2 L’apprentissage des rudiments de l’écriture à l’ermitage de Sainte-Anne.
« Peu de jours après je me rendis dans un hameau fort agréable, ou de berger subalterne que j’étais auparavant, la fortune m’éleva au grade de berger en chef. J’étais alors sur la fin de mon troisième lustre ( il a donc 14 ans ).
Sans avoir la moindre notion de cet art divin qui apprend à fixer la parole et à peindre la pensée, pour donner du relief à ma nouvelle promotion, j’engageai mes confrères dans la vie bucolique à m’apprendre à lire, ce qu’ils firent volontiers au moyen de quelques repas champêtres que je leur promis.
« La littérature de colportage est née à Troyes, vers 1600, de l’initiative de quelques imprimeurs qui ont repris, sous forme de brochures à bon marché, un fonds littéraire hérité du Moyen Âge et désormais tombé en désuétude : romans de chevalerie, danses macabres, prophéties et calendriers, ornés de vieux bois passés de mode, sont publiés en masse, à des tirages qui atteignent parfois des dizaines de milliers d’exemplaires. Puisque ces brochures sont couvertes d’un simple papier bleu, on les appelle la Bibliothèque bleue .
On comptait au XVIIème siècle 2000 vendeurs ambulants ». Extrait du catalogue de l’exposition « Beaux récits, belles images ! », inaugurée le 12 novembre 1999 à la Bibliothèque municipale de Troyes.
Le départ d’Annonay vers des confins d’aventures.
Le hasard m’occasionna cette entreprise par l’inspection d’un livre de fables d’Esope, avec les images des animaux. Le dépit de ne pouvoir comprendre leurs dialogues sans le secours d’un interprète m’irrita contre l’ignorance où je croupissais, de sorte que je me résolus à mettre tout en usage pour en dissiper les ténèbres.
Mes progrès dans la lecture furent si rapides qu’en peu de mois, les acteurs comme Richard sans Peur, Robert le Diable et des quatre fils Aymon n’eurent plus de secret pour moi. Je parcourus avec une extrême avidité toutes les bibliothèques du hameau. J’en feuilletai tous les auteurs. »
Histoire des nobles et vaillants chevaliers les Quatre fils Aymon, Troyes, 1630. Ce sont les héros des livres populaires de la Bibliothèque bleue de Troyes, fondée par Nicolas OUDOT à Troyes au XVIIème siècle.
Ce roman fut imprimé pour la première fois en 1485. C’est le plus célèbre des romans de chevalerie édités dans les livrets de colportage. Il existait d’autres méthodes d’apprentissage de la lecture, mais il ne semble pas que Valentin ait pu en bénéficier.
Méthode pour apprendre le français et le latin.
« Lorsque par un exercice assidu, j’eus orné ma mémoire de toutes les fictions gauloises qui infectent l’esprit du peuple, je me crus pour le moins aussi savant que le curé du village.
J’invitais les jeunes gens dont j’étais le disciple, et montant sur une tribune de gazon, je leur déclamais, avec cette emphase qui caractérise si bien l’ignorance les plus beaux traits de Pierre de Provence et de la merveilleuse Mélusine. Les applaudissements rustiques que ces harangues m’attirèrent me rendirent présomptueux.
Je résolus de ne plus fréquenter que des personnes d’érudition et on ne me vit plus qu’avec le maître d’école. Sa conversation me fut très utile. Elle fut l’écueil de ma vanité naissante. Il me conseilla la lecture du catéchisme du diocèse. J’eus l’audace de vouloir comprendre ce que c’était que Dieu. Le pauvre pédagogue n’était point accoutumé à entendre ni à résoudre de pareilles questions, aussi il en remit la décision à Monsieur le Curé qui me conseilla de m’en rapporter humblement à celle du catéchisme.
Cette lecture produisit un très bon effet, car en accablant mon imagination sous le poids des mystères qu’elle exposait, elle m’apprit à les révérer et me fit comprendre que les objets de la foi étaient infiniment supérieurs à ceux de la raison. »
Mélusine, éditée pour la première fois au XVème siècle, puis rééditions en 1649, 1660, 1677, 1692.
Clézentaine et Deneuvre au sud de Lunéville.
L’allemand Keyssler était physiquement présent à la cour de Lunéville en 1731. Il a donc rencontré personnellement Valentin Jamerey-Duval et a obtenu de la bouche même de celui-ci les éléments suivants : ce qui n’empêche pas que Keyssler donne une version quelque peu différente de celle du manuscrit de la bibliothèque de l’arsenal.
« Je ne puis m’empêcher de raconter les étranges destinées du professeur actuel d’histoire et de géographie nommé Du Val. C’est le fils d’un paysan bourguignon et il vint comme enfant en Lorraine où à quatre lieues de Nancy, il gardait dans un village les troupeaux.
Mais dès son enfance il montrait un très grand désir de s’instruire, et comme il ne pouvait le satisfaire autrement, il rassemblait des escargots, des chenilles et autres bêtes semblables pour les observer de près. Il n’y avait personne dans le village auquel il n’adressât ses demandes : d’où vient telle ou telle chose ? Mais les réponses, comme l’on peut le supposer étaient telles qu’il savait encore moins après ces questions qu’auparavant.
Un jour il aperçut chez un garçon du village les fables d’Esope avec des planches sur cuivre, ce qui augmenta sa passion de s’instruire. Il ne savait pas encore lire et les autres jeunes gens, qui avaient poussé leur science jusqu’à la lecture, n’avaient pas toujours envie de lui expliquer les sujets représentés par les images.
Il forma dès lors le dessein de ne pas se reposer avant qu’il sût lire.
Il n’épargna rien pour y parvenir et, en toute occasion, il mettait de côté un peu d’argent et il le donnait à des garçons plus âgés afin qu’ils lui apprissent les lettres. Quand il eut atteint ce but, il mit la main sur un calendrier où étaient représentés les douze signes du zodiaque. Il les chercha dans le ciel et crut les avoir trouvés, et, quoique sur ce point comme sur bien d’autres, il se fit des idées fausses, il acquit bien des notions que d’autres savaient à peine après une longue étude.
Il arriva qu’un jour, comme il passa à Nancy devant la boutique d’un marchand d’estampes, il aperçut à la devanture une carte qui représentait le monde. Ce lui fut une nouvelle occasion de réflexions, et, après qu’il l’eût acheté, il passa bien des heures à l’étudier. » Et il en profita pour être admis parmi les ermites de Saint-Joseph.
Carte du monde.
Sur laquelle on voit le nom du géographe Du Val ainsi que tous les continents.
L’ermitage de Saint-Joseph près de Messin à 8 lieues de Nancy.
Muni d’une lettre de recommandation, il quitta cet ermitage au début de 1714 et fut accueilli à celui de Sainte-Anne, près de Lunéville, situé au confluent de la Meurthe et de la Vezouse.
Position de l’ermitage Sainte-Anne par rapport à Lunéville. Carte XVIIIe siècle.
Plus grand, Sainte-Anne dominait le cours de la Meurthe. Situé à la lisière de la forêt de Vitrimont, il se voyait de loin, installé qu’il était sur une petite colline dont une vigne entretenue par les ermites couvrait la pente.
L’Ermitage Sainte-Anne avec la Vezouze qui coule à ses pieds et le confluent avec la Meurthe un peu plus loin.
Il n’en reste plus rien, les combats de la première guerre mondiale l’ayant détruit. Aujourd’hui seul un morceau de mur subsiste, la végétation a tout envahi et mis à part la sérénité des très beaux arbres qui y demeurent, plus rien ne rappelle que dans cet ermitage Valentin Jamerey-Duval y vécut heureux.
Avant 1914.
L’ermitage reconstruit grâce aux travaux entrepris par Valentin Jamerai-Duval.
Avant 1914.
Depuis Valentin Jamerai-Duval, rien n’a changé..
Après 1918.
Les différentes étapes de l’ermitage Sainte-Anne avec peut-être le bombardement des bâtiments par les Autrichiens.
C’est dans cet ermitage que Valentin commença tout seul de s’instruire, montrant cette soif d’apprendre, cette avidité intellectuelle, cet esprit de recherche et d’observation qui constituaient un des côtés remarquables de sa personnalité.
La nuit, grimpé sur un chêne, il observait les constellations.
Qui donc voudrait nier ce qu’il y a de touchant et d’émouvant l’aspect de ce jeune homme vivant dans les bois, abandonné à lui-même, sans famille et sans argent, sans appuis ni conseils, et s’ingéniant par tous les moyens possibles à meubler son cerveau, à exercer son intelligence ?
L’observation des étoiles et de la lune toutes les nuits où il est libre.
« Monsieur Duval, qui a été, si je ne me trompe, bibliothécaire de l’empereur François Ier, a rendu compte de la manière dont un pur instinct, dans son enfance, lui donna les premières idées d’astronomie. Il contemplait la lune qui, en s’abaissant vers le couchant, semblait toucher aux derniers arbres d’un bois ; il ne douta pas qu’il ne la trouvât derrière les arbres ; il y courut, et fut étonné de le voir au bout de l’horizon.
Les jours suivants, la curiosité le força de suivre le cours de cet astre, et il fut encore plus surpris de le voir se lever et se coucher à des heures différentes.
Les formes diverses qu’il prenait de semaine en semaine, sa disparition totale durant quelques nuits, augmentèrent son attention. Tout ce que pouvait faire un enfant, était d’observer et d’admirer : c’était beaucoup ; il n’y en a pas un sur dix mille qui ait cette curiosité et cette persévérance.
Il étudia comme il put pendant une année entière, sans autre livre que le ciel et sans autre maître que ses yeux. Il s’aperçut que les étoiles ne changeaient point entre elles de position. Mais le brillant de l’étoile de Vénus fixant ses regards, elle lui parut avoir un cours particulier à peu près comme la lune ; il l’observa toutes les nuits ; elle disparut longtemps à ses yeux, et il la revit enfin devenue l’étoile du matin au lieu de l’étoile du soir.
La route du soleil, qui de mois en mois se levait et se couchait dans des endroits du ciel différents, ne lui échappa point ; il marqua les solstices avec deux piquets, sans savoir que c’étaient des solstices.
Il me semble que l’on pourrait profiter de cet exemple pour enseigner l’astronomie à un enfant de dix à douze ans, beaucoup plus facilement que cet enfant extraordinaire dont je parle n’en apprit par lui-même les premiers éléments. »
VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, 1765.
Par un contrat passé devant le notaire Cognel le 18 janvier 1714, il s’était engagé pour 10 ans au service des ermites, à condition d’être entretenu, logé, vêtu et de percevoir une rémunération.
Le Maire fait remarquer, ajoute M. Quentin dans sa lettre, qu’il a fait des recherches dans les actes de l’état-civil, mais qu’aucun des Jamerey ne porte le nom de Duval.
Dans ce contrat il prend un faux nom et un faux état-civil : Valentin Du Val, natif de Villers, office de Mirecourt. On voit que ce nom de Du Val ne provient pas de sa rencontre avec le Duc Léopold ou le Baron de Pfüstchner qui n’a lieu la première fois qu’en 1715 ou le 13 mai 1717.
Mais où a-t-il alors trouvé ce nom ?
Nous avançons l’hypothèse que la carte de géographie que Duval avait achetée était celle du géographe Du Val. Quelques indices nous le laissent à penser.
« Ayant été envoyé à Lunéville un jour de foire, j’aperçus quantité d’images exposées en vente, dont un mur était tapissé. Il s’y trouva un planisphère où les étoiles étaient marquées avec leurs noms et leur différente grandeur. Ce planisphère, une carte du globe terrestre et celle de ses quatre parties épuisèrent toutes mes finances qui montaient alors à deux écus et demi. Le plaisir que ces six feuilles de papier me procurèrent fut très vif. »
Regardons à présent le mur du fond de sa chambre à Pont-à-Mousson. On y distingue très nettement un planisphère.