2 Des pierres liées à des activités humaines anciennes ?
21 Les hypothèses de Joseph Mahé en faveur de pierres mises en place par des hommes.
Selon lui ces pierres ne sont pas originaires du lieu : «La colline (…) granitique (…) sur laquelle ils reposent n’est pas de la même composition que les pierres ». Son argumentaire s’appuie sur la géologie «Dans la colline le quartz y domine à tel point qu’à peine peut-on y trouver le mica et le feldspath. Alors que dans les pierres (du Haut-Brambien) «les trois parties constitutives du granit se rencontrent dans les proportions ordinaires ». Poursuivant son analyse, «D’ailleurs le terrain des environs de Rochefort, ville dont le Haut-Brambien n’est éloigné que de trois-quarts de lieue est presque partout schisteux, ce qui mène à croire que les roches qui couvrent cette plaine y ont été transportées d’assez loin …(20) », il en déduit que les pierres ont été transportés de plus loin, mais d’où ? Seule une analyse géologique des pierres disparues aurait pu nous indiquer le degré de validité de l’argumentaire de Mahé. Il est encore possible de le faire sur les menhirs restants, ceux de la Pierre longue et du Bonnet rouge.
Pour l’abbé, «la plupart de ces masses portent l’empreinte de la main de l’homme…elles ont été légèrement dégrossies…leur forme ordinaire est celle d’un cône grossièrement taillé (21) ». Il tient les Vénètes, population gauloise, comme étant à l’origine des travaux effectués dans ce lieu : «La seconde difficulté est de savoir pourquoi les Vénètes ont réuni dans ce même lieu tant de masses énormes, dont le transport a dû coûter tant de sueurs, tant de dépenses et tant d’années de travail (22) ».
Dans ses observations, Mahé avance que «La première est de savoir si les pierres qui sont aujourd’hui couchées ont été primitivement verticales, comme celles de Carnac. Je pense que celles qui présentent la forme d’un Cromlech ont été autrefois debout (23) ». Ici l’hypothèse est intéressante, et précède de 181 ans la fouille faite à Belz de mars-juin 2006 sous la direction de Stéphan Hinguant, Inrap, responsable d’opération, UMR 6566 « CREAAH » – CNRS :
«Simplement renversés, plusieurs blocs gisent à encore à proximité de leur fosse d’implantation … Le démantèlement de mégalithes dés le Néolithique n’est pas le premier du genre en Armorique (24)». Plus loin l’auteur précise : «On apprend ainsi que l’abattage des menhirs est antérieur à la fin du Néolithique. En effet, un niveau de circulation, sur lequel un corpus céramique et lithique attribuable au Campaniforme (IIIe millénaire avant notre ère) a été mis au jour, scelle pour partie les blocs déjà couchés (25) ».
Un peu plus loin dans son texte, «à moins qu’ils n’aient été renversés par un mouvement convulsif de la terre (26) » Mahé envisage également l’hypothèse d’une secousse sismique qui aurait mis à bas toutes les pierres, mais il ne semble pas trop y croire.
Pour lui l’explication première de cette masse énorme de pierres est avant tout à chercher dans le domaine religieux : «La religion donne à l’homme un ressort étonnant ; elle inspire une patience à toute épreuve ; elle aime le grandiose et l’extraordinaire, et c’est à elle seule que je puis attribuer les merveilles de Brambien (27) ».
22 Des hypothèses d’activités humaines anciennes partagées par d’autres visiteurs.
La description du Haut-Brambien faite par Mahé est reprise quasi-intégralement par le dictionnaire historique et géographique d’Ogée en 1853 (28). Simple copie, cet article ne représente pas un exemple probant de l’existence en 1853 de monuments d’origine mégalithique. Il en est tout autrement de Cayot-Delandre qui s’est rendu sur place en 1847, soit 22 ans après la parution de l’Essai : «La lande dite de Haut-Brambien qui présente un si grand nombre de blocs de pierre dans un périmètre de 7 à 8000 mètres….
Il est impossible de rendre l’aspect de ces innombrables pierres en désordre, pêle-mêle, debout ou renversées, qui évidemment ont été disposées de main d’homme, mais dont le motif et la destination resteront sans doute toujours pour nous un mystère impénétrable. Quelques personnes ont prétendu que l’arrangement de ces pierres était naturel ; il suffit de parcourir leurs groupes pour se convaincre qu’il y eut là, comme à Carnac, un immense lieu consacré, avec cette différence que, en général, les blocs sont de dimensions beaucoup plus considérables dans la plaine du Haut-Brambien. Ce lieu mérite d’être soigneusement étudié (29) ».
Sept ans plus tard, en 1854, Alfred Fouquet qui s’est également rendu plusieurs fois sur place et qui a participé à des fouilles dans les environs, qualifie aussi ces débris de monuments celtiques, d’origine humaine : «Entre le bois de Misny la foret de Guesno et le bois de Brambien on ne trouve que monuments détruits, pierres levées ou monuments renversés, autels brisés, blocs énormes dispersés (30) ».
Au début du mois d’octobre 1861, Alfred Fouquet se déplace dans les landes de Lanvaux. Il souligne la densité des concentrations mégalithiques de la zone à tel point que selon lui «les communes de Saint-Gravé, de Saint-Congard, de Pleucadeuc, de Molac et de Pluherlin ont pris pour limites de territoires des lignes droites tracées de menhir à menhir (31) ». Arrivé sur la commune de Pluherlin, il arpente les espaces du Haut-Brambien, notamment l’espace représenté par le plan-masse de Mahé : «J’arrivai bientôt dans la partie de la lande dite de la Bande ou du Haut Brambien, que traverse le chemin vicinal de Rochefort à Malestroit. Sur le bord de ce chemin se dresse un beau menhir de cinq mètres de hauteur..Sur la face est de ce menhir, M. Duportal a fait, dans un but de conservation, graver l’inscription suivante : E.L. Lorois, Préfet, 1836 (32) ».
Il s’agit du menhir situé à côté du lieu-dit la Pierre longue, à l’ouest du Haut-Brambien. «Dans cette lande du Haut-Brambien, je n’ai vu que des menhirs brisés ou renversés, qui interrogés avec soin, répondent qu’ils ont autrefois formé des alignements, comme on en voit encore sur d’autres points de Lanvaux, et que le Chapeau-Rouge n’est qu’un chef de file respecté par les destructeurs (33)». Il poursuit son chemin «De ce cimetière celtique…Je rentrai sur Lanvaux et marchai droit sur le bois de Mesny seule oasis de verdure au milieu de ce vaste désert. Au nord-est de ce bois de chênes, en coupe réglée, s’élève le plus beau menhir de cette partie de Lanvaux (34) ». S’agit-il du menhir du Bégué ? Plus loin il ajoute «près de lui et en face de lui, gisent d’énormes masses de pierres, qui ont été jadis des autels et des menhirs ; mais la destruction a passé par là (35)».
Trois ans plus tard Fouquet fera le compte-rendu de quelques fouilles opérées sur Lanvaux en Pluherlin et s’intéressera à ce qu’il appelle des dolmens de pauvres sous des tumulus, d’un type proche des recherches menées actuellement par Philippe Gouezin (36). A propos de ces fouilles il émet l’hypothèse que «La lande du haut-Brambien semée de ruines celtiques est tout près et à l’est des bois de Botvrel…et ce voisinage est un argument sérieux pour ma thèse (37)». Fouquet se livre par la suite à de nombreuses fouilles en 1866 en 1867 dans les landes, à Pleucadeuc, La Morinais, La Ville Billy.
En 1866, sur la butte de Tréhouet il constate le même type de destructions qu’à Brambien. Lorsque Fouquet visite les lieux, il confirme par son témoignage le fait qu’il existe de nombreuses masses de pierres et qu’entre la description qu’en fait Mahé et la sienne, de nombreux bouleversements de ces pierres ont eu lieu – il emploie explicitement le terme destructions – et qu’il n’en reste que des débris.Pendant ses dix années de pérégrination dans les landes, son analyse ne varie pas, il s’agit sans conteste de monuments celtiques.
Fouquet, pourtant sévère critique de Mahé, ne renonce pas à la thèse de ce dernier qui voit dans l’intérieur du Morbihan et notamment dans le Haut-Brambien un des lieux majeurs des antiquités celtiques appelées bien plus tard préhistoriques. Dans la lignée de Mahé il pense que c’est un espace important pour les fouilles et prometteur pour lui. Accorder autant d’années de suite au même espace et faire une prospection systématique aux alentours du Haut-Brambien, c’est rendre hommage malgré soi à la sagacité de Mahé.
En 1869, J. Demars n’hésite pas non plus à relier les amoncellements de pierres à une construction humaine faite par les gaulois «On trouve un dolmen brisé qui annonce que nous approchons de la lande druidique de Lanvaux (38) ».
En parlant du Haut-Brambien il précise « apparaissent une énorme quantité de pierres arrondies ou anguleuses, de menhirs renversés ou dressés, d’autels brisés, de dolmens mutilés, sans forme connue, sans destination apparente, immense carneillou dont l’origine est un mystère, dont le but échappe au savant comme à l’ignorant (39) » Pour Demars également, il ne s’agit pas seulement de pierres, mais bien de monuments celtiques.
Ainsi, nombreux sont ceux qui pensent, jusque dans les années 1860, que la thèse de Mahé, qui fait des amoncellements de pierres du Haut-Brambien des monuments druidiques, donc d’origine humaine, est la bonne hypothèse.
20 Joseph MAHE, Essai sur les Antiquités du département du Morbihan, Vannes, Galles Aîné, Imprimeur du Roi, 1825 p. 175.
21 Joseph MAHE, op.cit., 1825, p. 175.
22 Josep hMAHE, op.cit., 1825, p. 177.
23 Ibidem.
24 Stéphane HINGUANT, Un ensemble mégalithique exceptionnellement conservé, Archéopages, N°18, Janvier 2007, pp.70-71.
25 Stéphane HINGUANT,op.cit., pp70-71.
26 Joseph MAHE, op.cit., 1825, p. 177.
27 Ibidem.
28 Jean OGEE, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, dédié à la nation bretonne, Nouvelle édition revue et augmentée par MARTEVILLE A. et VARIN P., Tome 2, Rennes, Deniel, 1853, p. 356.
29 François-Marie CAYOT-DELANDRE, Le Morbihan, son histoire et ses monuments, Vannes, Cauderan, 1847, p. 298.
30 Alfred FOUQUET, Guide des touristes et des archéologues dans le Morbihan, Vannes, A. Cauderan,1854 pp. 63-64.
31 Alfred FOUQUET, Promenade archéologique sur la lande de Lanvaux, Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 21 octobre 1861, p. 47.
32 Alfred FOUQUET, op.cit., p. 52.
33 Alfred FOUQUET, op.cit., p. 49.
34 Alfred FOUQUET, Promenade archéologique sur la lande de Lanvaux, Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1861, p. 50 .
35 Alfred FOUQUET, ibidem, p. 50.
36 Philippe GOUEZIN , Chargé de mission au Conseil Général du Morbihan, Doctorant Université Rennes 1.
37 Alfred FOUQUET, 1864, Compte-rendu de quelques fouilles opérées sur Lanvaux en Pluherlin, Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1er août 1864, p 104.
38 J.DESMARS, Redon et ses environs, Guide du voyageur, Guihaire Libraire-Éditeur, Redon, 1869, p. 155.
39 J.,DESMARS op.cit., p. 156.