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Madeleine Desroseaux et René Saïb
Villa Kerizel
95 rue Belle-Fontaine, Lorient
0/20 Introduction
Villa Kerizel, 95 rue Belle-Fontaine, LOrient est une adresse qui fut entre 1895 et 1939 fréquentée par tout ce qui comptait sur le plan poétique et politique en Bretagne bretonnante. Elle a été tout au long de cette période la résidence d’un couple exceptionnel formé par Madeleine Desroseaux et son mari André Degoul.
Hélas, la maison a disparu lors des bombardements anglais et américains de 1943
LOrient, Rue des Fontaines juste après un bombardement, Photographie positive, 1943 @ Collection particulière
Madeleine Desroseaux est très connue des milieux littéraires à l’échelle de la Bretagne, mais derrière l’image de cette femme, il y a un couple, et un époux qui ne lui doit rien en matière d’activités et de position sociale dans le LOrient à la césure du XIXe siècle finissant et du début du XXe siècle, deux espaces chronologique où le regard politique sur les revendications bretonnes va considérablement se modifier.
Ces deux personnages originaux – chacun d’entre eux ayant choisi un pseudonyme pour ses écrits – ont joué un grand rôle dans l’histoire culturelle de la Bretagne et de Lorient en particulier. Rien ne prédestinait Florentine Monier, cette native de Rennes et André Degoul, ce professeur de mathématiques à faire corps et âme avec une langue et une culture du pays qu’ils ont passionnément aimées, la langue et la culture bretonnes.
Florentine Monnier 1873 1939, de son nom d’écrivain Madeleine Desroseaux et André Degoul 1870 1946 de son nom d’écrivain René Saïb vont ainsi jouer un rôle éminent dans la culture lorientaise et bretonne d’avant 1914 et dans les mouvements bretons jusqu’à 1939.
Ils étaient nés sous une bonne étoile, avec non seulement un talent de poétesse et de musicien-poète, mais aussi une qualité relationnelle qu’ils savaient engager aussi bien avec des paysans bretonnants qu’avec des aristocrates, la classe moyenne lorientaise dont ils faisaient partie que des notables locaux, de leurs amis poètes dans leur cercle personnel que des écrivains de notoriété internationale.
Ils vont ainsi créer entre 1895 et 1915 un véritable cénacle lorientais où se croisent classes moyennes, décideurs économiques, militaires, paysans, professions intellectuelles, artistes.
Leur enfant, une revue née en 1895 à LOrient, baptisée Kloc’hdi Breiz, Le Clocher breton – car c’est une revue bilingue bretonne et française – a ainsi vu se pencher sur le berceau du premier numéro Pierre Loti, l’auteur de Mon frère Yves et de Pêcheurs d’Islande qui leur offrit une nouvelle : Charmeurs de serpents. Le professeur de dessin et artiste lorientais Auguste Nayel dessine leur couverture.
Couverture de la Revue par l’artiste lorientais Auguste Nayel
Madeleine Desroseaux, René Saïb, Kloc’hdi Breiz, Le clocher breton, Revue littéraire et artistique, mensuelle, LOrient, 1895 © Médiathèque François Mitterrand, LOrient
Cette revue a l’ambition de toucher toute la Bretagne, sans oublier les bretons exilés, dans les domaines de la littérature, de la science ou de l’art.
« Le voilà debout notre clocher, planté bien droit en pleine terre celtique. Nous avons posé la première pierre, puis nos amis sont venus, avec chacun leur bloc, et maintenant le voici bâti, le voici qui se découpe en plein ciel, qui se carre en géant de granit dont la charpente inattaquable ne craint ni le marteau, ni la hache. Le vent du large peut souffler ! » in Kloc’hdi Breiz, Le clocher breton, n°1 p. 2 que nous noterons par commodité 1,2
Madeleine Desroseaux y présente un conte d’Auvergne – et non de Bretagne – : « Frère Albin et frère Gaspard, dédié aux bons gaulois qui aiment les histoires gaies », René Saïb un conte symbolique.
« Le lac. Une lumière pâle tombait du ciel sur les eaux. Le lac dormait. Des nénuphars et des roseaux entrelacés s’abandonnaient à sa surface sans rides : l’eau, limpide au bord, devenait, en s’éloignant, plus opaque : lisse comme un miroir, elle reflétait la vision du ciel. Et là-bas, vers l’autre rive, une brume blanche, en ouate légère, oscillait en mouvements très doux, montait, s’abaissait, venait, s’éloignait, coupait les arbres aux troncs, n’en laissant voir que la cime qui semblait portée par le brouillard. Plus au-delà s’élevaient des collines lointaines, dominant la vallée que le lac habitait, et qui, la nuit étant venue, semblaient au clair des étoiles, mener au ciel , à travers le léger voile diaphane que la buée du lac formait… »
Visiblement, Madeleine n’était pas la seule poétesse du couple..
Cette aventure éditoriale du lorientais Kloc’hdi Breiz, Le clocher breton va durer vingt années, de 1895 à 1915. Elle sera comme de nombreuses autres revues créées en Bretagne touchée par la Grande Guerre qui a décimé tant de bretons.
Mais c’est vingt années d’édition culturelle à LOrient, où il faut pour chaque mois trouver des auteurs – car c’est une revue mensuelle – des créations originales qui soient en relation avec la Bretagne. Un travail de titan – en juillet 1899 on en est déjà au 49 ème numéro – sur vingt ans…
Si pendant toute cette période Madeleine Desroseaux va construire une oeuvre poétique et romanesque, c’est une véritable ode à une Bretagne traditionnelle en voie de disparition après 1918 qu’elle va chanter dans ses créations littéraires durant les années 1920 et 1930.
Madeleine Desroseaux décède le 3 mai 1939, peu avant que la France ne s’engage à aider militairement la Pologne en cas d’attaque allemande.
Le jour de ses obsèques au cimetière de Carnel à LOrient, à quelques mètres de l’artiste lorientais Michel Bouquet 1807 1890, et de l’écrivain lorientais Auguste Brizeux 1803 1858, le fils de cultivateur et barde paysan, le lanesterien Loeiz Herrieu 1879 1953, lui adressera en breton et en français l’adieu de la Bretagne.
Portrait de Madeleine Desroseaux
Anonyme, Portrait de Madeleine Desroseaux, Huile sur toile, 64 x 76 cm, après 1918 © vente Antiques De laval
« Ne nehè ket jaojapl lezel doar Breizh-Izel de hronnein aveit mat charké Madeleine Desroseaux, hep laret kenevo dehi é brettoneg ha ne aè ket gur é he harri, met hé des dihuennet ha harpet épad hé bihé.
Il convient de ne pas laisser la terre bretonne se refermer sur le cercueil de Madeleine Desroseaux sans lui adresser un adieu en cette langue bretonne, qui ne fut pas sa langue maternelle, mais qu’elle aima et soutint sa vie durant.
On a désiré me confier le soin de cet ultime adieu. Malgré l’émotion qui m’étreint le coeur devant la brusque disparition d’une amie chère, j’ai accepté de remplir ce devoir de l’amitié, afin que la Bretagne authentique, la Bretagne celtique, vienne aussi par ma voix apporter son « Kenens » attristé à cette Bretonne de Haute Bretagne qui lui consacra son beau talent, et sut découvrir les sentiers fleuris qui conduisent au coeur de notre pays, là où, disait-elle,
Une fleur de poésie antique se cache pour fleurir,
Loin des villes, loin des routes trop suivies,
Fleur dont j’aurai respiré le parfum.
D’autres diront tout le bien que l’on pense de l’écrivain en Bretagne et ailleurs. En ami fidèle et reconnaissant, je voudrais tout simplement dévoiler au bord de cette tombe, quelques-unes de ces qualités de coeur de l’excellente bretonne que nous pleurons, car Madeleine Desroseaux rayonnait.
Ils sont nombreux ceux qui ont trouvé à son foyer soutien, conseils, encouragements, réconfort.
Kérizel était la maison du bon dieu, toujours fraternellement ouverte aux amis, aux écrivains, aux artistes, à ces éternels pèlerins de l’Idéal, sans qui la vie ne serait que platitude.
On y était particulièrement accueillant aux jeunes.
N’est-ce pas là que nombre d’entre nous ont senti s’éveiller leur vocation littéraire ou leur devoir de militer pour la Bretagne ?
Car Madeleine Desroseaux rayonnait d’activité, d’optimisme, de volonté et de bonne humeur. Personne comme elle ne savait communiquer le goût de l’action, la confiance dans la vie et le mépris des obstacles.
Hélas ! Malgré sa vaillance, malgré son énergie, elle a du se soumettre elle aussi à l’inéluctable loi, et cela au moment où son fort talent était en plein épanouissement.
Mais en la conduisant au cimetière où reposent déjà tant de bons serviteurs de la Bretagne, notre coeur fidèle se refuse à souscrire à ces deux vers qu’elle écrivit un jour de tristesse
Nous portons en nous un temple que submerge
Le fleuve de l’oubli sans limite et sans berge.
C’est le sort de toute créature : vivre, mourir , être oublié…
Cependant, malgré cette dure et inflexible loi qui lui faisait rire du jour, je crois que son souvenir restera vivant parmi nous tant qu’il y aura un breton voué au relèvement de son pays.
Et puis les vieux saints de notre pays qu’elle vénérait tant auront sûrement entendu sa prière.
Que cette pensée vienne adoucir la profonde douleur de mon bon ami André Degoul, le grand chagrin de ses deux fils et de leur famille qui lui était si chère, le chagrin de ses amis aussi nombreux sur la terre bretonne qu’elle compte de fils dévoués.
Que l’union de leurs prières nous procure réconfort et espérance de vous revoir un jours et pour votre âme.
Non, le souvenir de Madeleine Desroseaux ne périra pas tant qu’il restera en Bretagne un breton aimant son pays, car elle aussi , comme Brizeux, elle aimait son pays et le faisait aimer.
Loeiz Herrieu, Oraison funèbre de Madeleine Desroseaux, 1939 © CRBC-UBO-Brest
Elle n’a pas tremblé devant la mort. Elle la connaissait pour l’avoir vue déjà de près.
Et puis sa foi en une autre vie ne la mettait-elle pas à l’abri de l’épouvante dernière ? Cette foi qui nous a révélé à nous Bretons ce vrai nom de la Mort : un passage.