Valentin Jamerey-Duval
1695 – 1775
Cette publication est issue d’un travail de classe de seconde, puis d’une recherche avec des CM1, pour aboutir à une exposition de 40 panneaux à l’Inspection Académique de Meurthe-et-Moselle suivie d’une conférence / Débat, puis d’une exposition au Conseil Régional de Lorraine avec 60 panneaux, ainsi que les oeuvres de Valentin Jameray Duval, en 2004 / 2005.
1 L’apprentissage de la lecture au cours d’une enfance errante et misérable.
« La littérature de colportage est née à Troyes, vers 1600, de l’initiative de quelques imprimeurs qui ont repris, sous forme de brochures à bon marché, un fonds littéraire hérité du Moyen Âge et désormais tombé en désuétude : romans de chevalerie, danses macabres, prophéties et calendriers, ornés de vieux bois passés de mode, sont publiés en masse, à des tirages qui atteignent parfois des dizaines de milliers d’exemplaires. Puisque ces brochures sont couvertes d’un simple papier bleu, on les appelle la Bibliothèque bleue .
On comptait au XVIIème siècle 2000 vendeurs ambulants ». Extrait du catalogue de l’exposition « Beaux récits, belles images ! », inaugurée le 12 novembre 1999 à la Bibliothèque municipale de Troyes.
Lieu de naissance et vie de Valentin Jamerey jusqu’à 13 ans.
César-François Cassini de Thury, Carte levée entre 1732 et 1754, Les affiches de Paris, 1759.
A l’âge de 5 ans, Valentin perdit son père. Dans la maison régnait la misère, une misère profonde, à tel point que le soir, auprès de lui et de sa sœur la mère priait Dieu qu’il leur otât la vie.
Ceci n’était pas un cas isolé, comme en témoignait un ecclésiastique : « Et du 17 mai 1709, que, dans la paroisse de Bouzy, proche Lorris, une femme, désespérée de la faim, tua deux de ses petits enfant et ensuite s’étrangla elle-même. »
Il connaissait la faim. Il connut les coups. « Ma mère, après huit ans de veuvage pensa à se remarier. Si son dessein fut de prendre un mari, elle se trompa, car elle trouva un maître impérieux et moi un tigre des plus cruels. J’éprouvai sous ce joug tyrannique toutes les noirceurs que les poètes ont attribué aux marâtres les plus dénaturées. Ma qualité d’enfant du premier lit a manqué cent fois de me coûter la vie.
Il est vrai que les traitements inhumains qu’on me faisait souffrir m’ôtaient tout sujet de la regretter. C’est un vrai miracle que je n’ai pas succombé sous la violence de cette persécution et que ses effets ne m’aient pas rendu contrefait tant du corps que de l’esprit. Si j’avais à dépeindre l’enfer, je n’aurais qu’à représenter les débats, la haine, le trouble, la confusion et les imprécations qui régnaient dans cette déplorable famille. »
Ch. Guyon, Le savant petit pâtre, Les livres roses pour la Jeunesse, Larousse, 1923.
Pour y échapper, il prit la fuite.
Autour de lui ce fils orphelin n’avait rien trouvé. Personne n’avait remarqué la curiosité précoce, l’intelligence naissante, l’observation en éveil de ce petit paysan que son extérieur inculte et grossier semblait rendre l’égal de tous les siens.
Ses années errantes commencent probablement en 1708 alors qu’il a seulement 13 ans.
Un pauvre enfant abandonné, faible et ignorant, ne sachant ni lire, ni écrire, pieds nus et en guenilles, sans un sou lancé tout seul dans un monde hostile parsemé d’embûches et de guet-apens. Comme départ dans la vie, on avouera qu’il est difficile de trouver pire.
Curieux de connaître l’acte lui-même, je me suis adressé à M. Quentin, qui a bien voulu m’en envoyer la copie suivante, faite par le Maire de la commune ;
Valentin Jamerey fils De Valentin et d’Anne Morizot a été baptisé le 24 avril 1695.
Le chêne des ravins, tant de fois triomphant,
Le chêne vigoureux crie, éclate et se fend.
Ce roi de la forêt meurt. Avec lui, sans nombre,
Expirent les sujets que protégeait son ombre.
Roucher , poème des Mois, 1779
Mon éducation ne s’éleva guère eu delà de ma nourriture ; on m’éleva à peu près comme on cultive les plantes, c’est-à-dire d’un manière tout à fait végétative.
Mon instruction consista à apprendre l’oraison dominicale, en latin et en mauvais français, avec quelques autres prières qu’on eut soin de m’expliquer par plusieurs versions élégantes en patois. On en fit de même à l’égard du catéchisme et à force de m’en répéter des fragments, je parvins à savoir confusément qu’il y avait un Dieu, une Eglise et des sacrements.
J’appris ensuite qu’il y avait un pape, chef visible de cette Eglise, des prêtres et des moines, on m’enseigna à les répéter et même à les craindre, et c’est ce que je fais encore, quoiqu’avec quelque restriction.
Me trouvant un jour au dîner de Monsieur notre curé, j’aperçus avec étonnement qu’il mangeait du pain d’une couleur différente de celui dont j’avais vécu jusqu’alors, cette nouveauté me frappa ; je n’osai en demander, mais mais les divers circuits que je fis autour de la table et mes regards attentifs firent connaître ce que je souhaitais, ma curieuse avidité fut satisfaite, j’eus le bonheur à l’âge de huit ou neuf ans de manger du pain blanc pour la première fois.
Si, faute de souliers, j’eusse voulu souffrir d’avoir les pieds meurtris par les sabots, je n’aurais fait qu’imiter la patience de plusieurs honnêtes gentilshommes de notre province, mais peut touché par ces exemples illustres, je préférai l’incommodité d’aller nuds pieds aux contusions et aux entorses auxquelles cette espèce de coutume m’aurait exposé.
Mémoires de Valentin Jamerey-Duval, in Jean-Marie Goulemot, Enfance et Education d’un paysan au XVIIe siècle, Le Sycomore, Paris, 1981.
Au cours du terrible hiver 1709, où l’eau dans les rivières gelait sur 30 cm et où l’on capturait les lapins à la main tellement ils étaient engourdis par le froid, Valentin fut atteint de la petite vérole.
Sans soins, ni médicaments, par un froid épouvantable, il fut simplement enfoui dans le fumier par un fermier compatissant, soutenu d’un peu de soupe et de la chaleur des moutons. Chance, il guérit, ce qui ne fut pas le cas des fils de Louis XIV emportés à Versailles par la même maladie : la duchesse de Bourgogne, le duc de Bourgogne, et leur fils le duc de Bretagne. Ceux-là étaient entourés de médecins et ne furent pas mis dans le fumier..
Ch. Guyon, Le savant petit pâtre, Les livres roses pour la Jeunesse, Larousse, 1923.
« En 1709, un vertueux ecclésiastique, qui a voulu être témoin oculaire de ce qu’on disait, écrit de Blois, du 5 mai, qu’il a trouvé, en passant par Étampes et par Angerville, quatre cents pauvres; que la forêt d’Orléans en est pleine ;
qu’à Orléans même il se trouva accablé de plus de deux mille, que les portes de son hôtellerie furent enfoncées, les murailles escaladées, quelques-uns blessés, pour avoir quelque morceau de pain qu’il faisait distribuer ; à Meung de plus de cinq cents, lesquels étaient tous languissants, comme à l’agonie, qu’à Blois il en trouva un dans la rue qui expirait de faim ;
qu’à Onzain il prêcha à quatre ou cinq cents squelettes, des gens qui, ne mangeant plus que des chardons crus, des limaces, des charognes et autres ordures, sont plus semblables à des morts qu’à des vivants; que la misère passe tout ce que l’on en écrit, et que sans un prompt remède il faut qu’il meure dans cette province seule vingt mille pauvres.»
Valentin chauffé par l’haleine et la présence des animaux.
Ch. Guyon, Le savant petit pâtre, Les livres roses pour la Jeunesse, Larousse, 1923.
« Les hommes gelaient sur les chemins; en sorte que depuis Paris à Orléans, on dit que plus de trente hommes sont morts de froid. Des vaches, boucs, chèvres, moutons et agneaux d’un an, ont été trouvés morts et gelés en leurs étables; les lapins morts dans les terriers par la quantité de neige que le vent a emportée et amoncelée par endroit…La plus grande partie des chênes, même les plus gros se fendirent du haut en bas, et le bruit qu’ils faisaient en se fendant se faisait entendre de fort loin dans les bois. »
Il resta deux années chez le berger de Clézentaine.
Des ermites faisant leur prière
Mais bientôt à cause de son tempérament, ami du silence, il fut fatigué de son séjour au milieu de jeunes paysans sauvages, et il se rendit chez quelques ermites.
Il y fut recueilli par un ermite, séduit par l’intelligence du jeune garçon et de son esprit de curiosité.
C’était le frère Palémon, à l’ermitage de la Rochotte à Deneuvre.
« Un endroit tel que je viens de le décrire ne pouvait manquer de plaire à un homme qui, dans ce temps là, n’avait guère plus de goût pour la société que les hiboux en ont pour la lumière. Ce fut dans ce désert où j’abdiquai ma condition pastorale »
Le frère Palémon lisant un texte à Valentin.
Valentin y passa une année partageant son temps entre les travaux de la terre, la contemplation de la nature et la lecture d’ouvrages pieux. « Mon nouveau maître m’installa dans la plus noble de mes fonctions en me déclarant son lecteur et en me présentant un gros volume que j’ouvris aussitôt : c’était la Bible de Louvain, de 1578. »
En effet Duval fut toujours un chrétien sincère, ce qui ne l’empêchait pas de détester le bigotisme, l’hypocrisie, la superstition et la simonie qui régnaient dans l’Eglise.
Mais l’adolescent qu’il était connut des dérives car ses lectures n’étaient plus que religieuses.. « Ayant lu par hasard une Introduction à la vie contemplative, je me trouvai bientôt disposé à aimer Dieu et les Saints à peu près comme un amant aime sa maîtresse. Ces vertus consistaient à réciter chaque jour les 15 oraisons de Sainte Brigitte, les 14 allégresses… Jamais mes lèvres n’ont eu tant d’exercice…
Par la suite je pris la liberté d’accuser le frère Palémon de relâchement, de tiédeur dans sa profession. En très peu de temps, je devins altier, vindicatif, entêté et si sensible qu’à la moindre contradiction je me révoltai avec aigreur… enfin, à force d’être dévot, je manquai de ne plus être chrétien »
A la Rochette, Valentin occupait la place d’un religieux et comme il n’était que domestique, il dut un jour s’en aller pour céder sa place à un ermite.