Bouquet 11 Stratégie publicitaire, emprunter le rôle de journaliste de type roman-feuilleton : les lettres d’Ecosse dans le journal de diffusion européenne L’Illustration

 

11 Stratégie publicitaire,emprunter le rôle de journaliste de type roman-feuilleton : les lettres d’Ecosse dans le journal de diffusion européenne L’ Illustration

Michel Bouquet, a hardened bachelor, made this tour of Scotland in the company of a very famous artist: Gavarni, a paradoxical man, a tall and very handsome man, literally adulated by women, completely fascinated by mathematics and the spirit of geometry, very launched in the world of fashion and societal representations.

The originality of this trip is that he turns it into an epistolary relationship in the form of a serial in the newspaper L’Illustration, which ensures that his artistic creations are widely distributed. The soap opera technique is then taking off in France and Michel Bouquet, a perfect connoisseur of new emerging communication media, accompanies it.

Of course the reproduction of his works is far inferior to the quality of the originals. But he does not care, the main thing is to enter the field of the visible for hundreds of thousands of readers across France, but especially Europe and the New World, the French language being commonly used. by the European elites: the children of Tsar Nicolas II at the end of the 19th century will still be raised by French-speaking governesses, as will a large part of the European aristocracy and intelligentsia.

Michel Bouquet, célibataire endurci, fait ce tour d’Ecosse en compagnie d’un artiste très renommé : Gavarni, un homme paradoxal, un grand et très bel homme, littéralement adulé par les femmes, complètement fasciné par les mathématiques et l’esprit de géométrie, très lancé dans le monde de la mode et des représentations sociétales.

L’originalité de ce voyage est qu’il en fait une relation épistolaire sous forme de feuilleton dans le journal L’Illustration, ce qui lui assure une diffusion de ses créations artistiques à grande échelle. La technique du feuilleton est alors en train de prendre son envol en France et Michel Bouquet en parfait connaisseur des nouveaux médias de communication naissants, l’accompagne.

Naturellement la reproduction de ses oeuvres est de très loin inférieure à la qualité des originaux. Mais il n’en a cure, l’essentiel c’est de rentrer dans le champ du visible pour des centaines de milliers de lecteurs à travers la France, mais surtout l’Europe et le Nouveau-Monde, la langue française étant couramment utilisée par les élites européennes : les enfants du tsar Nicolas II à la fin du XIXème siècle seront encore élevés par des gouvernantes de langue française, tout comme une grande partie de l’aristocratie et de l’intelligentsia européenne.

Michel Bouquet, Loc’h Vennachar, L’Illustration, Journal Universel, samedi 20 avril 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Que nous apprennent ces textes ? Que Michel Bouquet, issu d’un milieu marchand lorientais dont la grand-mère ne savait pas signer s’avère être un homme de très grande culture, passionné d’histoire de l’Ecosse, maniant les références à l’Antiquité grecque et romaine, s’appuyant sur une philosophie à la fois déiste et héraclitéenne, aimant la langue latine au point d’en parsemer ses textes par le biais de citations morales et disposant d’un style alerte et enjoué semant çà et là les couleurs dans le texte comme le peintre sur la toile.

Le ton est celui d’un homme habitué à fréquenter les milieux mondains « Mon cher ami ». Il s’adresse à un public français anglomane, fortuné et cultivé. Mais ce qui est original dans ce texte qui pourrait être interprété a priori comme une banale relation de voyage d’artiste, derrière les descriptions des sites urbains, des châteaux, des merveilles de la nature écossaise, il y a un tout autre discours.

Michel Bouquet, Fuite de la reine Marie du château de Lochleven, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

C’est celui de la nostalgie des souverains Stuarts écossais, et là Michel Bouquet soutient une position politique, celle des Jacobites et de l’Ecossisme. S’il le fait, c’est qu’il y a des lecteurs qui sont en accord avec cette orientation et qu’il fréquente ces milieux.

Autre originalité, il a le courage de dénoncer la misère sociale infligée aux catholiques irlandais en Ecosse. Une misère effroyable accentuée par deux éléments. Le premier est la discrimination sociale faite envers les sujets de Sa Majesté qui ne suivent pas la religion royale, anglicane, dont les Irlandais.

Le second est que nous sommes entre 1848 et 1850, années de famine en Irlande causée par la chute vertigineuse des récoltes de pommes de terres ( – 88 %). Celle-ci est accentuée par le refus des militaires anglais de donner leurs stocks de réserves aux irlandais, et par le fait que les marchands continuent d’exporter des grains alors même que la famine touche les femmes et les enfants – un million de morts de faim –  ; et que les autorités anglicanes décident d’encourager l’émigration d’un million d’autres, ce qui brisera pour toujours la croissance de la population catholique irlandaise.

Le même phénomène de famine a lieu en Ecosse à cause de l’effondrement des récoltes de pommes de terre (- 80 %) au moment où Michel Bouquet s’y trouve, c’est la Highland Potato Famin qui amènera l’émigration massive des highlander écossais vers les Amériques. Les épaves humaines que décrit Michel Bouquet dans ses Lettres sont notamment des fermiers locataires incapables de payer leurs loyers et expulsés par les seigneurs propriétaires anglicans.

Mais soucieux d’une publicité qu’il veut internationale, il ne néglige pas pour autant la Grande-Bretagne, dont la langue est un tremplin pour séduire les lecteurs et futurs acheteurs, de plus en plus issus des Etats-Unis. Des publicités ciblées accompagneront ainsi en langue anglaise la vente de ses lithographies.

Le retour sur investissement médiatique est tel que près de vingt-cinq ans plus tard,  les frères Goncourt n’hésiteront pas à se servir de passages entiers de ce feuilleton épistolaire écrit par Michel Bouquet, pour rédiger Gavarni, l’homme et l’oeuvre, paru en 1873.

Dans l’immédiat cette campagne de communication fait de lui un personnage connu des deux côtés de la Manche et il est l’un des très rare artistes français choisis pour présenter ses oeuvres de lithographie à la première Exposition Universelle de Londres en 1851, dans le fameux Crystal Palace, 562 mètres de long 92 000 mètres carrés de surface d’exposition, une achitecture de fonte et de verre.

 

Joseph Paxton, The Victorian Crystal Palace, 1851 © Duke.edu

 

Heureux hasard ou choix délibérément anticipé par Michel Bouquet, la Grande Exposition de l’Industrie des Nations – véritable titre de la première Exposition universelle – n’a pas retenu la peinture comme étant trop lointaine par rapport à l’industrie. Bouquet lui n’a cure de cette séparation psychologique entre beaux-arts et industrie : ses lithographies lui permettent d’y exposer et l’essentiel à ses yeux, se faire connaître et vendre, lui font franchir les barrières entre ces deux mondes.

Et son entregent incroyable ainsi que son sens aigu de la publicité lui permettent, un an avant cette même Exposition, de faire figurer côté à côte son feuilleton consacré à l’Ecosse et les débats passionnés qui s’y rapportent dans tous les médias et esprits britanniques

L’Illustration, Journal Universel, samedi 20 avril 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

1 Une publicité et des retours parfois acerbes dans les journaux et revues anglaises

2 Première des Lettres sur l’Ecosse parue dans L’illustration, samedi 2 mars 1850

3 Seconde lettre sur l’Ecosse parue dans L’illustration le samedi 23 mars 1850

4 Troisième lettre sur l’Ecosse parue dans L’illustration le samedi 29 avril 1850

5 Quatrième lettre sur l’Ecosse parue dans L’illustration le 11 mai 1850

6 La relation qu’en font les frère Goncourt en 1873 à propos de Michel Bouquet

7 Exposition de ses créations lithographiques au Crystal Palace, dans la Grande Exposition de l’Industrie des Nations de Londres en 1851

 

1 Une publicité et des retours parfois acerbes dans les journaux et revues anglaises

 

Scotland according to a frenchman

 

« In the Paris Illustration, a journal modelled on the Illustrated London News, have lately appeared some article entitled  Letters on Scotland.

They are accompagned by engravings taken professedly from sketches by the autor, a certain M. Michel Bouquet, unless the name be signs be an assumed one.

The first thing that strikes us in a general view of Edinburgh , taken , apparently, from some point of Arthur’s Bent. It is now several years since we last now our native town, and great changes, we are told, have since take place in it. (…)

(…) We did not, however, expect to find them so complete as, judging from the view before us, they must be. To begin with the Calton Hill ; Nelson’s monument, it would appear, has been slid a considerable distance back from the edge of the cliff on which it formerly stood ; the High School and the whole of the Regent Terrace have been removed ; and, though the Prison Buildings remain, the fine road which swept forwards from them has been ploughed up. The site of Burn’s Monument is occupied by a quare tower with battlements. Looking more to the left, we find that the New Buildings, on the North Bridge, have been somehow or another rendered transparent, so as to admit of the Scott Monument being visible through them ; so to the bridge himself, its southern extremity runs behind or to the west of the Castle Rock (…)

(…) But we must be done with M. Bouquet ( although his jurney actually extends over another letter ), for his fantastic stuff, now that the thermometer is standing at 97 degrees ( Fahrenheit ) in the shade, would raise our bile to jaundice heat. Such a sacrifice, we are sure, no charitable reader would expect of us. As far as we are concerned, therefore, M. Bouquet may to go – Banff, or any other part of Scotland he pleases ».

Hogg’s Instructor, Paris, July 12, 1850

Des remarques acerbes, certes, et compréhensibles pour les thuriféraires de l’orgueilleuse Albion, au regard de l’angle d’approche utilisé par Michel Bouquet, mais qu’on parle de moi en bien ou en mal, du moment qu’on parle de moi !…

 

2 Première des Lettres sur l’Ecosse parue dans L’illustration, samedi 2 mars 1850

 

Michel Bouquet, Lettres sur l’Ecosse, L’Illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

Michel Bouquet, Lettres sur l’Ecosse, L’Illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

« Lettres sur l’Ecosse

Édimbourg, le ….

MON CHER AMI,

Je vous avais promis, à mon départ de Londres, de vous décrire mon voyage en Écosse. Voilà les premiers feuillets de mon calepin que je vous adresse d’Édimbourg, où je suis depuis une quinzaine et que je quitte demain pour commencer ma course dans les Highlands.

Vous savez que je suis plus habitué de la plume qu’à manier le crayon, aussi je compte sur votre indulgence en lisant ces feuilles, où j’ai jeté, en passant, sans y mettre beaucoup d’ordre, mes impressions de voyageur et d’artiste. Ce sont de simples et rapides croquis faits sur nature, des esquisses légères qui n’ont d’autre mérite que d’avoir été prises avec vérité et naïveté.

Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.

Cette vieille et classique maxime, un peu trop large dans bien des cas, s’applique ici tout entière dans un pays où l’imagination la plus brillante et la plus féconde, soit qu’elle se porte sur le théâtre ou qu’elle se plonge dans les souvenirs de l’histoire, est toujours dépassée et vaincue par la réalité.

Les artistes anglais, ces grands et habiles faiseurs de vignettes où la vérité presque toujours remplacée par la fantaisie, n’ont plus rien inventé ici de plus romantique, de plus étrange, de plus féerique tout à la fois que la nature elle-même.

Vous savez que c’est par mer, après une traversée de 46 heures sur le paquebot de the City of Edimburg d’abord, que nous sommes arrivés de Londres à Édimbourg.

C’était par une belle soirée de dimanche, la mer dans la baie était calme, et le sel au couchant était rayé d’or et de pourpre. Devant nous, Édimbourg, à moitié perdue dans les molles vapeurs du soir, se dessinait plus distinctement à mesure que nous en approchions. À gauche comme un lion couché, la montagne d’Arthur seat, le siège d’Arthur. À droite, la colline de Calton-Hill avec ses aiguilles et ses colonnes se silhouettait sur les fonds gris, et au milieu, par dessous les toits dentelés de la vieille ville, comme une couronne royale brisée, s’élevait le château d’Édimbourg, acropole de cette Athènes moderne à laquelle le port de Leith sert de Pirée.

 

Les têtes bleuâtres des monts Grampiens et du Fife-shire qui s’enfonçaient dans l’horizon formaient le dernier plan de ce magnifique tableau.

Michel Bouquet, Edimbourg, L’illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Du reste, de quelque côté qu’on arrive à Édimbourg, on ne peut pas manquer d’admirer la beauté, pittoresque et la grandeur de la scène qui se déroule sous vos yeux, et dans laquelle la nature semble avoir épuisé tout ce qui peut embellir de grandes cités : des montagnes, des vallées, des bois, des chants, des prairies comme des tapis vert, des lacs comme des miroirs, et pour encadrer toutes ces belles choses, la mer… Ceinture verte à franges d’argent !

N’allez pas croire qu’à exemple des voyageurs, qui veulent toujours vous donner ce qu’ils ont vu comme des choses incomparables, souvent parce qu’ils n’ont rien à comparer avec l’objet de leur admiration, je me laisse aller trop loin à mon enthousiasme en faisant un tableau d’Édimbourg.

J’ai visité presque toutes les capitales de l’Europe et ses villes les plus célèbres et les plus pittoresques. J’ai vu Naples au fond de sa baie d’azur, Gênes appuyée sur sa belle corniche, Palerme endormie au pied de l’Etna, Athènes au milieu des ruines, Smyrne au milieu des fleurs, que vous dirais-je encore ? Cadix, Venise, ces deux reines des couronnées de la mer, eh bien ! Toute, à l’exception cependant de Constantinople, dont la vue est sans rivale, toutes, selon moi le cèdent à la capitale de l’Écosse pour le pittoresque de l’ensemble comme pour le merveilleux, le fantastique des détails. Ajoutez à tout cela les souvenirs historiques les plus variés, les légendes les plus fabuleuses, un parfum de vieille poésie et de nationalité conservé précieusement par les habitants dont les glorieux ancêtres n’ont pu être soumis ni par les Romains ni par les Anglais. Telle m’a paru la capitale de la Calédonie, l’Athènes moderne de l’Écosse, comme, dans leur sainte admiration pour elle, l’appellent ses enfants.

Édimbourg qui compte tout au plus 450 000 habitants le cède de beaucoup, comme population et comme importance commerciale, à Glasgow la cité manufacturière, la troisième ville des trois royaumes. Les lignes de fer de Perth, de Dundee, de Glasgow du Nord British Railway, ces grandes artères qui font circuler si vite, comme le sang du cœur aux extrémités du corps, le mouvement et la vie dans un peuple, ont beaucoup augmenté depuis quelque temps le commerce d’Édimbourg.

Rien de plus animé que de voir et d’entendre à tout instant du jour partir et arriver un panache blanc sur la tête et du feu dans les naseaux, ces coursiers rapides et haletants qu’on nomme locomotives. Les débarcadères sont tous dans le centre de la ville, au fond d’une vallée, autrefois un lac, qui sépare la vieille ville de la ville moderne, et sur laquelle enjambe un beau viaduc, qui sert de communication aux deux cités.

 

Sulpice-Guillaume Chevalier, dit Paul Gavarni, Les lavandières écossaises, L’Illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

J’ai peu de choses à vous dire de la nouvelle ville ; elle ressemble à tout ce que vous connaissez : grande, propre, régulière. On dirait un beau quartier de Londres avec ses squares de verdure, ses rues bordées de grilles, ses maisons carrées et sans architecture. Dans les plus beaux carrefours s’élèvent des blocs de bronze sur les piédestaux, que les habitants appellent Georges IV, Pitt, etc. En un mot, rien pour les souvenirs d’un poète, rien pour les yeux d’un artiste.

Mais quel contraste, si du milieu de Princess street, belle et longue rue qui borde la vallée, vous portez vos regards de l’autre côté de la ville ! Impression semblable à celle que éprouviez, alors que les expositions de peinture se faisaient au Louvre, quand le samedi après avoir parcouru le salon tapissé bariolé de la peinture moderne, vous entriez dans le sanctuaire des vieux maîtres italiens.

Ici comme tout change ! Quels caprices dans les lignes, quelle beauté dans la couleur, et cependant que d’harmonie dans l’ensemble !

Je ne connais pas au monde une vue plus belle. Je vais essayer à vous en ébaucher le tableau.

Devant vous, en premier plan, comme la flèche dentelée d’une vieille basilique qui surgirait du sol, s’élève le monument de Walter Scott, merveille moderne de l’art gothique. À travers ses ogives et ses trèfles à jour on voit se dessiner sur le ciel la masse imposante du château, et puis comme une longue galerie aérienne qui descendrait de droite à gauche, les pignons anguleux des vieilles maisons à 10 et 12 étages, échelonnés comme des écailles les uns sur les autres, des tourelles, des girouettes, des myriades de cheminées de toutes formes, de toutes couleurs, tout cela se dentelant comme une scie ébréchée sur le ciel, et de distance en distance les flèches gothiques des églises pour couper cette longue ligne, qui se termine à la gauche du tableau par les tourelles pointues et l’architecture régulière du sombre palais d’Hollyrood. Les belles lignes de la montagne d’Arthur-seat et de Salisbury-craigs forment les derniers plans.

Maintenant pour compléter cette magique peinture, voyez-la à la tombée du jour, à l’heure où le soleil se couche dans un lit de nuages d’or, alors que le bleu du ciel devient vert à l’horizon et rose au-dessus de la tête ; à l’heure où l’on commence à voir scintiller dans l’ombre des lumières jaunes et rouges qui sortent des lucarnes et des fenêtres à ogives.

En tous les souvenirs de voyage, je ne me rappelle que d’une nuit à Constantinople qui m’ait impressionné autant. J’étais dans une caïque, au milieu de la rade, quand j’ai vu, au-dessus des cyprès du champ des morts de Scutari, comme un grand bouclier d’or, monter dans le ciel la pleine lune.

D’après ce que vous venez de lire, vous comprendrez facilement ,mon cher ami, pourquoi nous avons été de préférence nous loger au cœur de la vieille ville, dans High Street, numéro 104, chez un écossais pur sang, Monsieur Aitken, le plus aimable et le plus complaisant des hôteliers passés, présents et futurs, et dont je me fais un vrai plaisir de vous donner ici l’adresse, si vous veniez à Édimbourg, vous dont je connais les goûts d’antiquaire et d’artiste, vous ne sauriez avoir un meilleur cicérone.

Je n’en dirais pas autant à ces touristes qui ne mesurent le plaisir du voyage que sur l’argent qu’ils ont dépensé, et qui ne voient un pays qu’ à travers les glaces de leur calèche. Moi, je préfère comme vous le savez, aller à pied, c’est plus amusant, et c’est moins cher.

La vieille ville est bâtie sur une colline et traversée de l’Est à l’Ouest par High Street, qui commence au château et se termine par une pente douce.

Michel Bouquet, Edimbourg, Lettres sur l’Ecosse, L’Illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

En prenant la partie inférieure le nom de la Canongate – à mettre en relation pour le lecteur cultivé de cette première moitié du XIXe siècle avec le titre d’une série de nouvelles de Walter Scott – , au palais de Hollyrood – un palais où s’est réfugié le roi Charles X descendant des Stuarts, après la révolution de 1830, dont Théodore Gudin, le maître de Michel Bouquet, était un protégé – ,

Michel Bouquet, Edimbourg, Lettres sur l’Ecosse, L’Illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

de cette longue et sinueuse rue qui forme la crème du mamelon, descendent à droite et à gauche une infinité de ruelles et de cours, cours sombres et tortueuses, passages étroits et surplombés de hautes et vieilles maisons.

Michel Bouquet, Edimbourg, Lettres sur l’Ecosse, L’Illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Vue à vol d’oiseau, l’antique cité ressemblerait un immense poisson qui aurait pour tête le château,et pour colonne vertébrale High Street, dont les ruelles et les cours seraient les arêtes.

Rien au monde n’est plus pittoresque l’aspect de cette rue, autrefois la splendide demeure des plus hauts barons d’Écosse, des généraux et des ambassadeurs de France, maintenant peuplée d’une pauvre population en haillons.

De ces balcons de pierres, de ces fenêtres armoriées, d’où l’on voyait jadis les blondes et nobles filles de la Calédonie regardant passer le cortège et les cavalcades royales, ou bien, dans ces temps de guerre et de troubles, aller à la mort quelque victime, comme le brave Montrose ; aujourd’hui vous voyez sortir quelques têtes, ou pendre quelques chiffons sordides. Partout les traces et les emblèmes de la vanité des anciens propriétaires sont effacées ou mutilées par le temps : armures, écussons blasonnés, casques, couronnes, légendes, sont confondus pêle-mêle avec les enseignes des marchands.

J’ai vu une couronne ducale avec ses pairs et ses feuilles de persil, au-dessus de l’échappée d’une fruitière !

Vanité des vanités !

Le temps, ce formidable niveleur, semble avoir oublié exprès les emblèmes d’un vieux monde pour témoigner de la décadence d’une cité royale et pour servir d’entrée à un palais abandonné.

Michel Bouquet, Edimbourg, Lettres sur l’Ecosse, L’Illustration, samedi 2 mars 1850, © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

À l’entrée de la Canongate, du côté gauche en descendant High-street, au milieu de masures en ruines, on vous montre la maison de John Knox, ce fougueux réformateur dont la voix, comme les clairons des Hébreux devant les murs de Jéricho, a fait démolir et incendier tant d’églises et de monastères. Aujourd’hui sa maison menace de crouler sur la tête du passant !

L’édifice plus curieux sans contredit de la Canongate est le Burgh-Jail, la prison du château, et dans lequel siégeait la Haute Cour de justice. Sa destination n’est pas changée, il sert encore aujourd’hui de prison. Il fut bâti sous le règne de Jacques VI. Au-dessus de la porte, on lit :

Patriae et posteris, 1594.

Plus haut, sous les armes et la légende de la Canongate : sic itur a astra, est gravé ce vers latin :

Justitia et pietas, validae sunt principis arces

Un peu à droite de la porte est un poteau de pierres qui servait de pilori pour les criminels. Le faîte de l’édifice est terminé par une petite tourelle en pointe, sous laquelle est le cadran d’une horloge formant saillie.

 

© http://www.edinburgh.gov.uk

En descendant toujours la Canongate, entrons à droite et à gauche dans ses étroites et sombres ruelles, dans ces caves noires et fangeuses, où jamais n’est descendu un rayon de soleil, et d’où l’on ne peut apercevoir qu’avec peine, à travers les loques qui pendent et les cheminées qui fument, quelques pouces du ciel.

Rien de ce que l’on a vu ne peut donner une idée du caractère fantastique et pittoresque, du magique effet des ombres et des lumières, de la bizarrerie des lignes et des formes, et surtout de la couleur merveilleuse de ces court…. Et quels habitants !… Comme le nid est bien fait pour l’oiseau ! Voyez-vous entrer sortir ces grandes et belles filles alertes et bien prises, au teint frais, à la chevelure ardente, pieds nus, bras nus… ; ces vieilles femmes maigres comme des sorcières, sous des chapeaux sans couleur et dans de longs tartans écossais, ces enfants de tout âge, de tout sexe, à moitié nus, qui crient, qui grouillent, se battant, se roulant dans la fange qui couvre les dalles.

Oh ! C’est surtout par un samedi soir, entre neuf heures et minuit, qu’il faut voir l’aspect de High Street.

Vous savez que dans toute l’Angleterre, et particulièrement dans la puritaine Écosse, chaque maison doit faire le samedi provision pour le lendemain, le dimanche étant strictement consacré à la prière et au repos, aucune boutique ne peut rester ouverte.

Or, chaque samedi High Street est transformée en marché. Des trottoirs et toute la largeur de la rue sont encombrées d’échoppes en plein vent : fruits, légumes, viandes, volailles, poissons, fromages, tout y est pêle-mêle ; une populace nombreuse, femmes, hommes, vieillards, enfants, se croisent, se poussent, grouillent, crient, glapissent, jurent, chantent au milieu de ce tohu-bohu, de ce pandémonium étourdissant. À chaque pas vous êtes poussés par un ivrogne sur une de ces femmes qui selon Gilbert,

S’en vont à deux, sur le déclin du jour,

Dans les lieux fréquentés colporter leur amour.

Misérables Laïs de cette Athènes moderne !

Courtisanes aux pieds nus qui portent des robes à volants !

Maintenant éclairez-moi ce tableau si fantastique déjà par la lumière rouge et vacillante des torches et des lanternes à ciel ouvert. Encadrez-le de hautes maisons grimaçantes, ridées, qui semblent se pencher pour regarder dans la rue avec leurs petits yeux tout rouges, et vous aurez sous les yeux le spectacle le plus merveilleux, le plus diabolique qui puisse sortir du cerveau d’Hoffmann ou du crayon de Callot. Au bas de la Canongate, la partie la plus triste et la plus solitaire de la ville, au milieu de misérables cabanes, dans la vallée entre Arthur-seat et la vieille ville, s’élève l’ancienne résidence des rois d’Écosse, palais de Hollyrood, édifice quadrangulaire, triste et sombre comme ses souvenirs, avec sa porte flanquée de quatre tours, au-dessus de laquelle sont les armes d’Écosse, entourées du chardon national, avec cette légende :

Nemo me impune lacesset

Michel Bouquet, Edimbourg, Lettres sur l’Ecosse, L’Illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

Au-dessous brillent les uniformes rouges des deux sentinelles qui gardent l’entrée de ce palais désert.

À gauche sont les ruines de la chapelle, lieu de sépulture des têtes couronnées et des plus grandes familles du pays : ruines humaines dans les ruines de pierres ! Monarques sans sujets dans un temple sans hôtel ! Le lierre, ce signe vivant de l’oubli, couvre tous les jours de plus en plus les vieux tombeaux des antiques murailles.

 

Michel Bouquet, Chapelle d’Hollyrood, L’illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Depuis les dernières guerres de l’union jusqu’en 1745, Hollyrood est resté désert, et nul autre n’est venu troubler sa solitude et faire diversion aux souvenirs qu’il garde religieusement. En 1795, pour la première fois, ces portes sont ouvertes pour recevoir un prince français exilé, le comte d’Artois, qui resta jusqu’à l’année 1799, et en 1831, le même price, devenu Charles X, y entra encore en proscrit, en roi détrôné.

Dieu seul est grand, mes frères ! Comme le cria du haut de la chaire Bossuet, cet éloquent panégyriste des grandeurs humaines. Venez avec moi voir encore dans ce même palais ce qu’il reste d’ une grande Reine, de la belle et infortunée Marie Stuart. Un vieux lit de damas rouge, quelques meubles vermoulus, un méchant portrait, et puis la lance, les cuissards et les lourdes bottes du mari de la Reine, de Lord Darnley, cette autre victime de ces époques de barbarie et de sang. De tant de grandeur, de beauté, de puissance, rien ne reste que cela ! Et pas même cela, car l’authenticité de ces pauvres reliques est très contestable.

Près de la porte de la chambre de la Reine, on vous montrera une tache noire sur le plancher, et que la sollicitude intéressée du gardien femelle a bien soin d’entretenir de temps à autre. Cette large tâche, c’est du sang ! Celui de ce pauvre Rizzio, ce beau troubadour italien dont je vais vous dire la fin si tragique.

C’était un samedi soir, le 9 mars de l’année 1556. La reine Marie, avec la duchesse d’Argyle, et quelques dames sa cours étaient à souper. Rizzio dans le fond du salon, assis à une petite table, chantait à sa royale protectrice une villanelle de son beau pays de France, qu’elle aimait tant. Un orage violent qui fouettait dans les vitres du palais les rafales de pluie et de grêle, empêcha d’entendre les meurtriers et leurs complices pénétrer dans les cours et les appartements. À leur tête été le comte de Morton et Lord Lindsay. Un nommé Ruthwen et quelques autres assassins arrivent jusque dans la chambre à coucher de la reine par un escalier dérobé qui communiquait avec la chapelle. Le poignard la main, ils entrent brusquement dans le salon et malgré les larmes et les supplications de sa royale maîtresse, ils saisissent l’infortuné Rizzio , le frappent sous les yeux de la Reine de nombreux coups de poignard, et traînent son corps à la porte de sortie en se livrant sur lui à d’odieux excès. Le lendemain le cadavre du malheureux italien fut enseveli par les ordres de Marie Stuart dans le caveau royal de la chapelle, son tombeau se voit encore.

Michel Bouquet, Chapelle d’Hollyrood, L’illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Le reste du palais n’offre qu’un médiocre intérêt. Dans la salle du trône est un beau portrait en pied de Georges IV, en grand costume Highlander que ce roi fit faire à sir David Wilkie, pour perpétuer le souvenir de son passage à Édimbourg en l’année 1822.

Dans une longue et sombre galerie qui occupe le premier étage la façade du Nord, sont suspendus aux parois les portraits de 111 souverains d’Écosse, peints par un artiste flamand nommé Witte. L’existence d’une grande partie d’entre eux, depuis le règne presque fabuleux de Fergus Ier, ets aussi imaginaire que leurs ressemblances.

J’allais oublier un cadran solaire sculptait goût, que la reine Marie apporta de France, et fit placer dans le jardin derrière la chapelle où on le voit encore. Comme hier, comme aujourd’hui, comme demain, elle promènera sur son cercle de marbre son ombre lente et régulière, et il verra passer les générations éphémères des hommes, et tomber pierre par pierre les monuments qui l’entourent !

Combien d’heures de sang et d’amour, de bonheur et d’angoisse, n’a-t-il pas déjà marquées ! Sans s’arrêter un instant sur les unes, sans passer plus vite sur les autres, et nous, insectes d’hier et qui mourront demain, pourquoi compter les pas du temps, et nous arrêter pour regarder les heures qui passent.

La vie est courte et les heures sont longues, a dit Fénelon. Pourquoi donc la raccourcir encore en les allongeant davantage ? Laissez-moi en finissant ma lettre, vous citer ces beaux vers de Victor Hugo qui me viennent à la mémoire, et dont la poésie mélancolique est bien en harmonie avec mon sujet :

Ephémère histrion, qui sait son rôle à peine,

Chaque homme, ivre d’audace en palpitant d’effroi,

Sous le sayon du pâtre ou la robe du roi,

Vient passer à son tour son heure sur la scène.

Michel Bouquet, L’illustration, samedi 2 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Bonsoir ami, si vous me lisez alors je finis de vous écrire, vous devez avoir, bien plus que moi encore, une terrible envie de dormir. Fasse le ciel que vous ne vous réveilliez pas trop tard demain. J’ai peur que la dose de mon narcotique ne soit un peu trop forte. Michel Bouquet.

 

3 Seconde lettre sur l’Ecosse parue dans L’illustration le samedi 20 avril 1850

Ma dernière lettre vous a laissé à Hollyrood, plongée dans des réflexions philosophiques sur les vicissitudes des choses d’ici-bas. Pour chasser ces idées noires, je vais vous conduire par une belle matinée d’automne, sur le sommet d’Arthur-Seat . Une route large et carrossable, terminé en 1844, monte en spirale sur les flancs de la montagne. À ses pieds, sur une colline de roches basaltiques, s’élèvent les ruines de la chapelle de Saint-Antoine. De ce lieu, on a une vue générale d’Édimbourg , fort belle. Près de là, coule une source limpide dont l’eau est renommée pour sa pureté. Elle avait autrefois le don merveilleux de guérir les malades. Les rois jadis guérissaient aussi les écrouelles.. Pour les fontaines que pour les rois, le temps des miracles est passé !…

Nous voilà au sommet d’Arthur-Seat, siège aride au milieu de rochers basaltiques s’élevant à 822 pieds au-dessus du niveau la mer.

Quel immense horizon ! Quel splendide panorama ! À nos pieds, Édimbourg, bâti sur des collines, comme Rome, la ville éternelle, qui s’éveille et commence à sortir des fumées et blanches vapeurs du matin. À droite, Calton-Hill avec son temple grec et sa colonne rostrale élevée à Nelson ; et plus bas le tombeau du poète Burns, le Béranger des Écossais ; plus loin, la nouvelle ville, qui s’étend comme un damier régulier dans la plaine ; plus loin Leith avec les mâts de ses vaisseaux et les cheminées de ses bateaux à vapeur, et New-Haven avec ses barques de pêcheurs, et plus loin, plus loin encore, par-dessus tout cela, la baie de Musselbourg, le golfe de Forth, et la mer, couvertes d’îles et de voiles blanches. Mare velivolum !… Devant nous, à l’extrémité de la vieille ville, un amas confus et bizarre de maisons qui ressemble à un jeu d’échecs, se dessine sur les cimes bleues du Pentland, l’antique citadelle. On peut voir d’ici, à l’angle du château, donnant sur le Grass-Market, la fenêtre de la petite chambre où naquit Jacques VI – un Stuart protestant – qui mourut roi d’Angleterre.

Michel Bouquet, Edimbourgh,  L’Illustration, 23 mars 1850, n° 367, p 183 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Portons nos regards de l’autre côté. Le tableau change, sans être moins grand, moins majestueux. Au-dessous de nous, un beau lac où se mire le ciel, turquoise bleue posée sur du velours vert. Plus bas sur la plage, une ville au nom italien, Porto-Bello. Et à l’horizon la grande ligne de la mer du Nord. Dans le golfe, des îles et des rochers, que ceint une blanche écume, et le sillage, que laissent dans le ciel, ou sur l’eau, les bateaux à vapeur.

Je ne crois pas qu’il existe plus belle vue que celle que l’on a d’Arthur-Seat !… Et je comprends très bien l’enthousiasme du romancier écossais qui fait dire à son magister dans la Prison d’Édimbourg : « Si j’avais à choisir un lieu d’où je puisse voir le soleil se lever et se coucher dans sa pompe la plus sublime, ce serait ce sentier sauvage qui serpente autour de la haute ceinture de rochers demi-circulaire qu’on nomme Arthur-Seat. »

Les environs d’Édimbourg sont aussi pittoresques et aussi curieux à visiter que la ville elle-même. Sur cette terre classique de l’histoire d’Écosse, partout des traces et des souvenirs de toutes les époques charment vos yeux et réveillent votre imagination.

 

Michel Bouquet, Ruines du château de RoslinL’illustration, samedi 23 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

À quelques milles de la ville, sur les bords d’un torrent, encaissés et couverts de végétation, vous trouvez près d’un château en ruines les restes une petite église.

C’est Roslin-Chapel, bijou antique du travail le plus exquis, véritable camée de pierre : Materiam  superabat opus, comme dirait Virgile. La nef seule est terminée. Les piliers et les chapiteaux sont ornés de feuilles et de figures d’anges. Un d’eux surtout, the prentice pillar, le pilier de l’apprenti, enlacé d’une guirlande de pierres en spirale, surpasse tout ce que j’ai vu comme élégance et fini d’exécution. Dans l’enroulement de son chapiteau, parmi les figurines représentant les vices et vertu, l’artiste a mis un joueur d’équipe en costume de highlander.

L’architecture de cette précieuse chapelle en fait une chose tout à fait unique au monde. Je ne saurais la définir. C’est tout à la fois la solidité et la gravité du style normand avec ce que le genre Tudor a de plus fleuri, le tout mêlé de byzantin, de gothique et de renaissance.

À l’entrée de la baie d’Édimbourg s’élève du milieu des flots, à une hauteur de plus de 400 pieds, un rocher isolé et taillé à pic.

 

L’image dans l’article de journal

Michel Bouquet, Bass-Rock,  L’illustration, samedi 23 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

La lithographie originale de Michel Bouquet

Michel Bouquet, Bass-Rock, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

 

La lithographie originale de Michel Bouquet

Michel Bouquet, Bass-Rock, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

C’est Bass-Rock, qui, dans les temps les plus reculés, a servi de retraite à l’ermite Saint-Belfred, et fut naguère sous Guillaume III, le dernier boulevard des défenseurs de la vieille monarchie écossaise, et qui, de nos jours,  est devenue la paisible demeure de  millions d’oiseaux de mer connue dans le pays sous le nom de Solan-Geese. C’est un palmipède blanc de la grosseur d’une oie, et qui, chose étonnante, ne se trouve que sur ce rocher. Il ne pond qu’un oeuf qu’il dépose sur le roc nu, d’où lui vient son nom Solan. Les jeunes se mangent, mais leur chair est dure et huileuse : Experto crede Roberto.

En face, sur le continent, se dressent les ruines si romantiques de Tantallan-Castle, nid d’aigles, posé sur la pente aride d’un précipice, au pied duquel la mère gronde et  bouillonne;  plus loin sur la côte, le sombre et solitaire château de Dunbar, et dans l’intérieur du pays, les runes de Cricton, aux murs tailladés en facettes de diamant ; celles de Borthwick, aux terribles oubliettes, et tant d’autres, dont les pierres, éparses sur ce sol sacré, sont comme les feuilles précieuses de son ancienne histoire.

 

L’image dans l’article de journal

Michel Bouquet, Tantallan Castle,  L’illustration, samedi 23 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Une version dessinée

Michel Bouquet,  Tantallan Castle, Pierre noire et rehauts de blanc, 31x50cm, 1849 © vente Sulis Fine Art

 

Il en est une encore, près d’Édimbourg, que je ne puis passer sous silence, triste et glorieuse page, à moitié consumée par les flammes, mais sur les débris de laquelle on lit encore – 1552 – la date de naissance de l’infortunée Marie Stuart !…

 

L’image dans l’article de journal

Michel Bouquet, Le château de Linlithgow,  L’illustration, samedi 23 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Autrefois résidence royale, Linlithgow, le séjour favori de Jacques IV et de la reine Marguerite, n’est plus aujourd’hui qu’une froide et triste ruine dans un riant paysage. Cadavre noirci par la fumée, que le temps, ce dernier juge, conserve comme une gloire pour l’Écosse est comme un remords pour l’Angleterre

 

1542 – 1746   Dates de sang et de feu !…

La première, Marie Stuart !…

La seconde, l’incendie du palais par l’armée anglaise.

Michel Bouquet, Le château de Linlithgow, Lithographie, 55x44cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

 

Inverness, le …. 1849

Je reprends ma lettre, interrompue par mon départ d’Édimbourg. Depuis cette halte dans ma correspondance, j’ai bien fait du chemin, comme vous le voyez, mon cher ami, et j’ai vu bien des choses, de bien belles choses !…

Je m’empresse de vous en envoyer les esquisses telles qu’elles, et comme je les ai croquées sur nature, à vous de déterminer, en y mettant tout ce qu’il y manque, la correction dans le faire et le fini dans les détails.

Ceci dit je vous transporte d’un bond dans le nord de l’Écosse; vous arrivez à Inverness, où je suis depuis quelques jours. Nous allons courir ensemble dans les environs, et puis nous descendrons ensemble le Caledonian Canal, au bout duquel nous arrivons à la fin de cette lettre. À Glasgow, nous nous serrons la main en nous disant : Au revoir !

Michel Bouquet, Inverness,  L’illustration, samedi 23 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

Inverness est la capitale des Higlands, de plus un bourg royal, un port de mer et le siège d’un presbytère dans le synode de Moray. Sa population est d’environ seize à dix-huit mille âmes. S’il faut en croire les Écossais, qui, entre nous soit dit, sont appelés les Gascons de la Grande-Bretagne, la fondation d’Inverness remonterait au règne Evan II, quatorzième roi d’Écosse, soixante ans après J.-C. Cependant des restes nombreux de la plus haute antiquité, des pierres druidiques, des forts vitrifiés, des constructions cyclopéennes et une forteresse romaine à Bona, appuieraient cette croyance.

 

La ville moderne, telle qu’elle est de nos jours, est assez insignifiante, surtout pour un artiste voyageur qui vient de voir Édimbourg. Elle est bâtie sur le bord de la mer, à l’embouchure de la Ness, petite rivière qui sort du lac du même nom. Sur un mamelon nommé Castle-Hill, qui domine la ville, et d’où la vue s’étend sur toute la plaine, s’élève le château et la prison, monuments d’architecture moderne singulièrement accouplés.

À cinq milles dans l’est se trouve le champ de bataille de Culloden, grand terrain triste et plat, immense tapis couvert de bruyères rouges, sur lequel s’est jouée la dernière partie entre les maisons de Stuart  et de Hanovre le 16 avril 1746.

Un champ de bataille est aussi une ruine : les ossements humains en sont les pierres. Aussi rien n’est-il plus mélancolique, rien ne fait-il plus rêver que l’aspect morne et silencieux de ces lieux remplis de si grands souvenirs. Le jour où je fus voir Culloden, le ciel était gris et chargé d’un brouillard transparent. Vers le sud, par-delà la rivière de Nairn, des collines basses s’enfonçaient dans la vapeur ; vers le nord c’était la mer, et autour de moi quelques monticules verts parmi lesquels un peintre écossais faisait paître les moutons. Je me rappelle avoir vu, dans les champs où fut Tristan, un berger de l’Ida gardant aussi son troupeau de chèvres.

Quittons ces lieux où la nature en deuil semble se conformer à nos tristes pensées, allons voir les chutes de Kilmore

Michel Bouquet, Falls of Kilmorack, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

et les bords enchantés de la rivière de Beauley. Beau lieu, doux nom que lui donna Marie Stuart. Quel contraste ! Ici la nature belle et vivante vous sourit de tous les côtés – mille harmonies  vous charment l’oreille : le murmure des eaux, le roucoulement des ramiers sauvages, le tic-tac d’un moulin, se mêlent aux chansons des meunières qui lavent avec leurs pieds du linge sur les bords de la rivière.

Le torrent se précipite avec impétuosité dans un lit obstrué de rocher, entre deux murailles immenses couvertes de grands arbres qui se penchent comme pour lui faire un rideau d’ombre. Dans un endroit appelé the Dream, le rêve… quel nom ! on voit se dresser, du milieu des eaux écumeuses, des blocs de roches qui prennent les formes les plus fantastiques. On dirait quelquefois des sphinx géants accroupis dans l’eau, ou bien un troupeau d’hippopotames monstrueux endormis sur ses bords. En côtoyant toujours la rivière par un chemin pittoresque taillé dans le roc, ou à chaque pas, à chaque mouvement de tête, le paysage change, on arrive à l’île d’Angus, que le torrent divisé en deux bras, entour d’une ceinture d’écume. C’est la résidence d’été de Sir Robert Peel.

A-t-on nous, ami, de quitter Inverness et de nous mettre en route car le temps passe et mon papier se remplit. Allumons un cigare et partons un carton sous le bras et un manteau sur l’épaule. Le ciel est bleu sur nos têtes, et sous nos pas la route est charmante.

Le Caledonian Canal, que nous allons côtoyer, est un des plus beaux et des plus importants ouvrages de la Grande-Bretagne. C’est la voie la plus fréquentée par les touristes de toute l’Europe, et elle mérite à juste titre sa célébrité.

Cet immense chemin de communication qui joint la mer du Nord au canal de bristol et qui a 60 milles de long, en comptant les la qu’il traverse, faut commencer en 1803 et terminé seulement en 1847. Des bateaux à vapeur, élégants et commodes, transportent tous les jours les voyageurs d’Oban à Inverness, et vice versa. Une jolie route pour les piétons serpente sur ses bords.

Après avoir visité la passe d’Inverfaraig, gorge profonde au fond de laquelle un petit torrent roule et bouillonne, on arrive bientôt aux fameuses chutes de Foyers.

Michel Bouquet, Pont pour la chute de Foyers,  L’illustration, samedi 23 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

Michel Bouquet, Bridge forthe fall of Foyers, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

La rivière de Foyers descend rapidement des montagnes de l’intérieur, et passe, en faisant un bond de 40 pieds, entre un précipice formé par des rochers perpendiculaires qui portent sur leurs têtes un petit pont aérien suspendu à plus de cent pieds au-dessus du gouffre.

Ensuite, pendant un demi mille, le torrent bondit avec fracas à travers des quartiers de roches et des arbres déracinés et tout couverts d’écume. Il s’élance par une étroite ouverture, d’une hauteur de 90 pieds, et perdu dans des abîmes de feuillage, il court, en grondant, porter aus Loch-Ness le tribut de ses eaux laiteuses.

Michel Bouquet, La cascade de Foyers,  L’illustration, samedi 23 mars 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Michel Bouquet, La cascade de Foyers, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Devant la cascade, un promontoire de rocher permet aux curieux de voir commodément l’imposant spectacle de cette masse d’eau dans la vapeur blanche les entoure et à travers laquelle le soleil décide de brillants arcs-en-ciel. Sur la rive opposée, les ruines du château du regard se lèvent sur un promontoire et se mirent dans les eaux tranquilles du Loch Ness.

En quittant les chutes de Foyers, la route s’élève sur de hautes montagnes et jusqu’à Fort-Augustus, gros village près des écluses du canal, un vaste panorama se déroule de tous les côtés et l’œil peut suivre, par la traînée fumeuse des bateaux à vapeur, le cours du canal qui disparaît dans le sud, derrière les hautes cimes des Highlands.

Sur le Loch-Oich, surgit, du milieu de grands arbres qui l’entourent, la belle ruine du château d’Invergarry, l’ancienne demeure des Glengary, ces chefs de clan si célèbre par leur puissance, leurs rapines, leur bravoure et leur hospitalité ; mélange de lycées de vices et de vertu, qui, dans ces époques demi-barbares, formait le caractère distinctif de ces redoutables montagnards.

Michel Bouquet, Invergarry castle, on Loch Oich, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Un de leurs descendants, digne fils de ses pères, est invité à un grand banquet donné par Georges IV pendant son voyage en Écosse. Il se rend en grand costume de Highlander, les trois plumes d’aigle sur la tête, la claymore au côté et précédé de ses joueurs de pipre. En entrant dans la salle du festin il s’assied au bas de la table ; le roi lui envoie dire de prendre une place plus élevée, plus près de lui :

« Va dire à Sa Majesté, répond le fier Celte, que la place que prend à table un Glengarry devient toujours la place d’honneur. »

À quelques milles plus loin, sur le même côté du lac, se voit un étrange monument, dit des Sept-Têtes, élevé pour conserver le souvenir d’un crime et la manière dont se rendait la justice dans ces temps de féodalité.

Je me rappelle qu’en quittant ce pauvre et triste mausolée j’éprouvais une émotion douce comme un souvenir d’enfance. Je côtoyais le lac, immobile et transparent. Le ciel était pur et le soleil de midi brillait dans tout son éclat. Autour de moi tout était silence et lumière et la nature semblait comme endormie.

Tout à coup j’entends un son faible que m’apporte une brise courant sur le lac. J’écoute, c’est le son lointain d’un pipre, c’est un air de ma Bretagne, un vieil air que ma mère aimait à me chanter pour m’endormir.

Je m’arrêtait tout ému, et tandis que j’écoutais religieusement, le paysage que j’avais devant moi sembla se confondre et disparaître. J’avais des larmes dans les yeux…

Michel Bouquet, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Je me remis en route, en hâtant le pas, et bientôt j’arrivais à une petite auberge devant laquelle des paysans dansaient au son d’une d’un pitre. C’était une noce. On m’invite de la façon la plus polie, à prendre part à la fête.

Je me risque à danser un reell, danse écossaise pleine de mouvements et de caractère qui a beaucoup de rapports avec celles de la Bretagne. Je bois du whisky à la santé de la mariée ; et le Breton de l’Armorique fraternise avec les Bretons de la Calédonie.

Après avoir distribué mes cigarettes, vidé mon sac à tabac, je prends congé de ces braves gens et j’arrive soir l’auberge de Letter-Finlay, méchant petit cabaret au pied d’une montagne abrupte, sur la margelle du lac Locky.

La route, jusqu’au Fort Williams, quitte les bords du canal et traverse un vaste plateau très élevé et couvert de monticules de bruyères roses ou de tourbières noires. De distance en distance nous apercevait quelques petits villages composés de pauvres huttes couvertes de modes de terre. La fumée s’échappe par un trou percé dans le toit et souvent par la porte basse et étroite.

Avant d’arriver à Fort-Williams, à droite sur la route, se trouve un cimetière d’où l’œil embrasse un vaste horizon.

Fatigué par la route que je venais de faire, je fus m’asseoir dans ce champ du repos sur une pierre tumulaire.

Je n’oublierai jamais la pompeuse et brillante représentation que la nature semblait donner tout exprès pour moi ce soir-là : le soleil allait se coucher derrière de hautes montagnes ; un nuage, comme un casque d’or, semblait posé sur sa tête. Toute la plaine, à mes pieds, déjà dans la demi-teinte était glacée de laque et d’outremer tandis que les derniers rayons du jour, glissant comme des fils d’or, allaient éclairer les cimes neigeuses du Ben-Nevis, ce géant des Highlands, Qui a comme 4370 pieds de hauteur. La rivière Locky, comme un serpent bleu et jaune, ondulait dans la vallée. Aux écluses de Banavie, je voyais les spirales de fumée des bateaux du canal, et çà et là, comme des étoiles tombées du ciel, des lumières brillaient dans les lointains vaporeux. Sur l’avant-scène comme les stalles de cet immense théâtre, des tombeaux, de simples pierres blanches, debout ou couchées dans le gazon;

Michel Bouquet, Cemetery of Fort William, Lithography, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

et pour orchestre le chant du grillon et les notes plaintives de quelques corbeaux qui passaient au-dessus de ma tête. Et je me rappelais alors que ces lieux si calmes aujourd’hui furent il y a peu près deux cents ans le théâtre d’un grand carnage, d’une sanglante bataille livrée sous les murs du vieux château d’Inverlocky, entre le duc d’Argyle et le marquis de Montrose.

Le froid du soir m’arracha  ma rêverie et le ciel était tout étoilé quand j’arrivais à For-Williams. Je trouvai la ville et les hôtels encombrés de touristes mâles et femelles qui revenaient ou allaient faire l’ascension du Ben-Nevis. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Ce vieil adage est on ne peut plus vrai en Écosse et cela est tout naturel. Le climat d’un pays de montagne, au milieu de l’Océan, par une latitude nord aussi élevée, doit nécessairement est très variable. Cependant il faut dire que les hivers, précisément à cause du voisinage de la mer, ne sont jamais aussi froids que dans le continents sous une latitude égale : la même cause tempère la chaleur de l’été.

Aujourd’hui le temps est sombre, et une pluie fine et serrée ne cesse de tomber jusqu’au soir ; le nez dans mon manteau, j’arpente à grand pas la route qui borde le Loch-Eil. Ses eaux immobiles ressemblent à une glace retournée ; des hérons çà et là se promènent en pêchant, sur ces bords.

Michel Bouquet, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

La route est bordée d’églantiers et de chèvrefeuilles dont le parfum se mêle à la senteur des foins.

Le soir, quand j’arrivai sur les bords du lac Leven, le soleil perçait les nuages et dorait de ses derniers raison rayons les maisons blanches du joli village de Kilmorack sur le bord du chemin. C’était un dimanche, à leurs portes, de beaux enfants aux blonds cheveux, de belles filles aux jambes nues, regardaient le soleil se coucher, et souriaientt en voyant passer un étranger à longue barbe, un homme du Sud comme ils les appellent.

J’entre dans une chaumière pour demander du lait, un vieillard entouré de trois amours d’enfants, refuse de prendre l’argent, mais accepte avec plaisir quelques cigares.

Mon ami, si vous venez en Écosse,  je vous donne le conseil de vous approvisionner de tabac. C’est un talisman, et le meilleur moyen de vous mettre en bonne odeur près des paysans écossais.

Je passe la nuit l’auberge de Ballahulish. J’y trouve bon dîner, bon lit, bonne mine et bon marché. Je vous la recommande malgré son nom barbare ; avec cela qu’elle est située d’une manière ravissante. Chacune de ces fenêtres sert de cadre à un délicieux paysage.

 

Un lieu que Rosa Bonheur peindra une vingtaine d’années  plus tard

Rosa Bonheur, Boeufs traversant un lac devant Ballahulish, Fusain, sépia et crayon, 124x223cm, vers 1873 © Musée d’Orsay

 

 

 

Le lendemain j’étais à Oban, petite ville d’hier, qui n’a d’intérêt que parce qu’elle est le rendez-vous des bateaux à vapeur de Glasgow, d’Iona, Staffa et du Caledonian Canal. À l’entrée de sa baie, vers le nord, sont les ruines de Dunolly, un des plus anciens châteaux d’Écosse, qui mêle à ses vieux souvenirs le nom du chantre de Fingal.

Michel Bouquet, Dunolly castle, near Oban, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Gardez vous, ami, de descendre à Caledonian Hotel, d’abord parce que c’est le rendez-vous des touristes fashionable, et de plus un endroit fort dangereux d’où l’on ne sort qu’écorché jusqu’au vif.

À quelques miles d’Oban, sur le lac Etive,

Michel Bouquet, Loch Etive, Lithographie, 44x55cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

une masse quadrangulaire de ruines nommées Dunstaffnage, sort d’un massif d’arbres verts. Les rochers qui lui servent comme de piédestal trempent dans la mer. Ce carré de pierres, sur lequel aujourd’hui les pêcheurs jettent leur fils à sécher, fut jadis un château royal dont la formation remonte aux rois pictes.

A l’entrée du Loch Etive, un château entouré sur trois côtés par les eaux de l’atlantique, abandonné après l’incendie accidentel de 1810

Michel Bouquet, Dunstaffnage castle, Lithographie, 55x44cm The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

Il est surtout célèbre pour avoir été longtemps le dépositaire de la fameuse pierre de fortune, trône des rois d’Écosse, espèce de palladium de l’indépendance calédonienne, qui sert aujourd’hui encore aujourd’hui, dans l’abbaye de Westminster, comme siège pour couronner les rois d’Angleterre. Une vieille prédiction disait que celui qui posséderait la pierre de fortune aurait les deux couronnes. La prédiction s’est accomplie quand Jacques VI Écosse, devenu Jacques Ier d’Angleterre, posa sur son front le diadème de Fingal et d’Élisabeth.

De Dunnastaffnage, la route qui mène à Inverrary est délicieuse. Rien n’est plus riant, plus accidenté que les bords du lac Awe, si ce n’est le chemin boisé et bordé de fleurs sauvages qui traversent le beau parc du duc d’Argyle, et descend travers les pelouses et les boulingrins du château vers Inverrary .

Michel Bouquet, Loch Awe, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

Cette jolie petite ville, dont les maisons blanches se reflètent dans les eaux du Loch-Fine, est célèbre pour la pêche de ses harengs, qui ont la réputation d’être les meilleures de l’Ecosse. Un petit bateau à vapeur vous transporte de l’autre côté du lac, pour aller prendre, à Loch-Gilphead, celui qui vous conduit dans la même journée à Glasgow.

Michel Bouquet, Inverarry on Loch Fine, Pointe noire avec rehauts de blancs,  30x49cm, London, circa 1849 © Vente Peter Wilson, 2008

 

Par un beau temps, je ne connais pas au monde une plus belle promenade. Accoudé sur le bord du bateau, devant vous, comme une peinture mouvante, passent mille paysages, tous variés, tous plus admirables les uns que les autres. Les lacs, la mer, l’embouchure de la Clyde, Greenock, derrière une forêt de mâts, et Dambarton, ce géant de pierre, à deux têtes. Que de mouvement !.., Quelle animation !.., Comme tout vous annonce l’arrivée de la grande cité industrielle et commerçante !.. Que de fumée !.. Que de bruits… ! Nous sommes à Glasgow. Je vous y laisse, ami, en vous serrant la main, et en vous disant, au revoir.

Michel Bouquet

 

4 Troisième lettre sur l’Ecosse parue dans L’illustration le Samedi 29 avril 1850, numéro 373, volume 15

Aberdeen, le…

MON CHER AMI,

Quelques jours après mon arrivée à Glasgow, je me suis mis en route pour visiter, en remontant vers le nord, toute la partie est de l’Écosse.

J’ai peu de choses à vous dire de Glasgow, très grande et très importante ville, comme vous le savez, célèbre par ses manufactures, et son commerce avec le monde entier, mais, en somme, n’offrant que peu d’intérêt à un voyageur comme moi, qui, avant tout, ne recherche et n’aime que le pittoresque.

Deux mots seulement sur la population de cette ville, dans la plus grande partie, surtout dans les classes pauvres et ouvrières est composée d’Irlandais ( note: les irlandais catholiques sont socialement défavorisés par rapports aux anglicans, religion royale ).

Les quartiers les plus populeux, les plus misérables de Paris et de Londres ne peuvent donner qu’une très faible idée de l’aspect de quelques-unes des rues de Glasgow, telle que Salt-Market et High-Street, surtout après la fermeture des ateliers, vers le soir et bien avant dans la nuit.

Si, poussé par la curiosité, vous aivez le courage de percer cette masse compacte, lie impure de toutes les mauvaises choses que l’on trouve partout et toujours au fond des grandes villes, je vous conseille de vider auparavant vos poches, et de boutonner votre paletot jusqu’au menton, sans quoi, quelques instants après, ce serait trop tard. Sur presque tous les figures de ces hommes et de ces femmes, la plupart jeunes encore, la misère et la débauche ont empreint leurs livides stigmates, comme sur un troupeau destiné à être dévoré par elles : je n’ai rien vu de plus triste et de plus hideux.

Quittons ce spectacle, qui blesse les yeux et attriste le cœur, et suivez-moi dans la course à travers les bruyères roses et le long des lacs transparents.

Oh ! La belle et sublime chose qu’un de ces grands Lochs de l’Écosse ! Immenses et élégantes coupes toutes pleines dont les bords dentelés sont ornés de guirlandes de forêts et de découpures de rochers, où descendent, pour y boire, les cerfs et les aigles, et dans lesquelles se mirent en passant les nuages !…

De toutes les belles choses dans la nature est si prodigue, celle qui a toujours eu le plus de charmes pour moi est la vue de la mer ou d’un grand lac. Quelle majesté dans les lignes, et quelle variété dans les aspects !

© https://www.stephanelequeux.fr/roadtrip_en_ecosse/

Et cependant cette surface si mobile, qui se plisse sous la moindre brise, qui s’assombrit au passage du plus petit nuage, ce miroir si changeant, sont aujourd’hui ce qu’ils ont toujours été depuis la création, tandis que sur leurs bords chaque année voit s’opérer des transformations nouvelles ; les forêts sont remplacées par les bruyères, les bruyères par des champs fertiles ; partout la main de l’homme vient aider celle du temps à abattre pour recréer du nouveau. Les eaux seules résistent à cette action de renouvellement, et, n’obéissant qu’aux lois de Dieu, elles ne conservent jamais le sillon que l’homme où l’oiseau creusent à leur surface.

Le lac  Lomond, le plus grand des lacs d’Écosse, est aussi le plus célèbre, le plus connu des touristes,

 

Michel Bouquet, Fall of Inversnaid, Loch Lomond, Lithographie, 55x44cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

et cependant malgré ses eaux limpides, malgré son archipel d’îles qui semblent posés sur son sein comme un colis de vertes émeraudes, je préfère le lac Katrine, ou bien le lac Awe.

 

Michel Bouquet,Lac Katrine, L’illustration, Samedi 29 avril 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Michel Bouquet, Loch Katrine, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Surtout si comment vous pouviez les voir à travers le feuillage doré des grands arbres qui ombragent leurs bords par un beau soir d’un jour d’automne. À cette heure, la nature principalement en Écosse, prend toujours un charme indéfinissable. Tout devient harmonie, silence et lumière. On dirait qu’elle se recueille pour adresser sa prière à son auteur.

Et vous-même, obéissant au charme qui vous entraîne, oubliant alors les choses amères ici-bas, vous avez comme le dit Béranger,

 

Un de ces instants où le cœur pense,

Où l’on aime à rentrer en soi.

 

Pour se rendre du lac Katrine à Callender, vous traversez une longue et étroite vallée, nommée les Trossachs. Rien ne peut former un plus heureux contraste avec les beaux et calmes paysages que vous venez de quitter, que la vue de cette gorge sauvage, hérissée d’arbres et de rochers de toutes formes et de toutes couleurs, jetés pêle-mêle les uns sur les autres ; chaos de granit et de verdure, qui semble le résultat d’un tremblement de terre, et au milieu duquel un torrent se fraie avec peine un passage.

© https://www.stephanelequeux.fr/roadtrip_en_ecosse/

 

À la sortie de la vallée, le chemin passe sur un vieux pont d’une seule arche, qui m’a paru tout à fait semblable au fameux pont des caravanes à Smyrne, et que, pour cette raison peut-être on l’appelle the Turc Bridge, le pont Turc.

 

Michel Bouquet, Turck-Bridge in the Trossacks, Lithographie, 55x44cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Après avoir côtoyé dans un étroit sentier bordé de roseaux et de fleurs sauvages, les lacs Vennachar et Ackray, on arrive à Callender, petite ville au pied des Highlands, qui n’offre rien d’intéressant, si ce n’est des chutes à deux ou trois milles de là.

Michel Bouquet, Lac de Vennachar, L’illustration, Samedi 29 avril 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Michel Bouquet, Lac de Vennachar, L’illustration, Samedi 29 avril 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

On peut facilement se rendre à la journée, de Callender à Stirling, en visitants sur la routes les belles historiques ruines du château de Doune ; par les restes massifs et imposants de ses hautes murailles, qui n’ont pas moins de neuf à dix pieds d’épaisseur, par sa position formidable sur un rocher escarpé, au confluent de la rivière la Teit et du torrent d’Ardoch, on peut juger encore aujourd’hui de l’importance de ce château royal qui a joué un si grand rôle dans l’histoire de l’Écosse ; sa construction remonte au XIVe siècle, il est actuellement la propriété de l’ancien illustre famille de Moray.

À quelques miles de Doune, sont les belles ruines de la cathédrale de Dumblane, qui, au Moyen Âge, était un couvent de Culdees.

Avant de faire arriver aspirine, permettez-moi de revenir sur mes pas, et de vous conduire dans un des lieux les plus justement vantés de l’Écosse. Je veux parler de la fameuse passe de Glencöe.

Michel Bouquet, Montée vers la vallée de Glencöe, Mine de graphite et rehauts de blanc, 31x44cm, London, 1849 © Vente ebay, 2018

 

Cette belle et pittoresque vallée, située au nord de l’Argyleshire, à l’extrémité du loch Leven, est traversée dans toute sa longueur, qui est de dix à douze milles, par une route militaire, et par un torrent qui bondit de rochers en rochers, traverse un petit lac, et vient se jeter, non loin de Ballahulish, dans le lac Leven. Ce ruisseau n’est rien moins que le fameux torrent de Cona, rendu immortel par les vers d’Ossian. Dans le fond de la vallée, du côté du Nord, au pied d’un pic escarpé, qui porte le nom de Fingal, s’élève un large carré de granit, que la nature semble avoir revêtu tout exprès d’un beau velours de mousses vertes : c’est le siège d’Ossian !…

 

Michel Bouquet, The pass of Glencöe, Lithographie, 55x44cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Et au milieu du silence de la vallée, le murmure du torrent qui coule ses pieds semble comme les sons lointains de la lyre du vieux barde.

Dans tout mon voyage, je n’ai rien vu de plus grandiose du plus poétique que cette passe de Glencöe. De chaque côté descendent presque à pic, d’une hauteur de plus de deux mille pieds, des montagnes, tantôt couvertes de bruyères rouges, tantôt arides et rayées par le lit des torrents.

 

Michel Bouquet, The pass of Glencöe, Lithographie, 55x44cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Le fond de la gorge est semé d’immenses quartiers de roches qui sont qui se sont détachés des flancs des montagnes, et tapissés de hautes mousses et de belles fleurs sauvages. Au milieu de la passe, dort immobile un petit lac, roseaux purs comme du cristal, qu’un poète appellerait l’oeil bleu de la montagne.

 

Michel Bouquet, The pass of Glencöe, Lithographie, 55x44cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

© https://www.stephanelequeux.fr/roadtrip_en_ecosse/

 

Je me rappelle avoir passé toute une journée dans cette admirable vallée, une bien délicieuse journée !… J’étais seul et n’avais pour compagnons de ma promenade que quelques grands aigles bruns qui tournoyaient au-dessus de la gorge, et, vers le soir, que quelques oiseaux de nuit qui miaulaient dans l’ombre ; car je vous dirais que, entraîné par mon admiration, qui croissait à mesure que le soleil descendait à l’horizon, j’oubliai tout à fait que j’étais une douzaine de milles de l’auberge la plus voisine ; et moi, comme le dit quelque part Théophile Gautier,

 

Je regardais toujours, ne songeant pas

Que la nuit étoilée arrivait à grand pas.

 

Je ne m’en aperçus qu’après avoir terminé mon croquis.

Au reste, je suis enchanté de ce retard ;  car, quelques heures après, j’assistai à l’un des plus beaux spectacles qu’il soit donné à l’homme de voir.

Entre onze heures et minuit, au moment où j’allais sortir de la vallée, derrière l’échancrure que formait la tête de montagnes, je vis le globe d’or de la pleine lune monter lentement dans le ciel.

 

Michel Bouquet, Moonrise in the valley, Lithographie, 55x44cm, An artist’s ramble in the Highlands, Ackerman London, 1849 © Vente artfortheprint.com

 

Je n’essaye pas de vous décrire l’effet magique de ce tableau dans un pareil lieu et à pareille heure. J’aime mieux donner à votre imagination d’artiste et de poète le champ libre ; seulement, laissez-moi, pour l’échauffer encore davantage, vous dire ces beaux vers d’une ballade de Walter Scott que l’auteur de Rob-Roy adresse au chantre de Fingal :

« Oh ! Dis-moi, ménestrel, pourquoi les accords de ta lyre résonnent-ils dans la solitude Glencoe, où personne ne peut entendre leur mélodie ? Dis-moi si tu les adresses aux nuages rapides, au daim fugitif, ou à l’aigle qui du haut de son aire, te répond seul par ses cris ? »

C’est dans cette vallée qu’en 1694 fut entièrement exterminée la belliqueuse tribu des MacDonalds.

Maintenant reprenons notre route, et allons visiter la ville et le château si curieux et si pittoresque de Stirling.

C’est une de nos plus anciennes villes d’Écosse ; longtemps elle fut occupée par les Romains, qui la fortifièrent et en firent une des places les plus importantes de leur conquête. Son château est bâti sur un rocher élevé et taillé à pic de presque tous les côtés. Sur le faîte, s’élève le palais de Jacques V, édifice quadrangulaire d’une architecture fantastique et bizarre ; la façade du côté de la ville est ornée de figures étranges, représentant Omphale, Persée, Vénus, Cléopâtre, que les mutilations des hommes et les injures du temps ont rendu presque méconnaissables.  La chambre dite royale conserve encore quelques ornements sculptés qui témoignent de son ancienne splendeur. Ce palais sert aujourd’hui de caserne. Il était occupé lors de mon passage par un de ces beaux régiments de Highlanders dont le costume national, aux brillantes couleurs, rappelle celui de leurs glorieux ancêtres, ces valeureux Pictes, la terreur des soldats romains.

À quelque distance de Stirling commence les Highlands, Terres hautes, contrée tout à fée distincte des Lowlands, Terres basses, non seulement sous le rapport du sol, mais aussi sous celui des mœurs, du caractère, du costume et du langage de ses habitants. Race toute différente de celle des plaines, les montagnards écossais descendent directement et sans mélange de ses anciens Celtes, premiers habitants du nord de l’Europe, qui, refoulés peu à peu dans leurs montagnes, d’abord par les Romains, ensuite par les excursions fréquentes des Scandinaves, des Danois et des Saxons, ont conservé jusqu’à nos jours les traces et les souvenirs de leur ancienne origine. Je ne parle que des habitants des campagnes ; c’est chez eux seuls que l’observateur peut trouver encore des caractères distinctifs de race et de sang ; les habitants des villes, par un contact continuel des hommes et des choses, finissent par perdre leur individualité primitive : semblables à ces cailloux que la mer polit et arrondit par un frottement perpétuel, et qui, perdant ainsi peu à peu leur sangles et leurs saillies, ils finissent par se ressembler tous, à la grosseur près ; ceux qui conservent leur forme naturelle et leur type originel le doivent toujours à l’isolement dans lequel ils se trouvent. Il en est de même des animaux et des plantes :  on ne rencontre les races  et les espèces pures qu’à l’état sauvage.

Les Higlands étaient autrefois divisés en clans ou tribus ; chaque clan avait un chef héréditaire, qui était tout à la fois le propriétaire, le juge et le père de son peuple. Les personnes attachées à sa famille formaient autour de lui une espèce de noblesse. Et les paysans tenanciers vivaient sous leurs ordres et leur protection, leur devant, pour leur subsistance, un service militaire pendant la guerre. À défaut d’héritiers mâles, ils choisissaient parmi eux un nouveau chef, élu toujours parmi les plus braves. C’est vieilles coutumes celtiques ont survécu, dans les Highlands, bien longtemps après les nouvelles lois sur la propriété établies en Écosse, vers le temps de Robert Bruce.

Chaque clan portait le nom de son chef et la couleur de son tartan. Chaque chef avait son barde, pour chanter les hauts faits de la tribu ; son piper ou joueurs de cornemuse, pour le devancer en paix, comme en guerre

 

Gavarni, Highlanders, L’Illustration, Samedi 29 avril 1850, numéro 373 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

et ses coureurs, pour porter ses messages. Il avait seul le droit d’orner sa coiffure des trois plumes d’aigle, signe de son rang suprême. Les sujets mettaient à leurs bonnets des fleurs de bruyère ou autres plantes consacrées par le clan ; leurs armes étaient l’arc, la fronde, le bouclier en peau de bœuf, la dague, la claymore, longue épée à deux tranchants, et plus tard, le mousquet et les pistolets. L’usage en guerre, était de décharger d’abord le mousquet, et, à travers la fumée, de fondre sur l’ennemi à l’arme blanche.

Hauts, fiers, irritables, mais bons, nobles et hospitaliers, les Higlanders avaient tous les vices et toutes les vertus de ces temps de barbarie du Moyen Âge. Jusqu’au règne de Charles Ier, ils n’étaient connus que par leur sauvage bravoure et leur amour du pillage. Méprisant le confort et l’aisance que donnent la paix et le commerce, ils regardaient avec dédain les Lowlanders dont ils étaient la terreur et l’effroi.

Maintenant ces mœurs barbares sont bien adoucies et chaque jour de civilisation moderne enlève aux Highlanders les derniers vestiges de leur caractère primitif, en leur donnant en échange des jouissances qu’ils ne connaissaient pas. Cette révolution, qui a commencé après les guerres de l’union vers 1740 et surtout après l’acte du Parlement anglais en 1749 qui abolit le costume national s’opère tous les jours avec rapidité ; de tous les côtés surgissent des fermes et des écoles qui viennent leur donner à la fois l’aisance et l’instruction. Et les semences que l’on jette dans ces terres vierges et dans ces natures vigoureuses rapporte cent pour cent

Nulle part, à ma grande admiration, je n’ai vu l’instruction plus répandue et plus appréciée qu’un Ecosse. Une loi établit, dans chaque paroisse au moins, une école élémentaire et gratuite pour l’instruction du peuple. Les bâtiments de l’école, la plupart donnés par des propriétaires, appartiennent à la commune qui paye et choisit elle-même ses instituteurs. Outre cela, dans toutes les villes, même les plus petites, des collèges et des académies, fondées et entretenues par des souscriptions volontaires, donnent au peuple des villes les éléments d’une bonne éducation classique, avec l’enseignement des mathématiques et des langues modernes.

Cette digression sur l’histoire le caractère des Highlanders m’a entraîné peut-être un peu au-delà de mes limites ; mais le sujet était si intéressant que je ne le regrette pas. Seulement, ami, je vais prendre le galop pour me rendre à Aberdeen ; et afin d’économiser le temps et le papier, je vais vous copier sans paraphrases et  sans commentaires, les feuilles de mon calepin de voyage. Ce sera un simple canevas sur lequel je veux vous laisser broder tout à votre aise.

Perth. Une des plus anciennes villes d’Écosse ; camp d’ Agricola, général de Vespasien, dont on voit encore l’emplacement. Non loin de là se livra la plus grande bataille entre ce capitaine et le chef picton Galdacos , si admirablement racontée par Tacite ( note : Oeuvres complètes, XXXII) , qui met dans la bouche du héros calédonien cette belle péroraison militaire :

 

« Aut statim ulcisci , in hoc campo, majores vestros et postetores cogitate. 

En allant au combat pensez à vos ancêtres à vos descendants. »

 

Aujourd’hui bourg royal, Perth est une élégante ville bâtie sur les bords charmant de la Day, au fond d’un beau bassin entouré de hautes montagnes. Un souvenir, en la quittant, à la jolie fille de Perth de Walter Scott.

La Vay et le Tummel, les deux plus pittoresques rivières de l’Écosse . La première rappelle les bords de l’Inn dans le Tyrol.

Les ruines du château de Dunottar, près de Stone-Haven : presqu’île de rochers abrupts, dont les pieds plongent dans la mer, et qui porte sur son dos de granit les nobles et sombres restes de cette vaillante forteresse, qui résista si longtemps aux forces de Cromwell et aux attaques de la flotte anglaise.

 

Michel Bouquet, Ruines du château de Dunottar, L’Illustration, Samedi 29 avril 1850, numéro 373 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Michel Bouquet, Le château de Dunottar, Lithographie, 55x44cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Aberdeen, belle et élégante mil entre le Den et le Don. La légende de ses armes est : Bon accord. En voici l’origine. Lors de l’invasion d’Édouard, les Écossais les Français, commandés par Robert Bruce, massacrèrent dans une nuit toute la garnison anglaise. Le d’ordre du jour états : Bon accord ; et pour perpétuer le souvenir de cette glorieuse alliance on l’inscrivit sous les armes de la ville.

Les Écossais inventeurs de la guillotine. J’ai vu dans le musée d’Aberdeen une machine en tout point semblable à celle que nous devons à Guillotin, qui a servi, vers l’année 1560, à l’exécution de John Gordon. Il faut toujours s’empresser, surtout en pareille matière, de rendre à César ce qui appartient César.

Dans la vieille ville, on remarque l’ancienne cathédrale de Saint-Machar, le collège du Roi, fondé en 1506, avec sa tour si élégante, qui ressemble à une couronne royale ; mais surtout le vieux et pittoresque pont de Balgounie, bâti, dit-on par Robert Bruce : construction hardie, élégante et unique en Écosse. Il n’a qu’une arche de 67 pieds d’ouverture et sur 36 pieds de hauteur qui a la forme d’une ogive gothique.

Lord Byron qui a passé sa jeunesse dans Aberdeen, cite dans ses vers cette vieille légende populaire :

Le jour où le fils unique d’une femme, montée sur le poulain unique d’une jument, passera sous le pont de Balgounie, il s’écroulera.

Superstitieux comme un Écossais et surtout comme un poète, et se trouvant dans la première condition, Byron avait toujours soin de descendre de cheval en passant sur ce pont.

Rien n’est plus gracieux, plus romantique les bords du Don, petite rivière, pleine de saumons, qui vient se jeter dans la mer un plus bas que si Seaton-House, charmante résidence de Lord J.Hay, qui me rappelle une dette de reconnaissance pour la courtoise et tout écossaise hospitalité que j’y ai reçue.

À quelques milles d’Aberdeen, non loin de Peterhead, petit port de mer célèbre par son beurre et la pêche de ses harengs, se trouvent les fameux Bullers de Buchan, qui méritent une mention toute particulière.

 

C’est une des choses les plus extraordinaires et les plus fantastiques que j’ai vues. Figurez-vous, sur une longueur de quelques lieues, la côte la plus sauvage, la plus abrupte et la plus tourmentée ; des falaises de granit rouge et noir de 3 à 400 pieds de hauteur ; des aiguilles, des cônes, des blocs immenses de rochers de toutes les formes, des cavernes béantes et des caves gigantesques, et au milieu de ce chaos effrayant et sublime, la mer, qui bondit, écume, et mugit !…

Les rochers de Pen-Marh en Bretagne peuvent seuls donner une idée des bullers de Buchan. Aussi laissez-moi, à ce sujet, vous dire les beaux vers de Brizeux notre poète breton :

Ils étaient là, debout, pêle-mêle et sans nombre,

Devant eux sur la mer, projetant leur grand nombre ;

Les flots couraient sur eux avec leurs mille bras :

Cabrés contre les flots, ils ne reculaient pas ;

 

Hérissés, mugissants, inondés de poussière,

Ensemble ils secouaient leur humide crinière ;

De leur masse difforme  ils effrayaient les yeux ;

L’oreille s’emplissait de leurs cris furieux ;

Et l’homme tout entier en face de ces roches

Dont les oiseaux de mer seuls bravaient les approches,

Sur mon mince vaisseau, pâle  et dans la stupeur,

Le voyant si chétif, mentait qu’il avait peur !

 

Julien Pélage Auguste Brizeux, Les Bretons, Chant VIII, 1845

 

L’endroit le plus merveilleux de cette cote est un gouffre immense nommé Le pot de Buchan. C’est un abîme de forme circulaire qui s’ouvre tout à coup sous vos pas et plonge perpendiculairement dans la mer, au de plus de 200 pieds. Terrible et sublime cratère au fond duquel bouillonne, comme de la lave blanche, les vagues écumeuses et qui vous donne des vertiges quand vous en approchez. La seule entrée, pour pénétrer dans cette sombre et profonde cave, est une porte de rocher de quelques pieds de largeur.

Un jour par une mer calme et une marée basse, j’ai décidé à force de prières et d’arguments irrésistibles, comme dit Basile, quelques pêcheurs à me conduire, avec leur barque, au fond du pot ; et je vous envoie le croquis que j’ai pris. Le seul peut-être qui en ait jamais été fait.

 

Michel Bouquet, The pot of Buchan, Lithography, 24x40cm An Artist’s Ramble in the North of Scotland,London & Paris, 1849 © vente The Edge Hall Library, Londres, lot 97, 12 octobre 2017

 

Michel Bouquet, Cavern, The Bullers of Buchan, Lithography, 40x24cm, An Artist’s ramble in the North of Scotland, 1849 © vente Bonhams, Londres, lot 261,  25 avril 2018

 

Je ne saurais mieux terminer cette lettre, amis, qu’en vous  conduisant avec moi dans un de ces grands meetings, assemblées, bellees et nationales fêtes qui, chaque année, sont si brillantes et si nombreux en Écosse. Le rendez-vous, annoncé et connu dans tous les Highlands a lieu cette année à Invercauld-Castle, délicieuse et pittoresque résidence d’un des descendants de l’illustre famille des Farguharsons, à quelques milles du Petit Fort de Broemard, et située dans la romantique vallée qu’arrose la Dee, toute entourée de hautes montagnes dont les flancs sont couverts d’arbres verts et les têtes de neige éblouissante ; retraites inaccessibles des aigles et de ces grands cerfs d’Écosse nommée reddeer que l’on voit quelquefois passer par troupeaux sur la crête des monts.

Grâce à l’aimable invitation du propriétaire, nous pourrons assister aux large banquet des Highlanders,  et au bal brillant et animé qui ont terminé si joyeusement cette belle journée.

Allons, ami,  montons dans un léger dog’s car, petite voiture de chasse, et partons ; l’aube commence à poindre, la terre est humide et blanche, et les vapeurs du matin tombent lentement dans les vallées ; nous aurons un beau jour d’automne, car vous connaissez le proverbe : Rouge au soir, blanc au matin, c’est la journée du pèlerin. Allons, partons, car il nous faut arriver avant midi. La route est ravissante ;  tantôt elle monte sur le dos des collines, au milieu des bruyères violettes et des myrtils rouges ; tantôt elle descend dans les glen et les vallées vertes et humides. Partout des ruisseaux qui babillent, des boutons à tête noire qui bêlent ; et de temps à autre un lièvre épouvanté ou une compagnie de groose,  espèce de perdrix de montagnes particulière à l’Écosse, qui se lèvent sur notre passage.

Après avoir visité en passant les restes de Kildrumy-Castle, ancienne demeure des premiers rois d’Écosse ; après avoir traversé la belle vallée de Cairn-Gorm, si célèbre par les topazes qui portent son nom, et qui servent d’ornement aux armes des Highlanders, nous apercevons la sombre tête de Lochnagar, the Dark Lochnagar, comme l’appelle Byron, et, quelques instants après la Dee, coulant, à travers les rochers et les arbres qui bordent son lit, dans la plus pittoresque vallée qu’on puisse voir.

Ce charmant élégant château moderne au-dessus duquel flotte le pavillon Royal d’Angleterre, c’est Balmoral, la résidence d’été de la reine, et où elle est venue cette année, passer les derniers beaux jours de la saison.

Michel Bouquet, Balmoral, résidence de la reine Victoria en Ecosse, L’Illustration, Samedi 29 avril 1850, numéro 373 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

Michel Bouquet, Balmoral, résidence de la reine Victoria en Ecosse, aquarelle, 1849 © Aberdeen, Art Gallery and Museums

Nous apprenons qu’accompagnée du prince Albert de ses enfants, elle doit venir honorer la fête de sa présence. Partout sur la route nous rencontrons des hommes, des femmes, des enfants à pied, à cheval, dans des charrettes, tous dans leur grande toilette, tous se hâtant pour arriver de bonne heure à la réunion.

Le château d’Invercauld est adossé à une haute montagne et entouré d’un beau parc ; devant sa façade, assez irrégulière mais élégante, et dans le style Élisabeth, s’allonge une terrasse qui domine un grand terre-plein de gazon vert. Sur cette éminence, à droite et à gauche des sièges destinés à la famille royale, sont déjà rangés les divers clans, commandés par leur chef, portant tous l’ancien et brillant costume des Highlander, avec des couleurs particulières pour chaque tribu : les uns avec de petits boucliers ronds, les autres avec de longues claymores,  et tous précédés de leur Pipers, dont les airs guerriers remplissent la vallée ; ici sont les Forbes, dont le cri de guerre était Lonachin, nom d’une colline dans le Stratdhon, consacrée pour les rendez-vous du clan. Là les hommes d’Athol, sous la conduite de leur brave et jeune chef ; par ici les Farguharsons, qui allaient au combat en criant Cairn nacuen ! Rappelez-vous ! Par là les Grauts, dont la devise était Stand fast ! … Tiens bon !…

La reine, suivi des jeunes princes en costumes de Higlanders, aux couleurs royales d’histoire, est accueilli par les vivats de la foule, et aussitôt après son arrivée, les jeux nationaux commencent. Ce sont toujours des exercices de gymnastique de dynamite. Le vainqueur est celui qui peut lancer le plus loin une lourde pierre, un marteau en fer, ou le tronc d’un sapin, en le faisant pirouetter d’une certaine façon.

 

Gabriel-Sulpice Chevalier, dit Paul Gavarni, Putting the stone, An Artist’s Ramble in the North of Scotland, Lithographie, 29x45cm London & Paris, 1849 © vente The Edge Hall Library, Londres,  lot 97, 12 octobre 2017

 

Le prix de la course est des plus intéressants, comme aussi un des plus difficiles à gagner ; car il ne s’agit pas ici, comme partout ailleurs, de parcourir un certain terrain uni et sans obstacles ;  c’est une vraie course au clocher, à pied ; il faut arriver le premier, par eaux, forêts, roches et ronces, à un drapeau planté sur le haut d’une montagne escarpée.

Une tente immense, orné de fleurs et de feuillages, sous laquelle est une table homérique couverte de quartiers de boeufs rôtis, de cuissots de venaison, etc., reçoit après les jeux, les joyeux et nombreux convives, et prouve que l’antique hospitalité écossaise se trouve encore dans les Highlands. Le dîners est bon et copieux, animé et bruyant ; on boit à la reine, on boit à l’amphitryon, on boit à celui-ci, on boit à celui-là ; je crois qu’on a fini par boire à la santé tout le monde. Avant de quitter la table, les prix sont distribués aux vainqueurs dans les différents jeux ; celui de la danse été réservé, pour être décerné par un aréopage féminin, au meilleur élève de la Terpsichore écossaise.

Les sons vifs et éclatants des cornemuses attirent tous les dîneurs dans une tente voisine, pleine de fleurs, de lumière, et des plus belles filles des environs, tout en grande toilette, toutes le sourire sur les lèvres et le plaisir dans les yeux.

Je vous avouerai ami, que l‘Aurore aux doigts de Rose entrouvrait les portes de L’Orient quand je me suis mis en route, un peu fatigué il est vrai, mais heureux, et emportant les plus agréables souvenirs de cette belle et intéressante fête.

Adieu, ami. A bientôt ma dernière lettre.

MICHEL BOUQUET

 

5 Quatrième lettre sur l’Ecosse parue dans L’illustration, le samedi 11 mai 1850, numéro 376, volume 15

Oban, le…

MON CHER AMI,

Je vous envoie cette dernière lettre datée d’Oban, où je vous fais revenir, ayant voulu réserver pour la fin de ma tournée en Écosse notre excursion dans les îles de Mull, Iona et Staffa comme une des choses les plus intéressantes et les plus curieuses tout mon voyage.

Je regrette de pouvoir acheter assénant ceux de Skye et de Man. La première de ces deux îles, la plus grande des Hébrides, est célèbre par ses troupeaux noirs à longs poils et ses chiens Terrier, si recherchés des amateurs : on m’a beaucoup vanté ses montagnes volcaniques, ses belles galeries de basalte, et surtout la caverne de du lac Slapin, rempli de cristallisations curieuses ; la seconde, longtemps petit royaume indépendant, appartenant à la famille des Standley, comtes de Derby, et plus tard aux ducs d’Atol, fut acheté par le gouvernement anglais pour la somme de 70 000 £ : Walter Scott l’a rendue fameuse par son roman de vérité de Péveril du Pic : mais la saison trop avancée, surtout dans ces mers du Nord, m’a forcé de renoncer à pousser plus loin mon exploration.

Il y a deux manières de visiter Iona et Staffa : l’une, tout aisée et commode, mais trop rapide, et partant peu intéressante : c’est celle que prennent ordinairement les touristes qui tiennent seulement, pour l’acquit de leur conscience de voyageur, à inscrire sur leurs tablettes ces deux noms célèbres : on s’embarque un matin, après le thé, sur un bateau à vapeur, qui vous transporte comme un fiacre à la course, vous montre en passant ces deux merveilles, et vous ramène à l’hôtel pour l’heure sacramentelle du dîner.

Michel Bouquet, The pier at Oban, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

J’ai pas besoin de vous dire que j’ai choisi la seconde manière, malgré les difficultés et les fatigues dont nous parlaient, avec une exagération assez intéressée je crois, les personnes de l’hôtel, qui sont, ou doivent être des actionnaires des steamboats d’Oban, et cependant, il y avait du vrai dans leurs dires, comme vous allez en juger, mon cher ami, par le récit de cette romanesque excursion.

Je crois qu’il serait bon de vous dire préalablement ce que c’est que l’île de Mull que nous avons à traverser que nous rendre à Iona.

Parmi les Hébrides, Mull est une des plus grandes. Son sol est volcanique, et couvert de hautes montagnes arides et désolées, avec des gorges profondes, sillonnées de ravins de torrents ; partout l’aspect en est sombre, sauvage et rempli d’une mélancolique poésie : des traces de la plus haute antiquité, des pierres druidiques, des restes de tours et d’obélisques du temps des Danois, s’élèvent ça et là du milieu des Bruyères ; ses rivages sont abrupts et dentelés, et sur un de ses caps escarpés, comme un nid d’oiseau de proie, comme un souvenir de sang et de pillage, se dressent les ruines de Duart-Castle.

C’est non loin de ce château, dans une baie profonde et solitaire, que nous quittons le bateau que nous avions pris à Oban ; il était comme cinq ou six heures du soir, nous étions vers la mi-septembre et le soleil descendait vite à l’horizon. La journée avait été très chaude, le temps lourd et couvert, et le ciel, qui s’empourprait au couchant, nous annonçait de l’orage. Un berger que nous rencontrâmes nous dit, tant bien que mal, moitié en mauvais anglais, moitié en gaëlique, la seule langue que parlent les montagnards, est tout à fait inintelligible pour les anglais eux-mêmes, que nous avions dix à douze mille à faire pour arriver à l’auberge de Kean-Loch, et il nous indique le mieux  qu’il peut notre route.

Et nous voilà partis, espérant bien, en allongeant un peu le pas, pouvoir arriver à notre gîte à une heure convenable. Hélas ! nous n’avons su qu’après, en jurant un peu tard, comme maître corbeau, que les milles de Mull en Écosse sont que sont en France les lieues de Bretagne ou de Vendée. Après une demi-heure de marche sur le bord de la mer, dans un terrain plat et clairsemé de jeunes sapins, le chemin tourne sur la droite et s’enfonce dans une vallée verte et marécageuse, toute bordée d’une végétation luxuriante et des fleurs sauvages les plus belles ; les grandes digitales aux clochettes amarante, les larges scorsonères  aux étoiles d’or, les buissons odorants des chèvrefeuilles et les touffes vertes des iris ; ce perfide petit sentier, comme bien des choses d’ici-bas, commence par les fleurs, et vous allez voir comment il finit.

La nuit se faisait, et de lourds nuages, d’une couleur sinistre, s’amoncelaient dans les gorges profondes où nous cheminions ; bientôt de larges gouttes de pluie nous annoncèrent le commencement de l’orage.

Certes, qui nous eût rencontrés dans ces lieux, à cette heure, et surtout costumés que nous l’étions, aurait bien pu trembler pour sa bourse, sinon pour sa peau ; nos manteaux, drapés jusqu’au menton, ne laissaient voir sous les larges bords de nos feutres bruns que le bout de notre nez et nos longues moustaches rouges : de véritables bandits d’opéra-comique.

Justement, dans un des endroits les plus sauvages, au fond d’un ravin, nous rencontrons un pauvre Highlander bien embarrassé, car son petit poney ne pouvait venir à bout de tiré une charrette pleine de tourbe du lit pierreux d’un torrent qui traversait le chemin. Nous poussons à la roue, et grâce à ce coup de main, il peut se mettre en route ; il fut si effrayé de notre rencontrer, et il tremblait tellement, qu’il n’a pas pu nous remercier, et je gagerais à l’heure qu’il est, il croit et soutient encore que c’est le diable en personne qui lui a rendu ce service ; avec cela que mon compère voyage porte des ongles assez longs pour passer pour des griffes aux yeux d’un naturel de l’île de Mull.

L’obscurité s’accroît à chaque instant, et ce n’est qu’à grand-peine que nous distinguons notre chemin ; un coup de tonnerre lointain et sourd et répété par les échos, et à travers les noires dentelures des montagnes, des éclairs, comme des serpents de feu, descendent dans la vallée. Bientôt une pluie torrentielle nous force à prendre un abri sous l’arche la petit pont ; là, assis sur des pierres, dans le lit d’un torrent, nous allumons un cigare, et pendant plus d’une demi-heure, nous écoutons gronder le tonnerre, tomber la pluie et babiller le ruisseau qui coulait entre nos jambes.

Au première éclairci, nous nous remettons en route ; le chemin est couvert d’énormes crapauds qui dansent sous nos pas, et traversé à chaque instant par de larges torrents qui descendent en bouillonnant des flancs des montagnes et nous montent quelquefois jusqu’aux genoux.

De nouveau la pluie recommence et tombe plus fort que jamais. Que faire ? Que devenir ?… Nous enfonçons nos chapeaux sur les yeux et, tête baissée, sub jove irato, nous continuons à grand pas notre route, tantôt heurtant un rocher, tantôt tombant dans un trou… N’importe, nous allions toujours… toujours…. Mais nous n’arrivions pas l’auberge indiquée par le vieux berger. Nous aurait-il trompés ?… Aurions-nous dépassé le but ?… À chaque pas, des incertitudes et des déceptions…. Ic,i c’est un feu follet dansant sur un marécage que nous prenons pour une lumière…. Là, le cri plaintif d’un oiseau de mer qui nous semble être la voix d’un enfant….Plus loin, nous sentons l’odeur chaude et pénétrante d’un feu de tourbe,  et nous entendons chanter un coq…. Serions-nous arrivés ?…

Non ce n’est qu’une méchante hutte de terre, à quelques pas de la route, qui nous regardent passer avec sa petite lucarne borgne, et semble nous faire la grimace…. À un mille de là, sur notre gauche, quelque chose comme un grand fantôme se dresse dans l’ombre devant nous.

Ne tremblez pas, ami, car pour cette fois c’est bien le mur blanc de l’auberge de Kean-Loch. Nous y sommes donc !… Nous frappons à la porte… Rien ne se passe… Nous refrappons ; un chien jappe et vient flairer par-dessous la porte…. Un troisième coup de marteau sur la porte….fait aboyer le petit chien, et voilà tout  ; enfin après un grand quart d’heure, une porte, que dis-je ! un demi-siècle, une demi-porte s’ouvre et nous apercevons une grosse fille rouge, d’un bras tenant un bout de chandelle, l’autre main serrant une chemise trop étroite pour couvrir ses amples appâts… Elle nous regarda d’un œil endormi et nous marmonne quelque chose d’inintelligible,  referme la porte et s’en va nous laissant dans l’obscurité la plus profonde.

Nous entendons sonner deux heures à une pendule non loin de nous. Je me dirige de ce côté, pousse une porte et enfin nous parvenons à l’intérieur de l’auberge. Nous nous asseyons sur un banc de bois… Pas un bruit dans la maison…. Rien que le tic-tac régulier du coucou. Et le bruit du vent sur les vitres. À bout de patience nous allions remettre à partir quand arrive une femme d’une trentaine d’années, d’une taille fine et longue, qui avait dû être très jolie. Elle s’excuse dans un anglais pur, élégant même, du retard, par l’heure un peu indue de notre arrivée ; s’apitoie sur notre état, et nous conduit dans une chambre au-dessus, où notre étonnement s’accrut encore quand nous vîmes un piano, modeste, mais enfin c’était un piano, un piano dans l’île de Mull!….

Çà et là des gravures, des riens élégants, qui semblaient comme les précieuses reliques, les derniers souvenirs d’une position autrefois meilleure. Bientôt grâce à son empressement, et à l’ide de sa grosse , un bon feu est allumé dans la cheminée, nos lits sont préparés et deux grands verres de toddy fument sur la table ; c’est un punch fait avec de l’eau-de-vie de grain, que les écossais s’appellent whisky. Le goût en est très fin, quoiqu’un peu fumé, mais fort agréable. Notre attentive hôtesse nous souhaite une bonne nuit, et bientôt après avoir étendu à sécher devant le feu notre défroque, ruisselante d’eau comme une éponge trop pleine, nous nous roulons dans nos couvertures de laine, et quelques minutes encore après, on eût pu nous entendre ronfler comme des soufflets de forge.

Je ne vous dirai pas que le lendemain, il était tard quand nous quittâmes notre bonne et mystérieuse hôtesse de Kean-Loch, vous le devinez bien. Ce bon sommeil avait réparé nos forces ; il faisait un temps superbe, et en route le soleil acheva de nous sécher complètement.

Vous avez encore une dizaine de milles à faire pour aller à la pointe de l’île prendre le bateau, sur lequel on traverse le petit bras de mer qui sépare Iona de Mull. Le chemin, assez élevé, côtoie le lac ou plutôt le golfe, qui s’enfonce bien avant dans les terres ; derrière nous les montagnes de Mull, encore endormies sous les rideaux blancs du brouillard, et devant nous, la mer, verte comme une belle émeraude, enchâssée dans l’or de son sable fin et jaune. Sur la route, cà et là de belles vaches noires qui paisent, des filest qui sèchent au soleil, des torrents qui descendent dans le lac, des cabanes de pêcheurs qui fument, des pêcheurs, devant leurs portes, qui font comme leurs cabanes, et nous qui faisons aussi comme eux….

Michel Bouquet, Fishermen’s huts, Loch Oich, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Que vous dirais-je enfin…. Tous ces mille riens, qui font la distraction et le  charme d’un voyageur à pied, l’admiration et le bonheur d’un artiste en voyage….

Toutes choses, du reste, qu’on ne peut bien voir, dont on ne peut bien jouir qu’en voyageant ainsi ; ‘est comme le dit l’auteur de Monte-Cristo, passer après la foule, et ramasser sous l’herbe les perles et les diamants qu’elle a pris, ignorante et insouciante qu’elle est, pour des flocons de neige ou des gouttes de rosée.

Ce fut ainsi que, tout en causant, regardant et admirant, buvant ici une tasse de lait pur, donnant là quelques pences à de beaux enfants blonds, nous arrivâmes notre bateau de passage.

J’ai l’adresse d’un aubergiste nommé Macphean ( prononcez Macfine). Je dis au batelier que je connais dans Iona un certain Macphean chez lequel je désire descendre.

– Je vous y mènerai, messieurs, me dit notre homme ; puisque vous le connaissez, soyez les bienvenus. C’est un homme fort respectable comme ce Macpheel ( prononcez Macfine).

Sans remarquer la nuance presque imperceptible de ces deux noms, nous nous laissons conduire, à travers un joli petit jardin, dans un cottage élégant, very nice, comme ne manquerait pas de dire un anglais. Une femme de chambre, puis Monsieur Macpheel, viennent nous recevoir d’un air un peu surpris, et qui nous paraît aussi un peu surprenant ; cependant, du ton délibéré et sans-gêne d’un voyageur qui entre comme chez lui dans un hôtel, je demande deux chambres et à souper le plus tôt possible. La soubrette sourit, et Monsieur Macpheel, espèce de héron maigre, au long nez emmanché d’un long coup, nous dit très flegmatiquement que sa maison n’est pas une auberge, qu’il est un gentleman, nous tirons nos feutres ; qu’il est un clergyman, nous nous inclinons et nous nous excusons. Le batelier intervient, la méprise sur la ressemblance des noms s’expliquant tant bien que mal, et ce n’est qu’à grand-peine que nous parvenons à sortir de ce guêpier, où nous avait fourrés, tête baissée, notre diable de batelier. Nous trouvons enfin le vraie Machphean, honnête et pauvre tisserand, aubergiste à l’occasion, qui se met en quatre pour recevoir dignement la bonne aubaine que le ciel lui envoyait. Deux méchants lits, bout à bout, dans une petite chambre au rez-de-chaussée, donnant sur la mer, reçoivent les deux nobles étrangers qui s’endormentt bientôt en riant de leur comique aventure.

Toute la journée du lendemain fut employée à visiter l’île sous la conduite de notre bon et complaisant aubergiste.

Iona, ou Icolmkiln ou Ithona, , d’après les différents noms celtiques, danois ou scandinaves, qui signifient ville de Saint Colomban, l’île des vagues, n’a que 8 à 9 milles de tour et est située à 9 milles sud-est de Staffa.

Ce fut là, sur ce rocher battu des vagues et perdu dans les brouillards de la mer du Nord que voilà mille deux cents ans, aborda par miracle, et comme poussé par la main de Dieu, le premier apôtre du christianisme dans la Calédonie, Saint Colomban. Ce fut d’ici que partirent les premiers rayons de la religion nouvelle qui éclairèrent peu à peu toute la Grande-Bretagne. Iona, cette brillante Étoile polaire de la civilisation, ce phare isolé qui brilla le premier au milieu des ténèbres de la barbarie, Iona, par ses nobles et antiques ruines, par ses souvenirs historiques et religieux qui se perdent dans la nuit des âges, est un des lieux les plus curieux et les plus intéressants, je ne dirai pas de l’Écosse, mais peut-être du monde entier.

Issu d’une famille royale d’Irlande, Saint Colomban vers le sixième siècle, fonda sur les débris du druidisme et du culte sanguinaire d’Odin, un couvent ou séminaire de culdées, congrégation de religieux, livrés à l’éducation qui se répandirent plus tard dans toute la Grande-Bretagne.

 

Michel Bouquet, Ruines d’Iona par pleine lune, L’Illustration, Samedi 11 mai 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Michel Bouquet, The ruins of Iona, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Des rois pictes, danois et saxons sont enterrés dans ce sol sacré, qui est aussi le lieu de sépultures de plusieurs familles illustres des Highlands. Non loin de là, s’élève une croix de granit rouge, élégant monolithe de 14 pieds de hauteur, couverts d’ornements sculptés, qui semblent resté debout pour accuser de vandalisme les fanatiques juges du synode d’argile, qui en 1560, firent rabattre et jeter à la mer plus de trois cents de ces croix, monuments consacrés par l’histoire et la religion de leurs ancêtres, et qu’avait épargné le temps et les Barbares du Nord.

Je ne peux mieux terminer mon récit sur Iona qu’en vous donnant la traduction de quelques vers du Docteur Smith Campbelton sur une vieille légende celtique qui fait d’Iona une nouvelle arche lors du second déluge qui doit jour engloutir notre machine ronde :

 » Sept années avant le jour terrible, où le temps aura cessé d’être, un déluge submerge les rivages de la fertile Hybernie, et fera disparaître aussi l’île au manteau vert, (l’Irlande). Tandis que l’île du bon et grand Saint Colomban fera flotter au-dessus des eaux ses ruines et ses tours. »

Le surlendemain, au moment où le bateau à vapeur d’Oban vomissait sur la plage une foule de touristes dont s’emparaient avidement comme d’une proie, les naturels de Iona, pour les conduire aux ruines ou pour leur vendre de petites agates et des serpentines que l’on trouve abondamment dans cette île, nous partions pour Staffa dans un bateau que nous avions loué la veille à des pêcheurs.

Nous mettons à la voile…. Le temps est beau, mais la mer un peu houleuse. Bientôt nous sommes au large… Je ne sais rien au monde, ami, qui m’impressionne autant, qui me rendent à la fois plus petit et plus puissant, plus poète et plus religieux que le spectacle de la pleine mer ou l’aspect des hautes montagnes. C’est que, comme le dis je ne sais où et je ne sais trop qui, pour nous autres, habitants des villes, la voix du monde couvre celle de Dieu ; c’est qu’il nous faut, pour retrouver un peu de poésie, aller la chercher au milieu des vagues, ces montagnes de l’Océan, ou au milieu et montagnes, ces vagues de la terre. Nous sentons alors que l’âme a besoin, comme l’aigle, pour déployer ses ailes, de la solitude et de l’immensité.

Staffa…. est à quelques milles devant nous, et déjà à mesure que nous en approchons, nous pouvons distinguer ses hautes et perpendiculaires falaises de colonnes basaltiques et l’entrée de ces grottes célèbres.

Vous n’êtes pas sans avoir vu quelque gravure ou dessin de la fameuse grotte de Fingal. Je n’essaierai pas de vous dépeindre notre surprise, notre émotion à la vue de cette merveilleuse cathédrale gothique qui s’élève du sein des vagues au milieu d’une mer sans bornes. C’est le portail de Notre-Dame de Paris avec ses colonnettes fines et régulières, avec son ogive élancée, ses pendentifs sculptés, et sa couleur riche et sombre.

C’est le bruit religieux des orgues produits par les longues houles qui s’engouffrent dans la caverne et battent les parois de cette grotte harmonieuse, comme l’appellent les Écossais. De cette nef immense qui a 230 pieds de profondeur et plus de 90 d’élévation, et pour compléter la ressemblance, de chaque côté une rangée de colonnes brisées inégalement forme comme les stalles naturelles de cette majestueuse basilique.

Nous débarquons dans la partie Est de l’île et en passant à travers les piliers brisés qui s’entassent au pied des colonnes basaltiques, nous pénétrons, non sans peine, dans l’intérieur de la cave de Fingal. Tantôt les vagues, marbrées d’écume blanche montaient jusqu’à nous, et tantôt en se retirant ouvraient sous nos pieds des âbimes nous laissant suspendus au bout d’un pilier. J’ai fait un croquis de l’intérieur de la grotte, perché ainsi, comme un cormoran, mon carton sur les genoux et les jambes pendantes sur le gouffre. Il se sent de l’émotion fiévreuse que me donnait un spectacle si poétique, et un peu aussi du vertige produit par mon atelier aérien.

 

Michel Bouquet, Fingal’s cave, view from entrance, Staffa, Lithographie, 55x44cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

Pour compléter la description de la grotte de Fingal, je crois qu’il est intéressant de vous en donner ici les dimensions exactes.

Hauteur de la voûte à demi-marée 66 pieds

Hauteur des colonnes du côté de l’Ouest 36 pieds

Hauteur des colonnes du côté de l’Est 29 pieds

Largeur de la grotte à son entrée 42 pieds

Largeur de la grotte vers son extrémité 22 pieds

Profondeur de la grotte 230 pieds

Michel Bouquet, Fingal’s cave, from the interior, Staffa, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Les colonnes des parois latérales sont presque partout perpendiculaires. Leur diamètre est de deux à trois pieds, et leur forme généralement pentagone et hexagone. Quelques-unes cependant ont sept et neuf côtés. La voûte est formée de groupes de colonnes brisées qui se dessinent comme des pendentifs, et orné de stalactites calcaires. La mer qui jamais ne se retire, même à marée basse de la cave, en forme comme le parquet, et est si transparente que l’on peut voir, à une grande profondeur, des extrémités des piliers comme de larges turquoises taillées, dessinant la mosaïque la plus belle et la plus symétrique du monde.

 

Michel Bouquet, Grotte de Fingal en Ecosse, 100x70cm, Huile sur toile, Salon de 1886, n° 315 du livret du Salon © vente Quimper, 15 décembre 2012

 

Michel Bouquet s’adresse également aux lecteurs anglais en faisant référence à Walter Scott qui dans Le Seigneur des Iles décrit  les colonnes basaltiques ainsi que les oiseaux de Staffa, tout comme l’Eglise d’Iona, qui fait partie des lithographies exécutées par Michel Bouquet. Pas de hasard, accéder à des publics britanniques ciblés et cultivés favoriseront l’acte d’achat.

Here, as to shame the temples deck’d

By skill of earthly architect,

Nature itself it seemed would raise

A Minster to hear her Maker’s praise

Walter Scott, The Lord of the Isles, 1815


 

Les autres grottes les plus curieuses de Staffa sont Clam Shell cave, Boat cave, et Cormorant cave .

La première, Clam Shell cave, est d’une forme étrange. D’un côté ses longues colonnettes courbées la font ressembler aux flancs immenses, à la carcasse géant d’un vaisseau pétrifié. De l’autre les bouts des piliers, symétriquement arrangés, lui donnent l’aspect d’une grande ruche aux alvéoles régulières, ou mieux, aux piles de bois d’un chantier vues de face.

 

 Michel Bouquet, Clam Shell Cave, Lithographie, 55x44cm, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

Une photographie quelques années après le passage de Michel Bouquet

 

Georges Washington Wilson 1823-1893, Clamshell cave, Staffa, Photographie sur papier albumine, s.d. © National Galleries of Scotland

 

La seconde, Boat cave, la grotte du bateau, est une caverne passée très profonde, accessible seulement par mer. Et la troisième, la cave des cormorans, serait curieuse et intéressante si on la voyait avant celle de Fingal.

Michel Bouquet,Cormorant’s cave, Staffa, Lithographie, 44x55cm,  The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850 © Médiathèques de Quimper Bretagne Occidentale

 

Croiriez-vous amis que Staffa, que vous connaissez maintenant, Staffa, que je n’hésite pas porter au nombre des sept merveilles du monde soit restée inconnue presque jusqu’à nos jours ? Joseph Banks, compagnon du célèbre capitaine Cook en parle le premier en 1772. Et ce n’est qu’en 1824 je crois que Monsieur Pankoucke en apporta en France les premiers dessins et la première description.

Le soleil allait se coucher, et nos pêcheurs doivent profiter de la marée montante pour le conduire à Ulva, le point dans l’ouest de Mull, le plus voisin de Staffa. Nous nous arrachons à regret de cette île enchantée et bien souvent nous retournons la tête pour voir encore s’élever de la mer ce beau temple de la nature, bâti par les mains du Grand architecte, ce sombre et solitaire palais de l’Océan, habité par les goélands et par les aigles.

Comme il arrive souvent dans ces parages, le vent était tombé au coucher du soleil et la mer, plus calme, berçait sur son dos immense notre petit bateau. Nous passons assez près d’un grand cachalot endormi dont le dos noir, s’élevant au-dessus des eaux, semblait être la quille d’un vaisseau chaviré.

À mesure que nous approchions de la terre, la mer s’aplanissait, et sa surface immobile n’était plissée que par le sillage phosphorescent de notre barque. Tout était silence, immensité autour de nous, et la grande ligne sombre de l’océan, coupée par la silhouette vaporeuse de Staffa, se dessinait sur un ciel pâle et mélancolique.

Il était tard quand nous prîmes terre à Ulva. Nous passons la nuit dans un méchant cabaret qui ressemblait plutôt un coupe-gorge qu’à une auberge, surtout le lendemain, quand le jour vint nous montrer toute sa misère.

Nous nous mettons en route de bonheur pour nous rendre à Salen, petit village à 16 ou 18 miles de là.

Un brouillard blanc et humide enveloppe et estompe les bords escarpés du lac Nine-Keal, dont les eaux immobiles, comme une glace dépolie, se plissent sous l’aile des mouettes et des courlis qui pêchent à sa surface.

C’était un dimanche matin. Aussi rencontrons-nous sur la route des paysans endimanchés, de fraîches jeune fille, les bras nus, les jambes nues, de beaux enfants aux yeux bleus, aux cheveux d’or, qui se rendaient à l’église. Je me rappelle un groupe charmant de deux petits-enfants, sur le bord de la route, dont les têtes roses et blondes étaient encadrées par le contour de leur plaid, manteau écossais, sous lequel ils s’étaient mis à l’abri. C’étaient Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, ou bien Les petits mendiants de Greuze.

Je ne vous dirai pas tous des tribulations nouvelles et des fatigues de cette seconde course dans Mull. Comme quoi, après nous être égarés, nous avons été forcés au milieu d’une nuit noire, d’aller demander un guide dans une cabane de paysans. Comment nous sommes arrivés à Crespoint ; comment nous en sommes partis le lendemain pour revenir à Oban, en traversant à pied l’île de Kervers, sous la conduite d’un vieux postman, le facteur rural de Tobermoray à Oban, type curieux de ces malles-postes à deux pattes qui, depuis 40 ans, fait invariablement ce service deux fois par semaine, et qui, après calcul fait, aurait pu tourner quatre fois autour de la terre.

Je veux réserver cette dernière feuille de ma lettre pour vous dire, mon ami, combien je serais heureux si, par cet abrégé rapide, ce coup d’œil jeté en passant sur un aussi beau et aussi intéressant pays que l’Écosse, sur lequel on a écrit et on écrira encore des centaines de volumes, je vous avais donné l’envie de venir vous assurer si mes descriptions à mes croquis sont exacts. Rien n’est plus facile et rien n’est plus agréable qu’un pareil voyage, que l’on peut faire sans se fatiguer, dans moins qu’un mois. La meilleure, comme la plus belle saison pour parcourir l’Écosse, est le commencement de l’automne, entre août et octobre.

Au revoir, ami, car j’espère bien l’an prochain, si le petit bonhomme vit encore, vous faire voyager dans la verte Irlande. En attendant, Adieu !

Michel Bouquet.

Et toujours ce sens inné de la publicité…

Il a paru l’année dernière sous le titre Une tournée d’artiste dans le nord de l’Écosse un bel ouvrage de 25 planches lithographiées à deux teintes, sur grand papier impérial, par Messieurs Michel Bouquet et Gavarni. Un second ouvrage de 38 planches, par les mêmes artistes, doit compléter bientôt cette œuvre si intéressante et qui a eu un si grand succès en France en Angleterre.

S’adresser pour le premier ouvrage ou pour la souscription de second, Messieurs Vibert et Goupil, boulevard Montmartre à Paris,et à Monsieur Delizy, 13 Regent’s street à Londres.

L’Illustration, 11 mai 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

La même année, l’estacade permettait d’agrandir les possibilités d’accostage à Lorient, sa ville natale

 

et Philippe Kerarmel sous le titre Le touriste français en Ecosse fait l’année suivante en 1851 dans l’Abeille de Lorient un compte-rendu de ses albums de lithographie où l’on apprend qu’il en offre un exemplaire à la Société philanthropique de Lorient dont en 1834 il était un des plus zélés animateurs. En amitié, toujours Michel Bouquet est fidèle, et l’auteur breton de l’article souhaite « qu’il ne laisse pas pâlir l’étoile qui brille en lui, qu’elle soit son guide et la gloire dans sa noble carrière » .

Philippe Kerarmel, Le tourisme français en Ecosse, 1851 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

6 La relation qu’en font les frère Goncourt en 1873 à propos des Lettres d’Ecosse Michel Bouquet

p 164 Cette vie était coupée par un voyage en Ecosse, où l’entraînait  le paysagiste au pastel , M. Bouquet, avec lequel il s’était lié à Londres.

Gavarni quittait Londres le 1er août 1849 et arrivait à Edimbourg le 3, ainsi que l’indique le calepin à peine grand comme le creux de la main, qui contient jour par jour la nomenclature des châteaux, lacs, cascades qu’il voit ; entrecoupée de croquetons en trois coups de crayon, d’attitudes, de mouvements, de paysages, Il était de retour à Londres le 21 août

p 165 Il nous racontait qu’il était descendu dans un hôtel de tempérance – où l’alcool est interdit -, où l’on était très bien, mais où l’on ne vous donnait ni bière, ni vin, ni spiritueux ; et quand Bouquet réclamait trop impérieusement de l’ale, le maître d’hôtel, montant sur une chaise, le prêchait, ou bien, endossant son habit national, il lui jouait du violon.

A Edimbourg, venait aux deux français l’idée d’un voyage dans les Hébrides, un voyage à pied, le sac sur le dos, à la façon des artistes parisiens. Une lettre de M. Bouquet nous permet de suivre les deux voyageurs.

Le sentier s’allonge, s’allonge ; les deux voyageurs, pliant sous le poids de leurs sacs, commencent à ressembler à ces deux harassés qu’on verra,  dans une lithographie future de Gavarni, se dire :

Les sites prennent une largeur…

Et une longueur…

p 166 De ce voyage, M. Bouquet possède un petit dessin : une rangée de gamins alignés au bord  du rivage, en attendant les voyageurs du paquebot pour leur faire visiter les ruines du sixième siècle, un crayonnage fait à la hâte, gâché de gouache, poché de taches brutales d’aquarelle,  d’un effet et d’un lumineux extraordinaires Oeuvre non retrouvée

p 167 Bouquet avait demandé à Gavarni quelques scènes locales qu’il voulait  jeter au milieu de ses paysages, dans l’ouvrage qu’il se proposait de publier, lors de son retour à Londres sous le titre An Artist’s Ramble in the north of Scotland. Gavarni a exécuté trois planches pour ce livre : Scottish girls, les blanchisseuses écossaises, Throwing the stone, le jet de la pierre ; et le Highland Piper, le joueur de cornemuse. Gavarni avait commencé un dessin d’après un Piper quelconque quant la hasard fit découvrir à Bouquet ce Piper modèle ; il le fit voir à Gavarni, qui abandonnant aussitôt sa première esquisse, fit immédiatement poser l’homme. Il y consacra sept ou huit séances.

Son jupon écossais attaché par cette ceinture garnie de topazes ramassées dans la rivière de Cairn-Gorm

 

7 Exposition de ses créations lithographiques dans  la Grande Exposition de l’Industrie des Nations de Londres en 1851

Le coup de génie publicitaire de Michel Bouquet, et sa grande capacité d’entregent,  est flagrant dans l’extrait suivant du journal L’Illustration, où se trouvent côte à côte son dernier article consacré aux Lettres d’Ecosse et l’Exposition industrielle universelle de Londres à laquelle Michel Bouquet est un des rares artistes français à y exposer.

Article de Michel Bouquet et annonce de l’Exposition industrielle universelle de Londres, L’Illustration, samedi 11 mai 1850 © Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

La première des Expositions universelles destinée à illustrer la compétition des Nations dans le domaine industriel et qui marquera pour l’Angleterre l’acmé de son triomphe de nation dominante à l’échelle mondiale.

 

Inauguration par la famille royale, la reine Victoria et son époux Albert, fondateurs du Victoria et Albert Museum dans lequel on trouvera plus tard une faïence de Michel Bouquet, peinte 15 ans plus tard en 1864.

 

Michel Bouquet, Paysage avec étang, Peinture sur email cru stannifère, faïence au grand feu, fabrique Veuve Dumas, exposée dans la galerie Genlis et Rudhart’s à l’Exposition internationale de Paris, Paris, 1867 © Victoria and Albert Museum, Londres

 

Naturellement Michel Bouquet est présent lors de l’inauguration, certainement accompagné d’une délégation de personnalités françaises résidant à Londres et qu’il  qu’il connaît bien : son maître en manière de peinture le baron Théodore Gudin qui avait épousé la fille d’un lord anglais, le fils du roi Louis-Philippe, Henri d’Orléans Duc d’Aumale, roi de France après le décès de son père l’année précédente à qui il avait offert une rareté, un alguier des côtes bretonnes.

 

Et qu’expose Michel Bouquet dans le hall mythique du Crystal Palace ?

© Bibliothèque bretonne, Abbaye de Landévennec

 

Deux albums de lithographies

Le premier : Michel Bouquet, An artist’s ramble in the North of Scotland ; 25 fine views of the beautiful and romantic scenery of that country, folio stitched, London, 1849

Michel Bouquet, An artist’s ramble in the North of Scotland, London, 1849

 

Le second, un autre album de lithographies paru l’année suivante ; Michel Bouquet, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, 1851

 

Un ouvrage de luxe de 55 cm de hauteur

Michel Bouquet, The Tourist’s Ramble in the Highlands,  London, Paris, circa 1850

 

Sur quels réseaux Michel Bouquet peut-il s’appuyer pour mettre en place d’aussi heureuses coïncidences dans le domaine de la publicité à l’international et de sa participation à la première Exposition universelle de Londres en  1851 ?

 

 

 

Bouquet 11 Stratégie publicitaire, emprunter le rôle de journaliste de type roman-feuilleton : les lettres d’Ecosse dans le journal de diffusion européenne L’Illustration