8. Professeur d’histoire à l’académie de Lunéville.
Léopold meurt en 1727. Son successeur, le duc François III de Lorraine décide de développer l’Académie des Gentilhommes. Pour cela il lui faut des professeurs, notamment dans des domaines qui sont jugés susceptibles d’attirer une noblesse à l’échelle européenne.
Nous disposons du règlement intérieur et de la liste des élèves, de 1714 à 1728.
Parmi les gentilshommes, on note la présence de cinq nobles anglais, puis de petites maisons de Lorraine, et enfin de nombreux français.
Sur la titulature on distingue cinq barons, cinq anglais répondant au titre de Milord, des marquis et des comtes, un certain nombre de chevaliers, et de nobles possédant un nom germanique Mr. Thudenschiel.
Valentin s’occupe par ailleurs de l’achat de livres pour la femme de Léopold, notamment chez le seul libraire qui ait été honnête avec lui lorsqu’il lui achetait des livres avec l’argent obtenu grâce à la vente des fourrures d’animaux du bois de Vitrimont. Il existe à New York une facture de Jacques Truain pour des livres fournis à Elisabeth Charlotte d’Orléans, duchesse de Lorraine, femme de Léopold. C’est Valentin Jamerey-Duval lui-même qui certifie sur cette facture que la Duchesse a reçu les livres et Truain note qu’il a reçu le paiement le 30 décembre 1736.
L’avis de ses supérieurs sur lui et Philippe Vayringe.
« Professeur de philosophie naturelle et de Physique expérimentale.
On ne sait que trois endroits en Europe où cette Science s’enseigne. Elle est utile et amusante, et l’on est persuadé qu’elle attirera quantité d’académistes qui au sortir de Rhétorique viendront s’appliquer à cette science en apprenant en même temps quelques uns des exercices.
Son Altesse Royale a dans ses Etats deux sujet capables de remplir ces postes. L’un est le Sieur Duval son bibliothécaire, homme capable de se former un système ou manière d’enseigner la philosophie naturelle et physique expérimentale et même en latin pour les auditeurs qui ne seront point perfectionnés dans la langue française.
L’autre est le Sieur Philippe Vayringe homme capable de montrer expérimentalement les questions agitées par le Sieur Du Val.
La seule chose qui serait à observer est que ces deux hommes ne sont point tout à fait d’accord ensemble ; qu’en obligeant le Sieur Vayringe de faire les expériences de physique , lorsque le Sieur du Val le trouvera à propos, le premier ne pense que ce soit une subordination.
Deux choses pourraient prévenir cette difficulté. L’une est de les mettre à mêmes gages, tous deux, et de donner à chacun 500 Livres par an. L’autre est la volonté de Son Altesse Royale qui soit leur déclarer de s’unir tous deux dans un même sujet . »
Archives départementales de Meurthe-et-Moselle 3F 276 11 , 1730
Le présent Duc de Lorraine parle bien l’allemand et plus volontiers que le français. François III avait été élevé à la cour de Vienne .
Lettre du Duc
On remarque que la Signature est d’un modèle différent de l’écriture, preuve que le duc signe un papier qu’il n’a pas le temps d’écrire ou qu’il maîtrisait plus l’allemand.
Lorsque François III prit possession de son duché en 1729, il dut comme son père Léopold se mettre à genoux devant le trône du Roi de France pour lui rendre l’hommage, sur un carreau, sans épée, ni chapeau, ni canne. Léopold avait demandé à ce que cette cérémonie fut accomplie par un de ses représentants à sa place, mais le Parlement de Paris s’y opposa. Page 15
Il y a quinze gentilshommes à l’Académie et à peu près autant de jeunes étrangers qui séjournent à Lunéville en dehors de l’Académie. L’Académie de Lunéville reçoit aussi des Protestants. Mais on leur demande néanmoins de faire maigre le vendredi et le samedi avec leurs camarades. La table est bonne. A midi, on sert jusqu’à dix plats sans compter les entremets et le dessert. Le soir, il n’y a que neuf plats. Page 17
Les Protestants peuvent séjourner en Lorraine, voire faire partie de la cour du Duc, mais s’ils meurent, ils doivent être enterrés hors des limites du Duché de Lorraine. C’est le cas du Baron de Forstner, diplomate d’origine anglaise au service du Duc Léopold dont le corps dut être transporté en 1724, à Sainte-Marie-Aux-Mines, à une journée de marche de Nancy. Page 17
C’est à cette Académie de Lunéville que Voltaire fait allusion dans le siècle de Louis XIV . « Léopold de Lorraine établit à Lunéville une espèce d’Université sans pédantisme, où la jeune noblesse d’Allemagne venait se former. On y apprenait de véritables sciences, dans les écoles où la physique était démontrée aux yeux par des machines admirables. Il a cherché des talents jusque dans les boutiques et les forêts pour les mettre à jour et les encourager. »
Voltaire parle ici, sans les nommer, de Philippe Vayringe et de Valentin Jamerey-Duval. Que Voltaire ne les nomme pas peut paraître curieux, mais à notre sens, cet oubli est volontaire. On le verra par la suite.
L’académie après un aller-retour entre Nancy et Lunéville se fixa définitivement dans cette dernière ville vers 1725. Elle fut installée sur les bords de la Vezouse, dans un hôtel qui prit le nom d’hôtel des pages.
Duval Lettre du 25 octobre 1749 « Ayant été nommé Professeur Public dans l’Académie Royale de Lunéville, je me vis obligé à subir un travail immense pour la composition de mes cahiers historiques. Instruit que la plupart des académistes avaient fait un cours d’étude dans quelque collège, je crus que mes leçons leur seraient inutiles si elles n’étaient issues de tout ce que la chronologie, la géographie ancienne et moderne, la mythologie, les médailles, la castramétation, la tactique des Grecs et des Romains, et leur mécanique militaire avaient de plus profond et de plus spécieux.
Ces recherches , à la vérité, eurent une sorte de succès à l’égard de ceux qui avaient de l’ardeur et un goût décidé pour l’étude, mais elles rendirent leur auteur presque inintelligible à ceux dont les dispositions étaient moins heureuses. »
Ici Duval affiche une modestie qui l’honore car ses cours ont du succès, à tel point que des gentilshommes lui demandent des cours particuliers, ce qui fait de Duval un homme qui a des revenus confortables.
Duval professeur vu par un auteur de l’époque, car nous avons la chance d’avoir un témoignage direct, Keyssler, qui a réellement assisté à l’un de ses cours en 1731.
« Je l’ai entendu faire un cours sur l’empire des Carthaginois et j’ai admiré l’habileté avec laquelle il savait mêler ensemble l’histoire, la géographie, les mœurs des peuples et les merveilleuses médailles. Il a reçu tout récemment cette place de professeur à l’Académie des gentilshommes avec des appointements de 700 livres. » Page 29
La transformation de Duval en savant professeur présente des particularités curieuses, pourtant, on trouverait des exemples analogues. Ainsi Dominique Mecherino, un peintre italien, mais qui est plus célèbre sous le nom de Beccafumi, étudiait le dessin sans aucun maître et tout en gardant ses moutons. Un gentilhomme de Sienne le tira de cette condition pour lui faire apprendre la peinture.
En 1737 conformément aux accords internationaux, la Lorraine est effacée de la carte des nations. La carrière professorale de Valentin à Lunéville est donc terminée. Que va-t-il faire ? Rester à Lunéville et se retirer chez ses amis ermites ? Partir pour la lointaine Toscane si le Duc François le lui propose ?
Rester à Lunéville aurait des avantages certains, la Toscane c’est se couper de tout.
Le roi Stanislas qui connaît l’aura qu’exerce l’Académie à l’échelle européenne lui propose ainsi qu’à Philippe Vayringe de rester, leur garantissant un bon emploi et de bons émoluments. Mais la fidélité et la reconnaissance qu’ils avaient tous deux pour le baron de Pfütschner, même s’ils n’étaient pas totalement libres de leur réponse, joua certainement. Et puis, quel avenir avec un souverain de carton ? Il partit donc.
Le 19 janvier 1737, Monsieur de Molitoris, secrétaire du Cabinet Ducal, reçoit l’ordre de François III d’accélérer les préparatifs. Dans la lettre ci-jointe, il ordonne d’emballer les livres de la Bibliothèque de Lunéville et de confier la directions de cette tâche à Valentin Jamerey Duval, les machines du cabinet de physique à Philippe Vayringe.