés de foin sur les bords de la Tamise, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence cuite au grand feu, 50 x 60 cm, 1875 ©  Musée de Fécamp

 

 

Emile Vernier 1829-1887 l’amoureux des bords de mer et de leurs populations au travail.

Émile Louis VERNIER, Retour de pêche, le séchage des filets, Huile sur toile , 42 x 70 cm, s.d. © vente lot 170, Osenat, 2017 ; Émile Louis VERNIER, Le retour de pêche, ramendage des filets, Huile sur bois , 4 x 29 cm, s.d. © vente ebay galerie Nicolas Vanneste, 2020

Jaroslav Cermak habite Venelle du Quélen à moins de 400 mètres de la maison de Michel Bouquet.

Ian Vilimek, Portait de Jaroslav Cermak, Album tchèque, 1890 © Bibliothèque nationale de la république tchèque, Praque

VILÍMEK, Jan. Jaroslav Čermák. In: VILÍMEK, Jan a RAIS, Karel Václav, ed. České album: sbírka podobizen předních spisovatelů a spisovatelek českých, učenců, mužů i žen práce, kteří život svůj zasvětili povznesení národa svého [online]. V Praze: Jos. R. Vilímek, [189- ] [cit. 2019-04-24]. S. 59. Accessible dans la Bibliothèque numérique Kramerius, Bibliothèque nationale de la République tchèque: http://kramerius.nkp.cz/kramerius/handle/ABA001/12223127.

 

 

Elève du belge Gustave Wappers que Michel Bouquet connaissait, Jaroslav Cermak a voyagé comme Michel Bouquet dans l’empire ottoman et plus particulièrement dans les Balkans, mais une dizaine d’années après le passage de Michel Bouquet dans cette région, voir L’album valaque , de quoi alimenter les discussions en soirée. De nombreuses oeuvres de Jaroslav Cermak portent sur cet espace géographique balancé entre chrétiens et ottomans

Jaroslav Cermak, Jeune monténégrine, Huile sur toile, 35 x 25 cm, 1865 © Galerie coopérative, Prague ; Jaroslav Cermak, Une Razzia de bachibouzouks dans un village chrétien de l’Herzégovine, Huile sur toile, 190 x 250 cm, 1861 © Dahesh Museum of Art, New York, 2000.19

 

Nous verrons plus loin dans le chapitre consacré aux relations entre Tristan Corbière et Michel Bouquet que ce trio se connaissait très bien, Cermak ayant même fait l’acquisition du bateau de Tristan Corbière, Le Négrier.

 

 

3 Les écrivains que fréquentait Michel Bouquet à Roscoff

 

31  Brizeux

Le neveu de Michel Bouquet, Eugène Le Roux  nous assure dans plusieurs passages de son livre qu’il était un ami de Brizeux. Le tient-il de la bouche même de Michel Bouquet ? Ou a-t-il écrit ceci pour magnifier le contenu de son ouvrage auprès des Lorientais, la tombe de Brizeux étant située dans cette ville ?

 

Eugène Le Roux, Aux Lorientais, Michel Bouquet peintre et céramiste, Lorient, Baumal 1894 © Médiathèque des Champs Libres, Rennes

 

Eugène Le Roux écrit « Le Breton devait vite reparaître, obéissant à cette force également ressentie par son ami Brizeux », p. 15 et plus loin « Roscoff.  C’est là que, pour rétablir sa santé, il se construisit un nid où, de temps à autre, Brizeux venait s’asseoir et lui raconter ses projets, ses espoirs ».

Ceci est impossible : Michel Bouquet a acheté sa maison en 1860 et Brizeux est mort en 1858.

Pourtant Eugène Le Roux insiste « Alors s’établissait entre les deux camarades d’enfance un échange d’idées et de sentiments. Qui dit peintre en dit-il pas aussi poète , et pour émouvoir, tous deux ne se servent-ils pas de la palette, chargée pour l’un des couleurs malléables  qui se transforment en nuances, pour l’autre des mots et des rimes, ces nuances de la pensée ? Alors le fluide du poète passait dans l’âme du peintre qui parfois s’essayait à esquisser des vers pour occuper ses loisirs de célibataire déjà vieillissant ; car, de même que ses deux célèbres compatriotes, Brizeux et Bodélio, Bouquet s’était voué au célibat. » p. 29.

Peut-être se sont-ils revus dans les différents lieux finistériens fréquentés par Michel Bouquet avant 1860, dont le manoir de Kerouzéré ? Ce terme apparaît une fois dans les Devises de Brizeux. Mais est-ce suffisant pour avancer qu’il y a fait un séjour ?

 

Le château de Kérouzéré

Furne, Tournier, Le château de Kerouzéré, Vue prise des jardins, Photographie stéréoscopique sur support carton, 1857 © Musée départemental breton

 

Brizeux et Bouquet n’ont que quatre ans d’écart ; il est possible qu’ils se soient connus enfants à Lorient, la maison de Brizeux n’étant située qu’à une centaine de mètres de celle de Michel Bouquet, et Brizeux n’ayant été exilé par sa mère à Arzano qu’à l’âge de 13 ans. La mère de Brizeux ayant épousé en secondes noces un négociant de Lorient, Jacques Boyer, elle devait être en contact avec ce milieu dont faisait partie le père de Michel Bouquet. Par la suite Brizeux est revenu à Lorient entre 1822 et 1824 pour occuper un emploi dans une étude d’avoué, puis dans le port ; en 1822 Brizeux a 18 ans, Bouquet 15. En outre Michel Bouquet a fréquenté le même cercle artistique et littéraire que le demi-frère de Brizeux, Ernest Boyer, situé à l’équidistance entre les deux maisons. Il est possible qu’il ait rencontré Brizeux dans ce cadre.

Bouquet a-t-il connu Brizeux à Paris puisqu’ils fréquentaient tous deux les milieux artistiques et littéraires ? C’est possible, voire probable vu l’engagement des deux hommes envers la Bretagne et leur fréquentation des milieux bretons parisiens, mais à ce jour cela n’est pas certain.

Un autre indice de l’estime que nourrissait Michel Bouquet à l’endroit du chantre littéraire de la Bretagne, c’est la reprise d’un poème lyrique de Brizeux issu des Ternaires, Fleur d’Or publié en 1841 dans la pièce de théâtre Le Loup et le Chien, comédie en deux actes qu’a présentée Michel Bouquet au Havre en 1856.

En tout cas l’argument le plus probant de la réalité de leur relation amicale apparaît dans la dédicace du poème Les Îliennes de Brizeux qui est intitulée À Monsieur Michel Bouquet, peintre in Auguste Brizeux, Histoires poétiques, Alphonse Lemerre, 1874, pp. 191-194, ouvrage que Brizeux a fait paraître en 1855, ce qui signifie qu’ils se connaissaient avant cette date.

Brizeux qui devait écrire le départ de son propre corps pour Lorient « Le cercueil va partir pour Lorient. Ce pauvre corps, que j’ai vu tant souffrir, reposera sous la terre de Marie ; l’âme est dans une autre Bretagne, en des mondes meilleurs, avec Platon, Virgile, saint Jean, Raphaël, saint Corentin, patron de Kemper, et saint Cornéli, patron des bœufs.  Une approche intellectuelle que devait partager Michel Bouquet.
Nous ignorons s’il a assisté à la mise en terre de Brizeux, mais il existe un signe supplémentaire du lien particulier qui reliait les deux hommes : en 1888 Michel Bouquet est l’un des deux délégués bretons envoyés au nom de la Société littéraire et artistique la Pomme par le président M. Christophe, gouverneur du Crédit foncier, et ce à l’occasion de l’érection de la statue du poète Brizeux.

 

32  Félicien Mallefille et Firmin Maillard

Dans Ombres et fantômes, profils disparus, paru en 1868 Firmin Maillard relate une conversation entre lui-même, Félicien Mallefille et Michel Bouquet.

Félicien Mallefille était doté d’une forte personnalité. Sa vie fut une lutte continuelle contre la pauvreté. A la fin, retiré dans son petit ermitage de Cormier en Bougival, il vit enfin venir à lui le succès avec Les Sceptiques, quand la mort vint le prendre en 1868 à l’âge de 54 ans.

Si Félicien Mallefille était un romancier cf La confession du gaucho 1865, il était également auteur de pièces de théâtre souvent dramatiques dans l’esprit de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas, et d’un opéra en trois actes, David.

Alexandre Dumas s’était d’ailleurs associé avec lui pour écrire Crimes célèbres.  Théophile Gautier lui consacra une courte biographie dans le Moniteur du 30 novembre 1868, qui parut plus tard dans son Histoire du romantisme, Charpentier, Paris, 1874.

Quant à Firmin Maillard, il exerçait la profession d’homme de lettres. On lui doit une satire mordante sur le milieu littéraire de son temps, La cité des intellectuels, 1864, un ouvrage sur la bohême parisienne, notamment sur Murger, que Bouquet connaissait très bien et une surprenante étude des gibets, échelles, piloris, marques de haute justice, droit d’asile, fourches patibulaires de Montfaucon, 1863. Ajoutons à cela un récolement des Publications de la rue pendant le siège de la Commune, satires, canards, complaintes, chansons , placards et pamphlets, 1874 et des Recherches historiques et critiques sur la morgue,1860 et on peut prendre la mesure de l’originalité de cet homme.

Maillard

 » J’étais au manoir de Kersaliou, près de Saint-Pol-de-Léon, lorsque je reçus la nouvelle de sa mort ( de Mallefille ) .

Ce jour là, je m’acheminais tristement vers Roscoff, revoyant ces lieux où nous nous étions promenés si souvent ensemble, je passais l’île de Batz, témoin de nos luttes avec la mer,  j’allais au petit cimetière, ce cimetière qui renferme tant de tombes vides et où il nous arriva de nous rencontrer un soir à l’occasion de je ne sais quelle fête religieuse, Mallefille, le peintre Michel Bouquet et moi.

Oh ! Rassurez-vous, nous allions y voir les îliennes que Bouquet nous avait signalées comme étant charmantes avec leur grand Kebellius, ample manteau de drap noir d’un aspect sévère, et leurs gracieuses jobelinens, coiffes

 

Toutes, disait Bouquet.

 Le Deley Ernest Editeur, Jeune fille de l’île de Batz, Carte postale, Procédé photomécanique sur papier cartonné, 14 x 9 cm, Morlaix, s.d. © Musée de Bretagne, Rennes, numéro d’inventaire : 2016.0000.1623 

 

 

Quelques-unes, acquiesçait Feyen-Perrin qui s’y connaissait mieux que le vieux paysagiste.

Editions VJ, Jeune fille de l’île de Batz, Carte postale, Procédé photomécanique sur papier cartonné, 14 x 9 cm, Morlaix, s.d. © Musée de Bretagne, Rennes, numéro d’inventaire : 2016.0000.1615

 

 

On nous rencontrait rarement tous les trois réunis, Mallefille et Bouquet n’éprouvaient absolument aucun charme à être ensemble.

– Ce vieux Rapin va nous gâter notre promenade, murmurait Mallefille

– et Bouquet me disait tout bas : votre vieux voltigeur de 1830 une fois sortie de sa friperie romantique, ne va rien comprendre à ces belles filles qui, certains jours de la semaine, pétrissent de leurs blanches mains, les manches relevées jusqu’aux coudes, les gâteaux de bouse de vache qu’elles font sécher au soleil afin d’en faire un combustible qui leur servira à confectionner ces bonnes crêpes de blé noir.

Quant à moi, entre ces deux particuliers, je remplissais le rôle de tampon. Rôle peu enviable comme chacun sait et qui me fait sourire au moment où j’écris ces lignes, en me rappelant un mot que mon vieil ami Arthur Ranc ne cessait de répéter à tout venant pendant la commune : tamponnons mon frère ! Tamponnons. Et bien, entre Mallefille et Bouquet je tamponnais déjà.

 

 

 

 

 

 

Nadar, Portrait de Félicien Mallefille, Photographie, Photographie, papier baryté avec tirage argentique, 22 x 16 cm, © Musée George Sand et de la Vallée Noire, La Châtre, inv. MLC 1967.1.105 ; Bayard et Bertall, Portrait de Michel Bouquet, épreuve sur papier albuminé à partir d’un négatif verre, contrecollée sur papier canson, 10x6cm, avant 1866 © Images-art.fr, Musée d’Orsay

 

 

Je mis sur le tapis quelques légendes bretonnes familières à Michel Bouquet qui se prit de suite au piège et entama la légende du Grand capitaine Guéguen. Bouquet terminait invariablement par ces mots : du vaisseau, des hommes de l’équipage du capitaine, il n’est rien resté. Il souligna cela d’un geste vulgaire en faisait claquer son ongle contre sa dent, et ajoutait : je vous dis qu’il n’en est pas resté ça !

– Il en est toujours resté de souvenirs, dit gravement Mallefille.

– Pas même, s’écria Bouquet entraîné, il n’y a plus que moi qui se souvient de lui, je suis seul encore à savoir où est sa tombe vide. Et du doigt, il indiquait un coin du petit cimetière.

 

Mallefille, poursuivant son idée clamait ces vers de Hugo :

 

Oh combien de marins, combien de capitaines

Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines

…………………………………………………………..

Combien ont disparu, dure et triste fortune !

Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,

Sous l’aveugle Océan à jamais enfouis…

 

– J’ ai su cette pièce là jadis et vous aussi Firmin, certainement

– Je la connais, mais il ne m’en reste plus que quelques hémistiches flottants dans la mémoire

– Essayons, à nous deux, dit Mallefille, nous parviendrons peut-être à la reconstituer ?

 

– Oui, il vous faut du ronflant à tous les deux, dit Bouquet, qui était devenu rêveur. En attendant, si vous vouliez me le permettre, je vous réciterai une pièce de vers qui vaut toujours mieux que la vôtre et que vous, Mallefille, ne connaissez pas, probablement.

– Un défi ! S’écria Mallefille ! Accepté! Allez-y, je vous ferai remarquer que vous nous avez coupé la parole, mais cela ne fait rien et nous vous accorderons tout ce que vous voudrez, à la condition de ne plus répéter ce que vous venez de dire : ce qu’il vous faut à vous deux, c’est du ronflant. Et à propos du plus grand de nos poètes, vous avez quelquefois des expressions vraiment malheureuses pour vous ; qu’un vulgaire épicier dise qu’il n’aime pas le ronflant en poésie ! mais vous, un peintre, un artiste distingué ! Ce dernier mot semblait lui déchirer la gorge, et il ajouta vite : et bien, allons, dites votre pièce, nous l’écouterons avec attention, sans le moindre bâillement, ni ronflement et nous la jugerons en toute justice, Firmin et moi.

– Oh ! Firmin la connaît, je la lui ai récitée

– Quelquefois, ajoutai-je

– Là, vous voyez, il veut déjà me faire passer à vos yeux pour un raseur, quel aréopage !

– Non, mon vieil ami, je l’ai toujours entendue et je l’entendrai aujourd’hui avec plaisir ; vous la dites fort bien et la pièce est très belle.

– Le cadre y est, dit simplement le vieux peintre en montrant du large d’un large geste la mer qui nous entourait et de sa voix qu’il savait rendre douce et prenante, quand il le voulait, le peintre Michel Bouquet nous récita : ( note : c’est le Poème de Brizeux dédié à Michel Bouquet )

 

Morlaisienne, Coiffe de deuil

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Morlaisienne, Coiffe de deuil, Carte postale, s.d. © Collection particulière

 

Les Iliennes

Poème de Brizeux dédié à Michel Bouquet

 

Par un soir de grand deuil, de tous les bords de Lisle,

Vers l’église on les vit s’avancer à la file ;

Comme elles avaient leur chapelets en la main,

Lentement égrené par le triste chemin ;

Jusqu’à terre à longs plis pendait leur cape noire,

Mais leur coiffe brillait blanche comme ivoire ;

 

Charles Cottet, Femmes en cape de deuil se rendant à l’église, Estampe, 30 x 39 cm, vers 1905 © Musée départemental breton, Quimper

 

Et c’était en Léon et dans l’île de Batz,

L’île des grands récifs et des sombres trépas,

Où les sillons des champs sont creusées par les femmes,

Tandis que leurs maris vont sillonner les lames :

Au tomber de la nuit, dans ce funèbre lieu,

Ces femmes allaient donc vers la maison de Dieu.

Bien humble est la chapelle, humble est le cimetière

Où chacune en priant vient chercher une pierre.

 

Charles Cottet, Veillée funéraire en Bretagne, Estampe sur carton, 20 x 28 cm, 1894 © Musée départemental breton, Quimper

 

Quelque pierre noirâtre avec son bénitier,

Mais vide du cher mort qu’on ne peut oublier ;

Car les corps sont absents de ces tombes étranges

Voici ce qu’à genoux, elles lurent, ces anges,

Et de leurs cœurs tombaient des murmures pieux,

L’eau sainte de leurs mains, des larmes de leurs yeux :

 

Guillaume Desmarets, Aux péris en mer, Huile sur toile, 165 x 287 cm, 1893 © Musée des Beaux-arts de Rouen

 

« Au capitaine Jean Servet dans un naufrage,

Mort loin de la Bretagne avec son équipage !

A Pol Leva, sombré dans l’Inde ! – Aux deux Juliens,

Jetés sur le Cap Horn et perdus corps et biens ! »

Et d’autres noms encore avec leurs dates sombres,

Disant les lieux de mort, des morts disant le nombre.

Or ces noms, sur les croix, déjà presque effacés,

Vivaient en plus d’un cœur fidèlement tracé.

Dans votre souvenir, ô chastes Iliennes !

Gémissant et priant sur ces tombes chrétiennes

 

Mathurin Meheut, Bretonnes assises, Gravure sur bois deux tons, 7 x 15 cm vers 1912 © Bibliothèque de l’Institut national de l’histoire de l’art

 

Pour ceux qui, ballottés dans un lit sans repos,

Parmi les durs cailloux sentent rouler leurs os :

Malheureux dont la voie pleurante vous arrive

Avec les cris du vent, les fracas de la rive !

Mais voici près de vous, par ce lugubre soir,

D’autres femmes venir sous leur mantelet noir ;

Et leurs bras vers la terre, elles disent « O veuves !

N’est-il plus dans ce champ béni de places neuves ?

Nous avons comme vous, des pierres à poser,

Et nous n’avons, hélas ! plus de fosses à creuser. »

« Pleurez, veuves ! De pleurs inondez cet argile !

Nos pères et nos fils deviendront plus dans l’île ;

 

Charles Cottet, Deuil à Ouessant, Huile sur toile, 74 x 90 cm, 1903  © Musée des Beaux-Arts de Gand

 

Dans la couche éternelle, on ne voit pas chez nous

Les femmes reposer auprès de leurs époux. »

 

Tony Beltrand, Bretonne pleurant devant la mer, Estampe, 33 x 26 cm, 1897 © Musée breton, Quimper

 

« Mais pour garder leur nom, apprenez-nous, O veuves !

S’il n’est plus dans ce champ béni de places neuves ? »

 

– Cette pièce est vraiment remarquable et comme le disait Firmin, vous la dites fort bien. Je vous remercie du plaisir qu’elle m’a faite ; dire qu’elle vaut mieux que celle du Hugo serait peut-être un crime, mais dire qu’elle est sans valeur, serait certainement une faute ! Et là-dessus Mallefille donna une bonne poignée de main à Bouquet.

 

Port et phare de l’île de Batz tels qu’a pu les observer de chez lui Michel Bouquet  en 1873

J. Duclos, Ile de Batz, le port et le phare, Finistère, Vues photographiques, 1873 © Bnf

 

 

Maintenant, à mon tour m’écriai-je, je viens de me rappeler la dernière strophe d’ Oceano Nox et pour l’avoir faite, je donnerai toutes les pièces de Brizeux, sans vouloir rien enlever du charme qu’on peut y rencontrer.

 

Où sont-ils les marins sombrés dans les nuits noires ?

O flots, que vous savez de lugubres histoires,

Flots profonds redoutés des mères à genoux !

Vous vous les raconter en montant les marées,

Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées,

Que vous avez le soir quand vous venez vers nous.

Quelle grandeur ! Quelle envolée !

 

Et Bouquet me disait à l’oreille : mais avouez donc que comme votre ami vous n’aimez que le ronflant !

Mais assez de l’île de Batz. Je m’arrachai à ces souvenirs et je descendis chez le père Servet pour m’asseoir mélancoliquement à une table ou bien souvent l’équipage de l’Eulalie était venu se rafraîchir.

Il y avait là un vieux triton enveloppé du haut en bas de cette hideuse toile cirée jaunet et peinte à l’ huile dont se vêtissent les marins.

– Bonjour, me dit-il, bonjour ; vous ne me reconnaissez pas ; je suis l’homme de l’Eulalie, vous vous rappelez

– Ah ! Ah ! C’est vous, et bien que devient-elle, l’Eulalie?

– Oh ! Il y a longtemps qu’elle n’existe plus, elle m’a servi à radouber ma grande barque. Voyez-vous, elle était trop volante, c’était bon pour des enragés comme vous et le parisien ! Ah ! Voilà un crâne matelot ! Il n’avait qu’un œil, mais n’avait pas froid à cet œil-là. Ceux de Roscoff ont beau rire, il manœuvrait joliment bien et avait fini par connaître tous les passages comme un vrai pilote.

 

Apparaux de bateaux et personnages à Roscoff en 1857

Furne, Tournier, Apparaux de bateaux, Roscoff, Photographie stéréoscopique sur support carton, 1857 © Musée départemental breton

 

J’en ai vu des parisiens à Roscoff, des gens et des chapeaux à plumes, les chapeaux de 300 tonneaux ( c’est ainsi que les marins désignent avec mépris notre affreux haut-de-forme ), ce sont ceux-là qui me faisaient rire. Mais lui, un vrai matelot ! Qu’est-ce qu’il fait ce monsieur là ?

– Plus rien, il est mort.

– Il est mort, fit le vieux en reposant le verre qu’il portait à ses lèvres, c’est embêtant cela, car c’était un brave

– Un brave et digne cœur !

– Hein ! Pas fier et bon pour le pauvre monde.

Je regardais ce vieux marsouin avec attendrissement. Il ouvrit sa large main honnête et calleuse, la regarda tout en sirotant lentement son petit verre d’eau-de-vie, et murmurant en secouant la tête : il a souvent serré cette main-là !

Et il avait raison, le vieux loup de mer, d’être fier de cette poignée de main, on eût dit qu’il savait qu’on ne serre pas souvent une main aussi loyale et aussi brave que celle-là. » in Firmin Maillard, Revue biblio-iconographique, janvier 1907, p. 78-85.

 

33  Alexandre Dumas à Roscoff en compagnie de Michel Bouquet

C’est pendant l’été 1869 qu’Alexandre Dumas retrouve Michel Bouquet à Roscoff. Ils se connaissent depuis 1854, au moins par courrier. Dumas loge à moins de 300 mètres de la maison de Michel Bouquet. Il est fort probable que Michel Bouquet lui ait rendu au moins une visite de courtoisie.

« 22 mai 1854

Monsieur, Vous faites, me dit-on, une loterie pour M. Reynier. Je m’empresse de vous apporter ce pastel, en même temps que tous nos remerciements pour l’occasion que vous me donnez de contribuer par quelques heures de travail, à cette bonne et noble action. Agréez, Monsieur, mes bien cordiales civilités. M. BOUQUET, 4 bis, rue de Suresnes, Paris ».  in Le Mousquetaire, 24 mai 1854, p. 2

Alexandre Dumas avait organisé une loterie  au profit de l’œuvre de Notre-Dame des sept douleurs, protégée par la princesse Mathilde, en faveur des Petites Incurables et des souscriptions qu’il lance pour subvenir aux soucis que rencontraient les artistes, tel le violoniste Léon Reynier, pour le libérer de la conscription.

Michel Bouquet n’est jamais loin des Bonaparte. Il est fait référence ici à l’oeuvre de Notre-Dame des Sept Douleurs, créée pour secourir des jeunes filles nées ou domiciliées dans le département de la Seine. Fondée en 1853 par l’abbé Moret, curé de Saint-Philippe du Roule, la paroisse de Mathilde fut placée sous le patronage de la princesse en 1854. Les cyniques y verront une générosité bien calculée, mais la constance de Michel Bouquet dans le soulagement des misères humaines montre que l’homme mérite plus que ce rude jugement.

Alexandre Dumas logera au 46, rue Gambetta, à moins de 100 mètres de Jaroslav Cermak et à 300 mètres de Michel Bouquet et d’Edouard Corbière. Durant deux mois et y écrira une partie de son Grand Dictionnaire de cuisine. Ce n’est pas un hasard s’il cite dans cet ouvrage des anecdotes relatives au père du poète Tristan Corbière, à savoir Edouard Corbière, créateur du roman maritime, dont le Négrier, Les fils de l’Iroise, et qui était un ami intime de Michel Bouquet.

 

4 Roscoff, villégiature d’été de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie parisienne et anglaise

La Société centrale de sauvetage des naufragés, service privé de sauvetage en mer – ancêtre de la SNSM actuelle –  est créée en 1865 à l’initiative du baron Théodore Gudin, l’ancien maître en peinture de Michel Bouquet. Elle est placée sous la protection de la femme de Napoléon III, l’impératrice Eugénie qui offre le premier canot de sauvetage, et Gudin en sera le vice-président. Ce n’est donc pas un hasard si le 12 février 1867 – sept ans après l’installation de Michel Bouquet à Roscoff – une antenne de cette Société centrale de sauvetage des naufragés est instituée dans ce même port, les liens que conserve Michel Bouquet avec le pouvoir napoléonien ayant toujours été très étroits.

Michel Bouquet sera d’ailleurs un membre très actif dans le domaine de l’aide aux péris en mer.

Membre actif de plusieurs sociétés de bienfaisance, il passa les dernières années de sa vie à faire du bien autour de lui. Un naufrage eut lieu, près de Roscoff, il y a trois ans environ. Bouquet se mit aussitôt à l’œuvre afin d’organiser des secours pour les veuves et les orphelins de ceux qui avaient péri. Grâce à ses nombreuses relations parisiennes, il put réunir rapidement une forte somme qui sauva ces pauvres gens de la misère et du désespoir. À propos d’un autre naufrage arrivé récemment, nous avons entendu dire :

« Ah ! Pourquoi Monsieur Bouquet n’est-il plus là ? »

Le public intelligent, qui a été à même d’apprécier son admirable talent, regrette en lui l’artiste, l’auteur de tant d’œuvres utiles ou charmantes. Ceux qui ont eu le bonheur de le connaître plus intimement pleurent l’ami incomparable qu’ils ont perdu.

Lacordaire a dit : « Je reste froid, même devant un front qui respire le génie, mais le premier homme qui me fait l’impression d’être bon me touche et me séduit. » Bouquet était bon ! Voilà le secret des regrets qu’il laisse après lui, des larmes que sa mort a fait répandre. Il était bon et on l’aimait ! C’est le plus grand éloge qu’on ait à faire d’un homme, la plus belle oraison funèbre que l’on puisse prononcer sur sa tombe. » in Cécile Feillet, La Résistance,samedi 6 septembre 1890

Les relations au plus haut niveau de Michel Bouquet font découvrir à l’aristocratie parisienne les charmes et les avantages du climat – en pleine période hygiéniste – de la station qui n’est pas encore balnéaire de Roscoff. C’est notamment le cas le 10 juillet 1870 qui voit Michel Bouquet arriver à Roscoff en compagnie du fils du général de Montebello in Lettre d’un peintre Jean-Louis Hamon à Messieurs Sain et Benner, peintres, Hôtel Pagano, Ile de Capri, Naples, Italie in Janini, Un altro Corbière, Roma, Bulzoni, 1977, pp. 190-191

 

Deux ans plus tard, en 1872 Henri de Lacaze Duthiers  –  qui avait refusé de prêter serment à Napoléon III  –  devient le voisin immédiat de Michel Bouquet. Il rachète en effet deux maisons du XVIe siècle qui servaient au négoce et à leurs entrepôts. A qui les achète-t-il ? A Edouard Corbière qui les avait lui-même acquises en 1860, la même année que l’acquisition faite par Michel Bouquet de sa maison sur la même place. Il y crée un laboratoire de recherche marine de renommée internationale, la Station biologique de Roscoff qui appartient à l’Institut de France.

Michel Bouquet n’aura pas à aller loin pour créer un alguier qu’il offrira au duc d’Aumale, Henri d’Orléans, fils du roi Louis-Philippe  –   et à ce titre héritier de la couronne de France  –   qui est toujours conservé parmi les 60 000 volumes présents dans la bibliothèque du château de Chantilly, dont le duc d’Aumale avait hérité du dernier prince de Condé, seconde bibliothèque en France après la Bibliothèque Nationale de France pour ses manuscrits enluminés, dont le plus beau manuscrit mondial, les Les Très Riches Heures du duc de Berry.

Or le duc d’Aumale est depuis 1871 membre de l’Institut de France comme membre de l’Académie française, de l’Académie des Beaux-Arts et de l’Académie des Sciences morales et Politiques. Le domaine de Chantilly – seconde collection de peintures anciennes en France après celle du Louvre – sera d’ailleurs légué en 1886 au même Institut de France.

Il est clair que l’arrivée de tels personnages dans ce petit port sont matière à inciter d’autres personnes, des happy few parisiens, à y passer leur séjour d’été qui est habituellement étouffant dans la capitale. Quelques premiers séjours en location ou chez des amis, puis on décide d’y construire une maison en bord de mer.

 

Quelques villas construites en bord de mer à Roscoff à partir de 1860

Un manoir construit par une famille de Versailles en 1888

Roscoff, Manoir de Landivinec, propriété de Camille Thirion de Versailles, Carte postale, s.d. © Collection particulière

1890

Roscoff, Château de la Digue, Avenue du sanatorium, Carte postale © Collection particulière

 

 

5  Stratégie de vente, peindre les espaces de leurs villégiatures : leur permettre de poursuivre leur rêve de rivage dans leurs châteaux et hôtels particuliers parisiens

A la fin du XVIIIe siècle sous l’influence de Rousseau et au début du XIXème siècle des préromantiques anglo-saxons s’opère un changement du regard porté par les élites sur la Nature considérée jusque là comme dangereuse, hostile, nécessitant bien des efforts physiques. La montagne et la mer cessent d’être des lieux de répulsion pour devenir les espaces de recherche de bien-être, d’hygiénisme exacerbé, et la rencontre avec de grands espaces vierges qui permettent d’échapper aux atmosphères de plus en plus confinées et polluées des villes de la seconde révolution industrielle.

Cette nouvelle perception des espaces récréatifs est impulsée par les élites qui disposent naturellement d’une denrée rare  –  le temps libre  –  au premier rang desquelles figure le couple impérial, Napoléon III et sa femme Eugénie. Sur tout le littoral français les centres de villégiature aristocratiques et financiers se multiplient : Tréport, Fécamp, Étretat,  Deauville, Villers-sur-Mer, Houlgate, Cabourg, Royan… toutes villégiatures que Michel Bouquet va visiter  –  et croquer  –  car il sait que c’est là un débouché supplémentaire pour ses ventes, de quoi lui assurer son très confortable train de vie.

1865 Eglise de Criquebeuf, près Trouville, Peinture sur émail cru stannifère, cuite chez Madame Dumas, Exposition des Beaux-Arts appliqués à l’industrie, Salon de 1865, Oeuvre non retrouvée

1865 Vue d’Etretat, Peinture sur émail cru stannifère, cuite chez Madame Dumas, Exposition des Beaux-Arts appliqués à l’industrie, Salon de 1865, Oeuvre non retrouvée

1872 Marée basse, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence cuite au grand feu, Salon de 1872, n° 190 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée

1872 Soleil levant dans le brouillard, Peinture sur émail cru stannifère, Faïence cuite au grand feu, Salon de 1872, n° 191 du livret du Salon, Oeuvre non retrouvée

« Monsieur Michel Bouquet est toujours maître dans son art particulier : sa Marée basse et son Soleil levant sur faïence valent ses meilleurs ouvrages ». Jules Claretie, Peintres et sculpteurs contemporains, L’art français en 1872, p. 291

1875 Les vaches noires, plage de Villers, Calvados, Peinture sur émail cru stannifère, Salon de 1875, Oeuvre non retrouvée

« Au tour des faïences. Il y en a beaucoup de médiocres, quelques-unes très-jolies. Parmi les meilleures, celles de M. Bouquet : Les Vaches noires, excellente marine, où la mer toutefois est trop confusément rendue. M. Bouquet, depuis longtemps hors concours, est très-sûr de son métier. »

Il s’agit d’un compte-rendu fait par le critique Mario Proth qui, admirateur inconditionnel de Manet, s’est engagé à fond contre les travaux de Cabanel et de Bouguereau.

« Une Plage de Villers-sur-Mer, où Michel Bouquet et Jean-Louis Petit se sont rencontrés pour peindre cette plage, où naguère un autre membre de notre Société, M. Pigeory, architecte, était venu fonder une colonie, aujourd’hui florissante in Annales de la Société libre des Beaux-Arts, Paris, 1875, p. 50. Le Port de Saint-Vaast-la-Hougue, marée basse, soleil couchant, une marine de Jean-Louis Petit, ressemble étrangement à une aquarelle de Bouquet ; 1875 ; selon les Annales de la Société libre des Beaux-arts, 1875, p. 87 et selon Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, 1880

 

Roscoff de par la présence de Michel Bouquet et d’autres artistes, des colonies estivales anglaises déjà existantes, et de l’entregent dont dispose Michel Bouquet va favoriser l’arrivée d’une clientèle très aisée

C’est l’occasion pour lui de leur offrir picturalement un souvenir de vacances , un tableau, une faïence, un pastel, une estampe d’avant  l’ère du tourisme de masse, qui verra l’explosion de la carte postale à l’interface des XIXe et XXe siècles, puis  la photographie, et ce n’est pas un hasard si un descendant immédiat de la famille des Puyo s’est distingué dans le domaine de la photographie, baignant qu’il était dans un milieu ouvert sur tous les arts.

 

Une photographie de Constant Puyo

Fonds photographique de Émile Constant Puyo 1857 1933, Bretonnes du Finistère en prière autour d’un menhir renversé, s.d. © Ministère de la Culture, Inventaire multiligue du Patrimoine numérique

 

 

51 Des rêves de mer à l’échelle de Roscoff entre 1860 et 1890

 

Le port de Roscoff distribué à ses amis

Michel Bouquet, Roscoff, Cale du Vil en 1880, lavis d’encre noire, rehauts de blanc, 5 x 9 cm, 1880 © Collection particulière

 

Un petit port de Roscoff propulsé dans les Salons de Paris

Port de Roscoff à marée basse, Les salons, dessins autographes, 12 juin 1868 © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Un petit port de Roscoff catapulté dans un journal international

Vue de Roscoff à marée basse, Dessin, 1874, L’Illustration, p 634

 

 

52 Des espaces de rêves pour les acheteurs fortunés à l’échelle bretonne et française

 

Barque et bateaux de pêcheurs en bord de côte

Michel Bouquet, Barque et bateaux de pêcheurs en bord de côte, Huile sur toile, 41 x 56 cm, 1860 © vente Drouot, 12 juillet 2020

 

 

Bateau breton

Michel Bouquet, Bateau breton, Dessin, crayon, rehauts de blanc, 25 x 28 cm, s.d. © vente lot 34, Le calvez, Auvers-sur-Oise, 2013

 

 

Rêves de mer : la mer, les vagues, les bateaux, les grands espaces marins, les falaises

Michel Bouquet, Vue d’Yport, Peinture sur émail cru stannifère, cuisson au grand feu, 52 x 83 cm, 1866 © Château-Musée de Dieppe

 

 

Rêves de mer : l’ethnologie des populations littorales, l’ailleurs exotique si proche

Michel Bouquet, Barques de pêche sur une plage de Normandie, Peinture sur émail cru stannifère, cuisson au grand feu, 19 x 31cm, 1866 © vente lot 18, Pillon, Versailles, 25/10/2009

 

 

Rêves de mer : l’ethnologie des populations littorales, l’ailleurs exotique si proche, filets, casiers

Michel Bouquet, Les Barques, Aquarelle avec rehauts de gouache, 28 x 44 cm, s.d., acheté par la Ville de Lorient en 1895 © Réserves picturales de la Ville de Lorient, inv. n° 71

 

 

Rêves de mer : l’ethnologie des populations littorales, l’ailleurs exotique si proche, la cotriade

Michel Bouquet, La cotriade, Techniques mixtes, 16 x 23 cm, s.d. © vente, lot 128 Osenat, Fontainebleau, 2020

 

 

Rêves de mer : gastronomie de luxe pour urbains, les crustacés : crabes, étrilles, langoustes

Michel Bouquet, Le déchargement des casiers au port, Aquarelle, 1868 © Vente, lot 78, Drouot

 

Rêves de mer : la solitude, l’infini, l’enchantement des espaces et enfin la découverte du grand bleu

Michel Bouquet, Paysage de vallée avec rochers plongeant vers la mer, Peinture sur email cru stannifère, Faïence au grand feu, 32x50cm, 1878 © images-art.fr, Manufacture de Sèvres, MNC 7279

 

Rêves de mer : une gastronomie de la marée si chère au défunt Vatel

Michel Bouquet, Marine, Etude d’après nature,  Peinture sur émail cru stannifère, Faïence cuite au grand feu, 26 x 40cm, signée et datée en bas à gauche, cuite chez Jules Loebnitz,  don de M. A. Bichet, 1901, 1872 © images-art, Musée des Arts décoratifs

 

Rêves de mer : une gastronomie de la marée si chère à Alexandre Duma, les sardines

Michel Bouquet, Pêcheurs de sardines sur les côtes de Bretagne, Peinture sur email cru stannifère, Faïence au grand feu, sans dimensions, 1874, Oeuvre non retrouvée

 

 

53 Rechercher une clientèle à l’échelle internationale et leur offrir des centimètres carrés d’évasion

 

Rêve de mer : soleil, eaux paisibles, voilier se balançant doucement

Michel Bouquet, Barques de pêcheur dans le golfe de Messine avec l’Etna, Huile sur toile, 40 x 72 cm, s.d. © vente Hampel, Munich, lot 565, 4 avril 2008

 

 

Rêves de mer : la douceur méditerranéenne, espace de regroupement des colonies élitaires européennes dans la seconde moitié du XIXème siècle

Michel Bouquet, Barques de pêcheur dans le golfe de Messine avec l’Etna, Huile sur toile, 40 x 72 cm, s.d. © vente Hampel, Munich, lot 565, 4 avril 2008

 

 

Rêves de mer : derrière les espaces maritimes et montagneux, la référence culturelle à la Grèce antique, si prisée au XIX ème siècle en pleine mode du néo-classique

Michel Bouquet, Vue du cap Sounion, Huile sur toile, 21 x 32 cm, s.d.  © vente vente Drouot, Paris, lot 28, 31 mars 1995

 

 

Les accessoires incontournables du Rêve de mer : le port, le phare, les voiliers, les mouettes

Michel Bouquet, Bateaux sur la mer, près d’une jetée avec un phare, Lavis, rehauts de blanc, mine de plomb, Dessin, 16 x 21 cm, s.d.  © Musée du Louvre, Cabinet des dessins, Fonds des dessins et miniatures, inv. RF 15295

 

 

Rêve de mer : soir d’été, des espaces paisibles, la présence d’un élément incontournable : la douceur du  sable, l’invention de la plage

Michel Bouquet, Plage de sable avec bateaux et personnages, Huile sur panneau, 15 x 25 cm, s.d.  © vente, CRN Auctions, Cambridge, Massachusetts, Etats-Unis, lot 47, 26 juin 2016

 

 

L’irruption de la mer dans les espaces urbains de la bourgeoisie montante et de l’aristocratie désargentée

Michel Bouquet, Bord de lagune animé, Huile sur toile, 18 x 30 cm, s.d.  © vente Antiquités catalogue, Château de Boisrigaud, Usson, France

 

 

Du soleil intense et des voiles d’une blancheur immaculée

Michel Bouquet, Landscape with figures, Huile sur panneau, 19 x 24 cm, s.d.  © vente, CRN Auctions, Cambridge, Massachusetts, Etats-Unis, lot 46, 26 juin 2016

 

 

L’espace nodal des rêves de toutes les élites européennes : Venise, mais vue de la mer, bateaux cachant la ville

Michel Bouquet, Bateaux devant Venise, Encre, plume, lavis, 17 x 26 cm, s.d.  © vente Rossini, Paris, 24 novembre 2016

 

Rêves de mer, le bleu si bleu

Michel Bouquet, Paysage méditerranéen, Pastel, 53 x 32 cm, s.d. © vente, May & Duhamel, Roubaix, 20 novembre 2005

 

 

L’établissement de Michel Bouquet dans la station balnéaire en gestation de Roscoff  va lui permettre de nouer des relations durables et profondes avec la haute bourgeoisie et l’aristocratie bretonnes

C’est ce que nous verrons dans le chapitre suivant Bouquet 25  Les réseaux : la haute bourgeoisie et l’aristocratie bretonnes

 

Bouquet 24 Lancer la station balnéaire de Roscoff