3 Les problèmes posés par les analyses de Joseph Mahé.
31 Les problèmes de validité du plan-masse.
Le document représente a priori une reproduction fidèle du terrain. Le bois de Cauzo placé au sud-ouest, le bois de Brambien au sud-est ainsi que l’emplacement du village de la Bande correspondent à la cartographie IGN actuelle. La partie supérieure de la carte est donc orientée vers le nord et la partie inférieure vers le sud.
Premier problème, l’échelle. Le document reflète-t-il exactement la topologie et l’échelle du terrain telle que l’on pourrait comparer la taille de bâtiments du village de la Bande avec les pierres, ou intègre-t-il dans cet espace des éléments mégalithiques qui sont disposés plus loin, à savoir à l’est le menhir de la Pierre Longue actuellement placée sur la carte IGN au 1/25 000 et au nord le menhir du Bonnet Rouge constitué en fait de deux menhirs distincts ? Nous n’avons pas de réponse à ces questions. Le plan peut figurer à la fois le village de la Bande à grande échelle, représentant des détails très précis comme les quatre bâtiments et le reste de l’espace peut être représenté à plus petite échelle en mentionnant des éléments qui en fait sont situés beaucoup plus loin que ne le laisse supposer ce plan.
Second problème, Joseph Mahé tient à préciser que K représente le «Ruisseau d’Arz qui se perd dans la Vilaine, et qu’il ne faut pas confondre avec un ruisseau du même nom qui tombe dans le Morbihan (40)». Mais dans ce contexte, une incohérence surgit : le tracé de la rivière Arz dans l’axe nord-ouest / sud -est. Au vu de l’orientation de la carte et de son échelle, eu égard au village de la Bande et à la présence de la lisière des deux bois, la rivière Arz ne devrait même pas figurer sur ce document.
Si elle était correctement représentée, elle figurerait tout au sud et coulerait à l’échelle locale dans une direction sud-ouest / nord-est pour ensuite s’incurver vers une direction sud-est. Autre problème, nous ne savons pas dans quel sens coule cette rivière, vers le nord-ouest ou le sud-est ? Par ailleurs, le tracé de la rivière signalée semble se perdre vers le nord du bois de Brambien, – ici la qualité de l’impression est peut-être à mettre en cause – à moins qu’il ne s’agisse de représenter un ruisseau qui y prendrait sa source, auquel cas il s’agirait du ruisseau affluent de l’Arz, mais celui-ci coule vers le sud entre les bois du Cauzo et du Haut-Brambien.
Cette approche topographique est aussi celle de J. Demars « Bientôt on entre dans les bois de Brambien et de Coetzo, et l’on suit un frais ruisseau, pour descendre sur les bords de l’Arz (41) ».
Il pourrait aussi s’agir de la représentation d’un autre affluent de l’Arz, qui coule à l’est du bois de Brambien, mais cela est plus douteux. La description est rendue encore plus complexe par le fait que ces deux affluents ne possédant à l’heure actuelle toujours pas de dénomination particulière (42), il y a peu de chance qu’ils en eussent eu pour les contemporains de Mahé.
L’érudit qu’était Joseph Mahé, de surcroît originaire du Morbihan aurait-il pu faire cette erreur de localisation ? Ou s’est-il contenté de placer cette rivière dans un contexte de représentation d’échelles multiples sur une même carte ? Une erreur du graveur Le Bot Fils paraît également peu probable, il devait se contenter de suivre le plan original qui lui avait été donné par Mahé. Cela renforce l’hypothèse que le chanoine ne s’est pas rendu sur place, et qu’il s’est contenté des descriptifs qu’on lui a faits ainsi que du plan qui a été relevé par un autre que lui.
Troisième problème, celui de la représentation des pierres. Seuls 400 blocs de pierre sont représentés sur 2000. Les pierres les plus imposantes ont-elles été les seules sélectionnées ? S’agit-il d’un relevé précis à partir du terrain ou d’un remplissage de l’espace scriptural fait pour faire masse, pour étonner le lecteur ? Les pierres sont-elles à l’échelle ? Les directions des blocs sont-elles réelles ? Toutes questions auxquelles nous ne pouvons plus répondre.
32 Ces relevés ont-ils été faits sur le terrain ? Et par qui ?
On ne peut concevoir que considérant que le site était supérieur en qualité selon lui à celui de Carnac, Joseph Mahé ne s’y soit pas rendu sur place.
«J’ai décrit le matériel du spectacle que présente Brambien (43)». Cette remarque est ambiguë, elle ne permet pas d’affirmer que le chanoine se trouvait physiquement sur place. Dans la liste des lieux de l’arrondissement de Vannes qu’il mentionne dans son ouvrage, Mahé ajoute en conclusion de la première partie :
«Sur 226 communes, je n’en ai exploré que 74 « (44) , ce qui est confirmé par Pierre-Louis Athenas un an après la parution de l’Essai : « M. Mahé en cite un grand nombre dans différentes communes et notamment le plus grand de tous, situé près du village de Trévausan, dans la commune de Plumélec. Je l’ai vu avec M. Mahé (45) ». C’est la preuve que l’abbé Mahé arpentait le terrain, mais le Haut-Brambien fait peut-être partie des sites qu’il n’a pas visités.
Alexandre Guyot-Jomard précise que «l’abbé, malgré ses soixante ans était tout entier à ses travaux et à l’étude de l’hébreu, lorsqu’il reçut de M. le comte de Chazelles, alors préfet du Morbihan, l’invitation de se livrer à quelques recherches touchant ces monuments qui sont parmi nous en plus grand nombre qu’en aucun lieu au monde, et qui attirent en ce moment l’attention des savants de la France et même de l’Europe.
Telle fut l’origine de l’Essai sur les antiquités du Morbihan ; entrepris par l’auteur à un âge où l’on peut encore fouiller dans une bibliothèque, mais non plus parcourir les déserts de nos landes, cet ouvrage devait se ressentir de cette condition (46) ». Il pense donc que l’abbé a peu de chances de s’être rendu lui-même sur les lieux.
Un argument en faveur d’une non-visite du chanoine sur le terrain est fourni par François-Marie Cayot-Delambre en 1847 «La lande dite le Haut-Brambien, présente un grand nombre de pierres dans un périmètre de 7 à 8000 mètres, et dont l’abbé Mahé a donné une description d’après le plan et les notes qui lui en avaient été fournies (47) ». Ce n’est donc pas Mahé qui a fait le relevé du plan-masse. Prosper Levot, conservateur de la bibliothèque de la Marine à Brest ajoute que «Mahé, nous le tenons d’une source irrécusable, avait très peu vu de ses propres yeux. Il fit alors venir quelques notes plus ou moins exactes, des dessins et des plans (48)».
Ces assertions sont validées par le fait que sur les quatre planches figurant dans l’Essai, seules les trois premières portent la mention dessinée par M.Mahé. Nous avons donc la quasi-certitude que ce plan masse n’a pas été établi par le chanoine.
Une autre hypothèse n’est pas à écarter. L’auteur du relevé du plan a peut-être voulu, pour cause de rétribution, faire plaisir à Mahé tout comme les ouvriers de Boucher de Perthes (49) qui, selon l’hypothèse avancée par Léon Aufrère mettaient des haches en silex dans certains niveaux des fouilles car il y avait des primes à la clé. Dans le cadre d’une enquête officielle, et c’était le cas, voulant s’attirer les bonnes grâces d’un homme (50) qui fréquentait le Préfet, n’a-t-il pas un peu reconstruit plus idéalement ce paysage de pierres ?
40 Joseph MAHE, Essai sur les Antiquités du département du Morbihan, Vannes, Galles Aîné, Imprimeur du Roi, 1825, Planche V.
41 J.DESMARS, op.cit., p. 157.
42 Confirmation faite par la mairie de Pluherlin.
43 Joseph MAHE , Essai sur les Antiquités du département du Morbihan, Vannes, Galles Aîné, Imprimeur du Roi, 1825, p. 177.
44 Joseph MAHE, op.cit., p. 308.
45 Pierre-Louis ATHENAS, Essai sur les antiquités du Morbihan de J.Mahé, Lycée armoricain, Nantes, Mellinet-Malassis, Volume 7, 1826, p. 104.
46 Alexandre GUYOT-JOMARD, A propos d’une promenade sur la lande de Lanvaux par M. FOUQUET, manuscrit MS 369 1, 6 pages, 15 novembre 1861, inédit.
47 François-Marie CAYOT-DELANDRE , Le Morbihan, son histoire et ses monuments, Vannes, Cauderan, 1847, p. 298.
48 Prosper LEVOT, Biographie bretonne, recueil de tous les bretons qui se sont fait un nom, Vannes, Cauderan, 1857, p. 376.
49 Claudine COHEN, Jean-Jacque sHUBLIN, Boucher de Perthes, 1788-1868, Les origines romantiques de la préhistoire, Belin, 1989, p.117.
50 Nous savons que Mahé disposait de maires parmi ses correspondants.