3 Les destructions se poursuivent après le décès du chanoine Mahé.
31 Les fouilles menées par les archéologues amateurs.
On ne peut que s’interroger sur les conséquences des recherches archéologiques en 1864 menées par Fouquet et ses ouvriers près de Pleucadeuc, au lieu-dit Le Brétin. Il n’hésite pas à abattre des menhirs «Nous avons creusé la terre au pied de ce troisième menhir, assez profondément pour déterminer sa chute … mesurée après sa chute, cette pierre se trouve être de 2,40 mètres de longueur et de 2 mètres de largeur … mais certes alors qu’elle était encore debout, elle avait subi des mutilations anciennes et récente (84) ».
32 Des professionnels du pillage au service des riches collectionneurs : l’exemple de Gustave Paille.
Gustave Paille a procédé à cinq campagnes de fouilles archéologiques à partir de la fin du XIXe siècle pour créer un musée archéologique privé, celui du marquis de Montaigu au château de la Bretesche à Missillac. Paille s’est notamment livré à des recherches dans l’est du département du Morbihan. Il suit les voies antiques qu’il a repérées sur la table de Peutinger et fouille une zone d’environ cinq kilomètres de part et d’autre de la voie. Paille a donc pu prospecter dans le secteur du Haut-Brambien.
Comme il l’a expliqué dans sa méthode, il s’appuie sur la littérature historique, surtout celle qui lui permet de repérer les différents emplacements archéologiques et a pu lire les Essais de Mahé qui lui fournissent nombre de renseignements à ce sujet.
Son activité est importante. Il fouille successivement pendant la campagne de 1905 avec l’aide de quatre ouvriers «à Allaire une allée couverte qu’il qualifie d’inviolée, des dolmens des environs, puis deux dolmens à Larré, un dolmen à Saint-Guyomard, un dolmen à Saint-Christophe, un dolmen à Kerdaniel, un dolmen à Coëtbihan, un cromlech à Kermabus, cinq dolmens à Noyans, des dolmens à La Trinité, des dolmens à Surzur, etc. (85) » pour ne citer que les monuments mégalithiques. Encore faut-il souligner que toute cette liste n’est établie que dans le cadre d’un rapport officiel à son commanditaire. On peut très bien imaginer qu’il s’est livré à d’autres fouilles sans les mentionner explicitement, surtout si elles se sont révélées très fructueuses.
33 Des destructions massives dues à la mise en valeur systématique des landes par de grands propriétaires fonciers.
Un concours pour la mise en valeur des Landes de Bretagne avait été lancé par la Société académique du département de la Loire-Inférieure. L’ouvrage de M. de Lorgeril (86) fut couronné en 1819. Il devait répondre à deux questions : Quelle est la nature des landes du département de la Loire-inférieure ? Quel serait le moyen le plus sûr de rendre à l’agriculture les terres vagues et incultes qu’on évalue à plus de 120 000 arpents ? L’objectif de ce concours et des mémoires était très clair.
«Presque toutes les landes de Bretagne, dans l’état actuel, sont des biens communaux. Le mode de jouissance auquel ces biens sont soumis, les dérobant à la salutaire influence de la propriété et de l’industrie, semble réduire leur sol au minimum de la production : tout espoir d’amélioration est interdit avec un pareil régime (87) ». Il s’agissait donc de faciliter le partage des terres des biens communaux, de les attribuer à des propriétaires individuels pour les livrer à la culture.
Dix ans plus tard de nouveaux thèmes sont soumis à étude : la législation bretonne sur les terres non détenues par un propriétaire avant 1789, les moyens de mettre fin à la stérilité des landes, la législation mise en place depuis 1789, les moyens de mettre fin à la possession commune et les modifications à apporter à la législation existante. Les landes des campagnes étaient-elles des communaux au sens juridique du terme ? Voilà le point fondamental qu’il fallait établir.
C’est un avocat de Nantes, Colombel, qui va obtenir la médaille d’or (88). Il s’agit de démontrer que les terres vaines et vagues n’appartiennent pas juridiquement aux communes, travaux auxquels participe aussi Nadaud avocat-général à la cour royale de Rennes, qui examine les lois de 1792 et de 1793 «pour voir quelles seraient les modifications les plus utiles à apporter à la législation dans l’intérêt des communes et de l’État (89) ».
L’avocat Réveillé de Beauregard passe en revue tous les types de titres de propriété selon que les terres appartenaient au roi, ou à des fiefs, ou encore par bénéfices ecclésiastiques, pour conclure que «L’opinion qui attribue en Bretagne toutes les terres vaines et vagues aux communes est donc fausse et contraire aux intérêts bien entendus de l’agriculture (90) », et surtout des grands propriétaires.
On trouve la même démarche pour parvenir à une mise en valeur des landes dans un exposé de Délivré figurant dans un Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan. Il s’agit pour ce défenseur du monde agricole de contourner la contestation grandissante de la mainmise des grands propriétaires exploitants sur des sites d’intérêt archéologique et les communaux.
Il dépeint deux visions opposées, celle de l’archéologie rétrograde et de l’agriculture novatrice, du petit paysan arriéré face à la modernité de la grande exploitation : «Sur un sol comme celui du Morbihan, où des monuments celtiques s’élèvent en si grand nombre, il est facile de comprendre que les hommes de savoir sérieux qui s’y trouvent aient prêté une oreille attentive à ces témoins de temps inconnus à l’histoire.
L’archéologie parce qu’il faut l’appeler par son nom a donc absorbé à son profit une grande partie du fonds intellectuel du pays … L’archéologue se fait pour ainsi dire une existence toute rétrospective ; il vit le plus souvent dans le passé. Parcourir des ruines, interroger des débris. Tel est son domaine, mais dans tous les cas assez indifférent au bonheur de l’humanité … En quelques mots l’archéologie, c’est le doute, c’est l’obscurité, c’est une lutte incessante et souvent vaine contre les ravages impitoyables du temps et de la mort ; c’est le passé, enfin, incapable à notre avis de servir d’édification et de calque aux générations futures.
L’agriculture, c’est le présent, c’est l’avenir, c’est la lumière, c’est la vie dans toute son actualité, dans toute sa plénitude, dans toutes ses conditions normales, c’est-à-dire le pain au prix de la sueur, l’alimentation après la transpiration (91) ».
Vers le milieu du XIXe siècle les activités agricoles des landes de Lanvaux sont marquées par l’écobuage, méthode utilisée par les petits paysans pour se servir de la couverture végétale, notamment les ajoncs, comme engrais, ou par l’étrépage, les diverses plantes, dont les fougères, servant de litière aux animaux.
Dès les premiers jours de beau temps, les animaux sont laissés en libre pâture sur ces espaces isolés, couverts de pierres, considérés comme peu fertiles, et à très faible densité humaine. Le Haut-Brambien n’échappe pas à ce système de mise en valeur. Aujourd’hui nous avons pu constater que cet espace autrefois inculte et désertique est partagé entre des exploitations agricoles qui en utilisent une grande partie comme terres cultivées ou comme prés, sans présence de pierres. Ne restent du plan-masse de Mahé que les bois.
Que s’est-il passé ? Pourquoi ce paysage du Haut-Brambien a-t-il subi une telle modification ? Pour Estelle Ducom (92), il faut parler de modifications au pluriel car les systèmes d’exploitation et la couverture végétale de cet espace ont connu plusieurs transformations entre la mort de Mahé en 1831 et l’époque actuelle. Les concours des années 1819 et 1829 ont montré la volonté des grands investisseurs, issus des grands centres urbains comme Nantes, d’acquérir de grandes propriétés agricoles.
Les landes appartenant aux communes et gérées comme espaces de pacage ne pouvaient que susciter des convoitises. Dès 1822 le préfet du Morbihan écrit au maire de Pluherlin dont dépend la lande du Haut-Brambien que les communes stagnent dans la misère à côté de ressources qui pourraient être valorisées. Naturellement les paysans s’opposent à tout changement qui mettrait en péril les moyens gratuits dont ils disposent à savoir l’approvisionnement de leurs bêtes et la source d’engrais pour leurs cultures. Il n’est pas question de procéder à une modification du statut existant.
Mais comme le montre Estelle Ducom «sous les menaces incessantes du préfet, les travaux préliminaires du partage sont entamés en 1861 (93) ». Les nouveaux grands propriétaires créent des fermes qui sont occupées par des populations venues des départements limitrophes. Ainsi a analysé Jean Mahaud «le boisement des landes débuta réellement à partir de 1850 en raison des perspectives économiques attrayantes liées à une rotation rapide des plantations de pins maritimes (94)». Les nouveaux espaces conquis sont ainsi pour partie plantés en pins, et pour partie pour les terres jugées les plus prometteuses, défrichées.
Est-ce à ce moment que les pierres sont systématiquement éliminées, pierres qui sont incompatibles avec une agriculture en voie d’industrialisation ? Le processus s’est-il poursuivi au cours du XXe siècle ? L’exemple de la parcelle boisée de Kerlaure (95) est un bon indicateur.
84 Alfred FOUQUET, Compte-rendu de quelques fouilles opérées en septembre 1864, Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1864, p.109.
85 Hugues-François BLAIN, Jacques SANTROT, Gustave Paille, un archéologue « à façon » en Basse-Bretagne (1898-1905), in Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Tome 107, numéro 3, 2000, p. 104.
86 M. de LORGERIL, Mémoire sur la nature et le défrichement des landes de Bretagne, Rennes, Vatar, 1819.
87 M. de LORGERIL, op.cit., 1819, p. 3.
88 H. COLOMBEL, Mémoire sur les terres vaines et vagues de la ci-devant province de Bretagne, Lycée armoricain, Septième année, 13e volume, Nantes, 1829, p.71
89 NADAUD, Mémoire sur les terres vaines et vagues de la ci-devant province de Bretagne, Lycée armoricain, Septième année, 13e volume, Nantes, 1829, pp 72 et 285.
90 REVEILLE de BEAUREGARD, Observations sur les moyens de parvenir aux défrichements des landes de Bretagne, Lycée armoricain, Septième année, 13e volume, Nantes, 1829, pp. 105 et 192.
91 DELIVRE, De l’agriculture dans le Morbihan, Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, 1868, p. 180.
92 Estelle DUCOM, Étude d’un front pionnier agricole en phase de recul : la dynamique spatiale des Landes de Lanvaux depuis le XIXe siècle, mémoire de DEA de géographie, sous la direction de Jean-Pierre Marchand, Rennes 2, 2002.
93 Estelle DUCOM, La dynamique spatiale d’un « vide » breton : les Landes de Lanvaux depuis la fin du XIXe siècle, Mappemonde, 71, 2003, p. 21.
94 Jean MAHAUD, Les paysages forestiers du Morbihan : du recul à la reconquête, Le Courrier de l’environnement, N°34, juillet 1988.
95 Voir chapitre II, 33.